Le Festival International de Boukornine a clôturé son après festival le vendredi 5 septembre 2014 à la Maison de Culture Ali Ben Ayed à Hammam-Lif par un hommage rendu au militant «Abdelaziz Allâl» et une remarquable conférence donnée par Pr. Beya Labidi Belhadj intitulée «les palais beylicaux. Le palais husseïnite de Hammam-Lif comme exemple» en présence de 3 ministres du gouvernement actuel et en l’absence de son excellence monsieur le ministre de la Culture.
Ainsi, la 35e édition du festival prend fin en apothéose. Toutefois, il est peut être bon de rappeler que le festival a sauvé sa dimension internationale par la programmation de spectacles iranien, syrien, algérien et maroco-tunisien. D’autres spectacles étaient prévus dont celui des Gospels prévu dimanche 7 septembre 2014 et auquel le comité directeur a fini par renoncer pour des raisons purement financières. Réalités était sur place et a voulu faire le point sur cette 35e édition avec le chargé de communication Fares Khiari très connu et reconnu dans le secteur culturel en Tunisie.
En tant que chargé de communication du festival de Boukornine, que diriez-vous à propos de cette 35e édition ?
À mon avis, je vois que cette édition du festival de Boukornine est une occasion de faire revivre toute une ville en mettant l’accent sur la proximité. La ville de Hammam-Lif a été marginalisée durant longtemps, abandonnée, larguée en premier lieu par l’État, surtout après la destitution de la dynastie husseinite et l’achèvement du pouvoir beylical. Maintenant, concernant la 35e édition de ce festival, je peux vous dire que le travail accompli avec le directeur, Naoufel Ben Aïssa et le comité directeur du festival a permis de réconcilier cette ville avec son environnement politique et culturel. Cette réconciliation a été faite et même assurée aussi bien avec l’État qu’avec le public. Comme feed-back et comme information de première main, surtout de la part des anciens habitués de ce festival, on a reçu des impressions du genre «tiens ! Cela nous rappelle le festival de Boukornine des années 80 et 90». Donc on peut déduire qu’il y avait une certaine satisfaction par rapport à cette édition marquée par la présence d’une ambiance conviviale, voire familiale, tout au long des spectacles.
Qu’en est-il de la programmation ?
La programmation de cette 35e édition était assez variée avec des prix très abordables et est susceptible de satisfaire toutes les générations. Deuxièmement, ce festival est caractérisé par l’implication de la jeunesse tunisienne dans des événements artistiques et culturels. 80% de notre staff d’organisation est composé de jeunes qui ont fait preuve d’un vrai professionnalisme. Le troisième point, c’est que le directeur du festival, Naoufel Ben Aïssa, avec l’ensemble de l’équipe, ont misé sur les nouveaux talents. Et cela à mon humble avis est justement le rôle essentiel d’un festival, à savoir promouvoir et dévoiler des talents cachés et de jeunes artistes au-delà de toute logique commerciale. De ce fait, même si le public ne suit pas ces artistes, il s’agit grâce à leur passage dans notre festival de prendre le risque de les médiatiser, de les faire connaître et de valoriser ce qu’ils font.
Pourriez-vous donner quelques noms de ces artistes ?
Il y a en effet les frères Gharbi. Ce n’est pas faisable généralement de programmer deux musiciens solistes, car la culture de la musique instrumentale n’est pas très répandue auprès d’une grande majorité de notre public à Hammam-Lif. Aussi, je peux encore citer Asma Othmani qui accompagnait les frères Gharbi, Jabeur Mtiri, Belgacem Bouguenna chanteur et compositeur de musique gnaoui.
Je pense que le directeur du festival, avait en tête toute une démarche artistique bien précise en éditant cette programmation. En ce sens, il y avait un fil conducteur entre les différents spectacles. Dès le début, l’ouverture s’est faite avec des chants soufis, avec El Hathra de Fadhel Jaziri. Après, ça a été au tour du chant arabe classique avec le grand et célèbre chanteur arabe Nour Mhanna qui s’est produit exclusivement pour le festival de Boukornine. Ensuite nous avons donné la parole aux jeunes avec différents genres musicaux comme pour le groupe «Bargou 08» ou encore aux rappeurs Hamzaoui et Kafon les deux artistes de la scène de la musique populaire à l’heure actuelle.
Mais il y a eu des désistements parfois à la dernière minute de la part des artistes, avez-vous des explications ?
Malheureusement, pour sa 35e édition le festival n’a pas vu se produire sur la scène de Boukornine Attia Sharara, l’un des protagonistes de la musique égyptienne contemporaine qui allait être accompagné par la cantatrice Leila Hjaiej. Cette annulation est due, entre autres, à un manque de coordination entre les différents acteurs organisant les manifestations culturelles dans notre pays.
À un moment où le budget alloué à la culture est en dégringolade, il y a beaucoup de désordre au sein du ministère et de tous les acteurs de la culture dans le pays. Il y avait en particulier des problèmes notamment avec certains députés originaires de la région de Ben Arous à laquelle appartient la ville de Hammam-Lif, à l’image de Salma Baccar qui veut faire la loi sur le programme culturel de la ville. Au-delà de cette personne, le festival de Boukornine a eu beaucoup de difficultés aux niveaux administratif, artistique, et d’engagement d’artistes au sujet de la date du spectacle.
Des exemples de désengagement d’artistes ?
Le fait qu’un artiste s’engage avec un festival et que par la suite il n’honore pas son engagement cause des problèmes au niveau de la crédibilité de notre organisation et des objectifs que le festival souhaite atteindre en matière de résonance culturelle. Ce qui est arrivé avec Jaâfar Guesmi et sa pièce de théâtre, Richard III, en est l’illustration.
Les causes de désistements de certains artistes relèvent du fait que certains spectacles sont subventionnés par le ministère de la Culture. Je m’explique. Le comité directeur du festival de Boukornine a connu en fait des flops, notamment avec quatre ou cinq spectacles, mais le restant des artistes a honoré ses engagements, il y en a même qui se sont produits deux fois sur scène à l’image du spectacle de Lotfi Abdelli Made in Tunisia is Back et qui a drainé du public et été un des moments phare de cette 35e édition.
Maintenant, comme je vous l’ai dit, les subventions de certains spectacles sont à l’origine du manque de coordination entre les différentes institutions. En l’occurrence, le ministère de la Culture n’a pas mis en place un personnel susceptible d’informer les artistes et d’assurer la réalisation des spectacles subventionnés au festival de Boukornine. Il n’y a pas donc de dispositif d’information prévenant les artistes et leur donnant un calendrier précis sur leurs prochaines performances dans les différents coins du pays. Prenons l’exemple de l’orchestre symphonique jeune allemand, lequel ne savait pas qu’il allait se produire sur la scène de Boukornine le 8 août 2014…. Cet orchestre a été uniquement au festival d’El Jem et par la suite il est parti alors qu’il est déjà sur notre programme. Aussi revenons à Jaâfar Guesmi. Cet artiste n’a pas honoré son engagement sous prétexte que l’argent qui a été alloué par le ministère de la Culture n’était pas suffisant pour assurer le bon déroulement de son spectacle […]. Le spectacle de Moez Mrabit n’a pas eu lieu aussi à Boukornine à cause d’une simple contrainte logistique. Cet artiste a préféré annuler sa prestation à notre festival estimant que sa troupe n’avait pas suffisamment de temps pour répéter, ce qui est pour lui un point capital. Pour finir, les Gospel Life Rejoice ne sont pas venus, car le festival de Boukornine, malgré la multiplication par deux de son budget, n’a pas eu les moyens de s’offrir cette troupe internationale. Il est donc temps aujourd’hui de mettre les bouchées doubles pour que le festival de Boukornine retrouve sa place d’antan, celle de l’excellence, au même titre que le festival de Carthage ou celui d’Hammamet. Pour cela, il faut encourager cette politique culturelle de proximité que nous avons essayé de mettre en place lors de cette 35e édition.
Propos recueillis par Mohamed Ali Elhaou