Fethi Zouhair Nouri depuis Saint-Pétersbourg: « La Tunisie ne demande pas de l’argent facile, elle demande de l’argent utile »

 Le Gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, M. Fethi Zouhair Nouri, a pris part au Forum économique international de Saint-Pétersbourg qui s’est tenu hier, vendredi 07 juin et qui s’est centré sur le rôle du secteur financier dans la réalisation des objectifs stratégiques de développement en marge de la transformation au service de la croissance mondiale.

L’objectif du forum était de discuter de la transition vers une économie mondiale multipolaire. D’où l’importance du rôle que doivent jouer les institutions financières du monde entier. La contribution des banques et des institutions financières, étant cruciale pour la réussite de la mise en œuvre des stratégies de développement et des objectifs de durabilité, le secteur financier est donc amené à réfléchir aux transformations liées à la croissance mondiale, pour jouer pleinement son rôle dans la réalisation des objectifs stratégiques de développement. A ce titre, il était question de débattre du rôle moteur que jouent les structures financières dans le développement économique et social, notamment l’instauration des outils adéquats, qu’il s’agit d’infrastructures, de la technologie, du climat, etc.

La présence a également débattu des moyens de déverrouillage, à grande échelle, du potentiel financier des marchés émergents. Ceci concerne, notamment le potentiel des nouvelles institutions de développement (internationales et nationales) qui seraient à même de renforcer la croissance mondiale.  Le système financier mondial est actuellement confronté à de nombreux défis.

Que faut-il fixer ? Par où commencer ? Que faut-il faire pour que le secteur financier des pays du Sud soit plus adapté à la réalisation des objectifs stratégiques de développement ? C’est autour de cet esprit global que l’évènement a tourné tout en passant en revue l’augmentation de la fragmentation géoéconomique, l’innovation combinée à des changements dans le paysage géopolitique, et les nouveaux défis sociaux et économiques à lever pour réinventer le système financier mondial actuel.

Nouri, il existe une galaxie des riches et une galaxie des pauvres!

Lors de son intervention, le gouverneur tunisien de la Banque Centrale a mis l’accent sur l’état des finances de la Tunisie et des pays du tiers monde lesquels, selon ses dires, souffrent d’un système financier mondial non équitable l’accablant de conditions contraignantes et entravant ainsi toute possibilité de développement économique.

« Depuis 1873 les économistes ont prouvé la relation directe entre le système financier et la croissance économique toutefois cette relation dépend du niveau du développement dans les pays. A mon sens, il existe deux galaxies celle des riche et celle de ceux qui n’arrivent pas à subvenir à leurs besoins. Et pour se faire une idée sur où se situe la galaxie des riches, on n’a qu’à consulter les chiffres. D’abord, faut-il mentionner qu’il existe actuellement plus de 60 places principales dans le monde au niveau boursier. La première place pèse plus de 103 milliards de dollars en terme de capitalisation boursière. Des crédits accordés par les banques au secteur privé dans cette  »galaxie des riches » représente 144% de PIB en 2021 ! Faut-il aussi noter qu’il existe une épargne très abondante en Europe, c’est l’épargne des ménages et qui représentent 35 milliards d’Euros ! Et ce, sans avoir à citer les chiffres alarmants aux Etats Unis !
Cependant dans l’autre galaxies, là où on vit nous, autres pays du tiers monde, les pays en développement ne détiennent que 20% des actifs financiers dans le monde. Nous avons donc un besoin de financement de 3.900 milliards. Nous sommes endettés. Et si j’ai donné ces chiffres, c’est pour faire passer un message à ceux qui s’intéressent à l’économie mondiale : l’accès de cette galaxie des pays pauvres aux sources de financement.
Dans quelles conditions cet accès se passe aujourd’hui ? Cela se passe dans des conditions foncièrement difficiles. Des conditions qui nous sont imposées par les institutions internationales et par tous les bailleurs de fonds. Et je voudrais justement citer ici le cas de la Tunisie, mon pays, un pays qui souffre de cette difficulté d’accès au financement extérieur. C’est à croire que ou bien nous sommes punis sans même savoir pourquoi, ou bien encore nous sommes privés des sources de financement extérieur pour pouvoir financer notre économie nationale. Et pour trouver le financement nécessaire aujourd’hui, nous aspirons au financement nécessaire pour pouvoir se développer. »

Les axes cruciaux

« Pour accéder au financement nécessaire, précise le gouverneur de la BCT, il faut d’abord travailler sur un premier axe qui est celui de créer de la richesse. Or, la création de la richesse est extrêmement difficile dans les pays du tiers monde tant on manque de ressources naturelles et financières et souffrons aussi de surtout de problèmes de gouvernance ! Pour se développer nous avons aussi la deuxième alternative qui est celle d’aller chercher de l’argent auprès du fond monétaire international. Or, la relation entre le FMI d’un côté et les pays du tiers monde de l’autre est très tendue ! Le FMI a toujours promis un seul type de croissance et c’est celui des pays riches ! Un type que les pays pauvres doivent imiter au détriment de leurs propres besoins ! Et ce, à côté du fait que l’institution mondiale ne prête pas assez d’argent et mets beaucoup de conditions avant de financer. D’ailleurs, et cela me fait très mal au cœur, je ne comprends pas pourquoi est-ce qu’on impose l’accord du FMI pour que les autres bailleurs de fonds acceptent de vous donner de l’argent pour financer l’économie ? Dès lors, si nous ne sommes pas en accord avec le FMI, pourquoi nous priver d’accéder aux autres marchés internationaux ? Pourquoi imposer une telle condition qui fait beaucoup de mal à multiples pays dont le mien ? Et si je n’ai pas d’accord avec le FMI pour le moment, ceci ne devrait pas priver la Tunisie d’être financée par des autres bailleurs de fonds ! Pourquoi nous priver d’autres sources de financement ? Nous refusons qu’on nous donne des leçons et sommes un pays libre et souverain qui a tout le temps respecté ses engagements et qui connaît parfaitement les étapes réglementaires de toutes ces institutions. Pis encore, le FMI utilise un double-langage ! Je cite ici le cas d’un pays qui vient de conclure son 123ème accord avec le FMI et qui à son 14ème sauvetage ! Comment voulez-vous aujourd’hui que mon pays, la Tunisie, soit capable de relever le triple défi de la viabilité de la dette, les impacts climatiques et de la transition énergétique sans avoir un accès aux financements extérieurs ? Ceci tout en sachant que les conditions du marché financier sont exorbitantes et contraignantes. Donc, aujourd’hui, il faut revoir la politique adoptée par le fond monétaire international avec beaucoup de pays du tiers monde. Il faut être plus équitable et plus justes pour que ces pays puissent profiter de cette masse d’argent qui circule aujourd’hui à l’échelle internationale. Qu’est-ce qui nous reste s’il n’y avait pas le FMI ? Il ne nous reste que les prêts bilatéraux ».

Notations du deux poids, deux mesures

« Or, ajoute le gouverneur tunisien, pour qu’un pays puisse donner de l’argent à un autre pays, il faut s’aligner sur la même politique du donateur ! Il faut s’aligner à sa politique étrangère dans le monde, et qui change vite. Si vous suivez ma politique étrangère, vous êtes mon ami et je vous donne de l’argent. Et si vous ne suivez pas ma politique étrangère et ma stratégie, vous n’êtes pas mon ami et je ne vous donne pas d’argent ! Donc, cette condition d’alliance exigée par les pays donateurs ne peut pas être en faveur des pays du tiers monde. Je continue de procéder par éliminations, que nous reste-t-il alors comme solution ? Il reste les marchés financiers. Mais là aussi, il existe un problème ! Car pour accéder aux marchés financiers, il faut obligatoirement passer par les agences de notations. Or, ces agences-là, on le sait tous, ne sont pas des enfants de chœur ! La notation se fait toujours suivant un modèle théorique difficile à appliquer par la majorité des pays en voie de développement. Et autant le dire, souvent les agences de notations cachent des positions politiques suivant leurs nationalités respectives. On subit cette sévérité dans la notation sans qu’il y ait un respect à notre propre modèle de croissance parce qu’on ne peut pas appliquer leur modèle type qui demeure non applicable alors que dans le fond la notation est d’ordre politique.

La Tunisie intégrera-t-elle le BRICS?

Je voudrais aussi mentionner les taux d’intérêt, ajoute M. Nouri. « La condition implique que lorsqu’on accepte que sur le marché international le taux d’intérêt sur le marché de financement est très élevé pour la Tunisie et qui est alentours de 12% alors qu’ailleurs, il est aux alentours de 1 et de 2% seulement ! Dès lors, nous demandons un système plus égalitaire et plus juste. La remise en cause d’un système financier injuste et la recherche d’alternatives poussent beaucoup de pays aujourd’hui à redresser et redessiner profondément leurs stratégies de financement. Plusieurs pays cherchent aujourd’hui à intégrer le groupe de BRICS pour profiter d’un financement qui leur serait accordé par la nouvelle banque créée par ce groupe.23 pays ont posé leur candidature cette année pour intégrer le BRICS car ils sont à la recherche d’un financement plus équitable. Ceci étant la Tunisie ne demande pas de l’argent facile, elle demande de l’argent utile pour le développement. On ne demande pas de l’argent magique, mais de l’argent qui nous sert, conclut-il ».

Décryptage par A.C.

 

NDLR: La vidéo sur ce lien : https://forumspb.com/en/programme/business-programme/131537/

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