Après des tractations qui durent depuis quelques années, la situation de crise du secteur laitier entre les différents acteurs débouche aujourd’hui sur un conflit ouvert. Ce conflit oppose les industriels, les collecteurs et les éleveurs d’un coté et le gouvernement de l’autre, sur le prix du lait. Les premiers voulant augmenter le prix mettant en avant la hausse de leurs charges, alors que l’autre, veut le maintenir.
Rare qu’une conférence réunissant l’Union tunisienne de l’Agriculture et de la Pêche (UTAP) et l’Union tunisienne de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat (UTICA), s’organise. Les deux patronats s’unissent pour mieux se défendre. C’est une véritable sonnette d’alarme que tirent les éleveurs de vaches laitières, conjointement avec les collecteurs et transformateurs du lait, mettant en garde contre l’effondrement incessant de l’ensemble de la filière du lait en Tunisie si des mesures urgentes ne seront prises.
A l’heure actuelle les éleveurs, les collecteurs et les industriels accusent une perte respective de 200 millimes, 55 millimes et 70 millimes sur le litre de lait. Ces pertes accusées peuvent mettre en péril la pérennité de leurs activités, les contraignant à l’arrêt de l’élevage, de la collecte et de la production.
La cause principale de cette perte est l’augmentation significative des coûts et charges, à tous les niveaux (salaires, pièces de rechange, cout de production…), sans une révision a minima des prix. La dernière révision de 30 millimes date de quatre ans. A titre d’exemple sur un litre de lait de 766 millimes, un kilo de fourrage coûte 820 millimes. A cela s’ajoute l’impact du dérapage du dinar face aux devises étrangères pour ce qui est de ces intrants nécessaires à l’alimentation, des médicaments vétérinaires et des emballages, importés. Le prix du litre en Tunisie est le plus faible dans la région. il est à 1120 millimes contre 1900 au Maroc, 1800 en Egypte et 1500 en Libye. Sans la subvention de l’Etat le prix du litre coûtera 1400 millimes.
Les protagonistes déplorent également l’évasion des troupeaux de vaches laitières vers des pays voisins au vu et au su des autorités mettant en danger le capital cheptel en Tunisie. Des éleveurs laitiers désespérés vendent à prix alléchant leur bétail aux algériens et aux libyens. Il faut rappeler que sur les 112.000 éleveurs existant 82.8% sont de petits éleveurs possédant de 1 à 5 vaches. Ils accomplissent 40% des journées de travail dans le secteur agricole et contribuent à hauteur de 11% dans la valeur de la production agricole. Par ailleurs le nombre des centres de collecte ne cesse de baisser depuis des années pour atteindre 240 en 2018 contre 273 centres en 2002. La faillite a couté la prison pour certains. La dette actuelle de ces centres est de l’ordre de 25 millions de dinars.
L’urgence de réviser le prix du lait
D’une même voix, éleveurs, collecteurs et industriels ont appelé les pouvoirs publics à se pencher immédiatement sur la révision du prix du lait et à l’ouverture d’un dialogue responsable afin de prendre les mesures urgentes salutaires. Devant une inflation qui avoisine les 7,8%, l’UTAP et l’UTICA ne se désengagent pas et prennent en compte le pouvoir d’achat du consommateur. Une révision du prix du lait serait mieux pour le consommateur que d’exporter du lait de l’étranger. Le prix du litre à ce moment là dépasserait le prix existant. Une légère révision des prix à un minimum acceptable, préservera pour le reste la filière du lait et évitera son effondrement. Cette augmentation ne serait pas moins de 325 millimes par litre, soit la valeur des pertes des éleveurs, collecteurs et industriels. La balle est dans le camp du gouvernement. Apriori selon les représentants des deux patronats, le gouvernement comprend les revendications du secteur et se déclare prêt à dialoguer et à trouver les moyens pour sortir de cette crise.
La filière du lait en chiffres
La transformation du lait et de ses dérivés représente 7% de la valeur des industries alimentaires. Cette industrie est forte de 45 unités dont 11 spécialisées dans le lait avec une capacité de 4.2 millions de litres/jour, 8 dans le yaourt, 2 dans le séchage et 25 dans les fromages. La production totale s’élève à 1.413 millions de litres par an, dont 995 millions de litres sont traitées et transformées par les unités industrielles. La consommation annuelle par tête d’habitant est passée en Tunisie de 83 litres par personne en 1994 à 110 litres par personnes en 2017 et reste insuffisante par rapport à la moyenne européenne qui est 250 litres par tête d’habitant.
N.J