La femme tunisienne : une ligne rouge !

Jamais le 13 août n’a été fêté avec autant d’enthousiasme ! Environ 30 000 Tunisiennes et Tunisiens sont descendus dans la rue pour crier haut et fort leur attachement au Code du statut personnel (CSP). L’ambiance était festive malgré un sentiment de peur et de remise en cause des acquis. Reportage

 

Sous un ciel étoilé, des milliers de femmes et d’hommes avançaient lentement sur l’avenue Mohamed V, depuis la place 14 janvier, scandant des slogans condamnant l’article 28 relatif à la complémentarité dans le couple qu’Ennahdha voudrait inscrire dans la Constitution. Il n’en fallait pas moins pour créer un fort mouvement de solidarité chez les Tunisiens qui se sentaient menacés pour leurs acquis les plus chers. Le parti islamiste venait de toucher à une ligne rouge : il fallait réagir au plus vite. Tout le monde s’est donné rendez-vous ce soir-là. On affluait de toutes parts pour rejoindre la manifestation. Chacun portant son drapeau, certains en étaient même vêtus. L’avenue Mohamed V se drapait de couleur sang : la couleur de la Tunisie.

 

L’homme, allié incontournable de la femme

«Oui, je me sens menacée quant à mes acquis de femme. Je croyais que nous avions dépassé cette question de complémentarité au sein du couple depuis longtemps. Maintenant qu’on s’apprête à écrire une nouvelle Constitution, je m’attendais à ce qu’on passe à un autre stade au sujet des droits des femmes, notamment à l’égalité totale dans la citoyenneté. Malheureusement, on veut nous faire revenir en arrière», affirme Zoubeida, professeur universitaire.

Dans les slogans scandés par la foule, on décelait la colère et la rage des femmes tunisiennes qui se sentaient touchées au vif. Elles n’hésitaient pas alors à crier «Jebali laisse tomber, tu ne pourras pas asservir la femme tunisienne !» ou encore «la femme tunisienne, symbole de la République». Elles étaient là : des femmes de tout âge et de toute catégorie sociale, avançant ensemble telle une armée, le sourire aux lèvres, et lançant de temps en temps des youyous. A leurs côtés, des hommes: leurs maris, leurs frères, leurs amis, leurs fils qui venaient témoigner eux aussi de leur attachement aux acquis du CSP, non pas seulement pour témoigner leur solidarité envers les femmes, mais aussi pour illustrer leur conviction que si la Tunisie est arrivée à ce stade de développement et si elle a pu mener sa Révolution, c’est bien grâce au combat commun de ses citoyens des deux sexes, sans distinction. C’est ce qu’a voulu exprimer Chokri, 20 ans, portant une pancarte où il avait écrit «la femme tunisienne est «raouaâ» (une beauté) et pas «aoura» (une partie du corps qu’il faut cacher). Il est arrivé avec son copain de Hammam Lif pour dire qu’il est contre les atteintes aux droits des femmes. Mais il n’est pas pour l’égalité dans l’héritage : «Cela m’obligera à avoir la même part que ma sœur et lui donnera le droit de prendre le dessus sur moi», déclare-t-il en riant.

 

Bourguiba, dans tous les esprits

Pour ceux qui se sont mobilisés ce soir-là, il s’agissait de défendre tout le projet moderniste qui est remis en cause par l’article 28. «Ennahdha a fait une tentative sérieuse de vouloir passer cet article, même si on sait qu’elle finira par abandonner la partie, vu la pression de la rue et la grande mobilisation des Tunisiens contre le projet», affirme Samir Bettaieb, porte-parole d’El Massar et député à la Constituante. Les partis politiques qui étaient présents ainsi que les composantes de la société civile n’ont pas manqué d’exprimer haut et fort leurs soupçons à l’encontre du projet islamiste considéré comme rétrograde et non conforme à la personnalité tunisienne. On en a même parlé «d’un complot contre les acquis et les objectifs de la Révolution».

Durant toute la soirée, un homme était fortement présent dans tous les esprits, Bourguiba, auquel les femmes tunisiennes ne finiront jamais de rendre hommage. Samia levait une grande pancarte sur laquelle on pouvait lire «Bourguiba, tu nous manques». «Je suis la fille de Bourguiba. Si tout ce monde est là aujourd’hui pour fêter le 13 août, c’est grâce à ce grand homme qui nous a offert le CSP. Il ne faut jamais l’oublier», lance-t-elle avec enthousiasme avant de poursuivre : «Si on nous enlève le Code du statut personnel, nous serions comme les autres femmes dans les pays arabes, soumises et dominées».

Raja Farhat n’a pas manqué de caresser le souvenir du Combattant suprême, suscitant l’enthousiasme et l’adhésion la plus totale du public du Palais des Congrès, en présentant quelques extraits de sa pièce de théâtre «Bourguiba, dernière prison». Le public l’a fortement applaudi, mais c’est le fondateur de la Tunisie moderne et grand défenseur de la femme que l’on a salué à travers lui.

 

Propagande politique

Profitant de ce moment d’euphorie bourguibienne, les partis modernistes, tels que Al Joumhouri, Al Massar et Nidaâ Tounsi œuvraient pour gagner de nouvelles adhésions parmi les présents. Ils ont installé des stands sur le patio du Palais des congrès et essayé d’enflammer la salle avec des discours forts comme l’a fait Maya Jribi, Secrétaire générale d’Al Joumhouri, au point que l’on pensait se trouver à un meeting électoral.

L’euphorie du moment n’a pas fait oublier certaines défaillances concernant l’organisation de la fête de la femme : étroitesse du lieu, étouffement, circulation difficile à l’intérieur du Palais des congrès, chaleur. Une femme présente a fait remarquer la non-représentativité de la femme tunisienne dans ce meeting : «La femme rurale est comme toujours absente. On parle en son nom sans jamais prendre la peine de la faire venir pour qu’elle s’exprime elle même», a-t-elle souligné avec amertume.

La fête s’est poursuivie jusqu’à une heure tardive de la nuit. Les gens continuaient à affluer, d’autres quittaient les lieux avec le sentiment du devoir accompli.

L’inquiétude restait cependant dans les esprits, mais rassurée par une intime conviction: «La femme tunisienne est une ligne rouge qu’il ne faut pas franchir !

Hanène Zbiss

 

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