Festival EPHEMERE, 12 et 13 août à Hammamet : Art numérique et musique électronique au menu

Lors d’une conférence de presse organisée à la maison des Arts à Menzeh 5 dans le gouvernorat de l’Ariana mercredi 23 juillet 2014, RÉALITÉS est parti à la rencontre de jeunes talents qui se sont réunis autour d’un univers conciliant : la musique, le numérique et le tourisme. Plus explicitement, ces jeunes artistes et organisateurs d’événements à la fois musical et créatif ont baptisé leur prochain évènement « Éphémère ». Ce festival, une première du genre en Tunisie, se tiendra le 12 et 13 Août à Hammamet et plus particulièrement à l’hôtel La Playa (d’une capacité d’accueil de 4000 personnes). Ce premier rendez-vous se veut une manifestation pour la promotion de la Musique numérique et des Arts visuels.

Pour comprendre davantage les détails et les contours de cet événement créatif, RÉALITÉS s’est entretenu avec Douja Mestiri (DM), Responsable Arts Visuels, ticketing et budgétisation et Charly Andral chargé de communication et de partenariat du festival EPHEMERE. 

Douja est une jeune chargée de projets culturels, actuellement en poste à la Galerie AGorgi et qui a eu l’occasion de travailler sur l’organisation de festivals pouvant s’intégrer dans ce qui est communément appelé les industries créatives. 

Charly Andral (CA) est Français, il est arrivé en Tunisie en 2012 pour travailler au service de presse de l’Ambassade de France. Sa passion pour l’art nocturne s’affirme en 2013. Aidés par quelques amis, il lance les raves party TKFR que les férus de la musique électronique connaissent très bien. 

Qu’est-ce qui vous amène à ce projet ? 

DM : Je suis graveur de formation, j’ai eu mon diplôme de gravure en 2009 de l’école des beaux-arts de Tunis, après je suis partie à Paris où j’ai effectué un Master en conception et direction de projets culturels […] au début c’est une rencontre virtuelle avec Ahmed Loubiri (le fondateur et le directeur du festival EPHEMERE) à l’époque j’étais chargée de programmation à Radyoon. Une radio en ligne. Des amis m’ont recommandé Ahmed Loubiri pour sa connaissance pointue en matière de musique électronique. Au début de l’année, il m’a proposé de travailler avec lui sur son projet de festival. Nous avons parlé du concept, du fait d’introduire les arts visuels dans ce festival en sélectionnant des artistes et en introduisant des performances et des installations. Cela a commencé de cette manière. Depuis quelques mois, nous avons attaqué le travail de terrain, nous sommes à fond dans l’organisation de cet événement.

Lors de ce festival qui aura lieu le 13 et le 14 août à Hammamet, combien y aura-t-il d’artistes?

CA : Il y aura 16 artistes tunisiens, 10 artistes internationaux, des Allemands, des Français, des Italiens, des Américains, une Suissesse ainsi que 5 artistes tunisiens qui ne sont pas des artistes musicaux : ce sont des artistes visuels, un vidéaste, un graffeur, un plasticien… (voir dossier de presse). 

L’art numérique, n’est-il pas éphémère justement ?

DM : L’artiste qui travaille avec les outils numériques doit garder une démarche authentique vis-à-vis de son œuvre. C’est cela le plus important, c’est la démarche. Ce n’est pas juste bidouiller quelque chose et balancer cela comme de l’art. Non ; c’est réfléchir, il y a un concept derrière, des émotions. L’artiste doit être surtout sincère avec lui-même. 

CA : L’idée en ce qui concerne notre festival c’est de jouer sur l’intemporel, la surprise. Ephémère, c’est l’impalpable, ce sont les émotions. Concrètement, c’est rassembler sur un temps très court : deux jours, deux soirs, deux nuits, un large panel d’artistes qui vont s’enchaîner rapidement sur différentes scènes. Ce festival est un petit village où les festivaliers vont pouvoir déambuler d’installation en installation. Il va y avoir des artistes tunisiens qui vont faire des performances, un habillage lumineux,  des installations visuelles, interactives et immersives où le public va pourvoir réagir avec des sons et des lumières. Nous réservons donc lors de ce festival une grande place à la surprise et au merveilleux. Le secret d’une soirée réussie, c’est d’être un peu surpris. C’est donc cette idée de surprise et de décalage qui anime l’équipe d’EPHEMERE.

C’est aussi le message à travers ce festival d’une jeunesse tunisienne créative ? 

En fait exactement, il y aura plusieurs artistes tunisiens qui vont être invités de différents types. D’abord, 16 DJ de la musique électronique et qui font de l’art numérique depuis un certain temps qui sont expérimentés qui ont joué sur des scènes internationales, qui sont produits dans des labels internationaux. Il va y avoir parmi ces invités des plus jeunes par exemple la jeune DJ Deena Abdelwahed.  Grosso modo, on a une génération très prometteuse en Tunisie d’un point de vue création musicale. Le festival sait aussi mettre en avant la créativité non-musicale en proposant un espace aménagé à des artistes expérimentés à l’image de Malek Gnaoui qui est Céramiste de formation. Il joue des interactions matière, lumière, son et vidéo. Dans ses œuvres, Malek travaille la notion « d’expérience spirituel » à partir de l’imagerie populaire et des us et coutumes. Il a exposé dans plusieurs galeries  internationales, entre autre à Londres et à Paris, ainsi que plusieurs fois en Tunisie.

Vous êtes tous bénévoles ? 

DM : Effectivement, pour l’instant, nous sommes tous bénévoles, personne n’est rémunéré. On travaille en partenariat avec l’agence de communication Zoopolis. Toute notre équipe est engagée. Nous sommes bien conscients du risque inhérent à cette aventure, mais nous aimons prendre des initiatives même s’il n’y a pas de compensation matérielle à la fin. Ça sera une expérience constructive pour nous tous.

CA : On est une bande de jeunes, on ne se connaissait pas forcément tous à l’avance mais on fréquente les mêmes cercles artistiques et musicaux. On sort beaucoup. Et je crois qu’on a cette envie commune de proposer quelque chose de nouveau, de frais et d’un peu hors circuit et décalé par rapport à ce qui se passe dans les boites de nuit habituelles. Notre projet est de sortir de l’univers de boîte de nuit pour aller au-delà et avoir un peu plus de poésie et de rêve dans les soirées. Et c’est cette idée qui nous a réunie me semble-t-il. On est une équipe très hétérogène et qui se complète.

D’où viennent les artistes qui vont se produire lors du festival Ephémère et sont-ils des professionnels ou bien des amateurs ?

DM : Tout d’abord, je vous invite à aller sur notre site internet : http ://ephemere-fest.com/ ou bien notre page Facebook du festival : https ://www.facebook.com/ephemerefestival. La plupart des DJ tunisiens travaille à côté pour pouvoir se consacrer par la suite à une activité artistique.  Par exemple, Zinga est l’un des membres les plus actifs du collectif Tunisien « Waveform » et pourtant, ceci n’est pas son gagne-pain car il doit travailler à côté pour vivre. 

C’est quoi la singularité de la musique électronique ?

CA : La musique électronique est la musique de notre génération. Elle est souvent critiquée pour son caractère répétitif. Quand on s’y penche vraiment on découvre les nuances, l’évolution des artistes et des morceaux. La musique électronique que nous présenterons lors de ce festival ne sera pas du « boom-boom ». La musique électronique aujourd’hui ne se résume pas à un DJ derrière un ordinateur. Beaucoup de nos invités sont des artistes et des musiciens qui créent en live avec tout un panel de machines et qui sont dans une approche très créative. Je pense notamment à Slow Magic, un artiste américain qui fait un show avec un masque et des percussions, c’est un véritable spectacle à part entière. Le panel de la musique électronique est donc très large.

L’expérience à laquelle vous vous engagez est dans l’ère du temps, le concept d’économie créative est-ce que cela signifie quelque chose pour vous?

DM : Par rapport au contexte tunisien, c’est clair que l’on ne va pas se mentir. Depuis 2011, il y a eu un boom, une explosion de liberté, de gens qui veulent produire, créer et présenter des choses. Des gens pleins de très bonnes initiatives mais malheureusement tout n’est pas viable sur la durée. Il y a aussi la barrière des mentalités. On peut regretter que les subventions émanant de l’État ou des municipalités ne sont pas toujours adaptées aux créations les plus innovantes. Il y a encore beaucoup de bureaucratie. La Tunisie marche avec le vieux système. 

Qu’entendez-vous par vieux système ?

DM :Le vieux système c’est toujours une paperasse et des démarches administratives incompréhensibles et de passer une trentaine de portes pour arriver à la bonne personne tout cela est un système décourageant quant à l’activité créatrice. En ce qui concerne notre expérience, on a essayé au début de recourir au financement institutionnel…  et on s’est finalement résolu à se débrouiller sans.

Le politique comprend-il votre inscription dans les industries créatives et l’art numérique en particulier ?

DM : Sincèrement, je ne le pense pas. Il y a une volonté de promouvoir ce genre d’art. Mais le problème est que le secteur culturel en Tunisie de manière générale marche encore par réseau ou pire par connivence : les gens du théâtre d’un côté, les gens de la chanson de l’autre, les gens du cinéma à part, les gens de la peinture à part etc., alors que maintenant il faut briser les frontières notamment les frontières générationnelles et les résistances par rapport à la musique que nous essayons de promouvoir.  Aujourd’hui en matière d’art, il s’agit de s’ouvrir sur toutes les disciplines. Avec l’art numérique, on ne peut plus rester confiné dans une seule discipline ou un seul domaine. L’avenir de l’art est dans la polyvalence et non dans la spécialisation.

Et les industriels ? 

DM :Pour le secteur privé, dans les pays les plus développés et même dans certaines économies émergentes, on parle beaucoup de tout ce qui est mécénat. Le mécénat en Tunisie n’est pas encore bien défini. La législation, à ce niveau-là n’est pas claire. On a encore du mal à comprendre comment fonctionne le mécénat. Le secteur privé pourrait vraiment aider la culture et la créativité à se développer si justement cette partie mécénat était plus claire d’un point de vue juridique. Un industriel ou une société qui a un bon chiffre d’affaires au lieu de payer des impôts, peut en consacrer une partie à l’accompagnement d’un projet culturel. Et là ça sert tout le monde.

Certains disent que la musique électronique et les arts numériques ce sont des musiques bobo, voire porteuses du nouvel esprit du capitalisme, que pensez-vous de cela ? 

DM :On ne peut pas classifier la musique électronique en bloc. La musique électronique contient plusieurs mouvements et maintes tendances. Je ne suis pas d’accord avec cela, c’est comme si on disait que le rap est uniquement une musique de ghetto ; en réalité ce n’est pas vrai ce n’est donc pas uniquement cela. Le rap peut être une musique très branchée est qui dépasse les frontières des classes sociales.  D’un autre côté, d’un point de vue technique, la musique électronique nécessite en effet plus de matériel qui n’est pas forcément accessible. Cela n’empêche, qu’au même titre qu’un amateur de musique qui souhaite avoir une guitare par exemple pour pouvoir développer sa passion, un amateur de musique électronique ou un DJ qui a une envie de développer son art et qui n’en a pas les moyens pourra lui-même confectionner ou dénicher ses propres machines. C’est une question de passion.  

Comment tunisifier alors cet art électronique et le rendre appropriable par notre jeunesse ? 

DM : Certainement pas en allant vers les clichés en introduisant du Mizoued par exemple voire des instruments de musique et des sons typiquement tunisiens. Notre identité nous la construisons nous-même et tout dépendra encore une fois de la sincérité de l’artiste qui produit, comment il est touché par son environnement et comment il s’inscrit dans son vécu et sa réalité. 

Le problème en Tunisie c’est que nous avons du mal à définir notre identité cela est aussi valable pour la musique électronique que pour la jeunesse de ce pays. Il ne faut pas que l’on fasse du copier-coller sur ce qui se fait ailleurs. Il s’agit de prendre les tendances telles qu’elles sont et surtout les adapter au contexte culturel, politique et économique dans lequel nous vivons. 

M. A. E.

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