Il faut dire que le secteur connaît des difficultés et des problématiques multiples et a fait récemment l’objet d’une table ronde qui a permis aux différents acteurs de la filière de débattre des solutions les plus efficaces pour éviter les risques réels d’un éclatement préjudiciable à l’économie tunisienne.
Un secteur en pleine expansion
Au fil des années, notre pays a construit tout un édifice comprenant à la base 300.000 éleveurs de vaches laitières qui livrent aux centres de collecte de lait le fruit de leur labeur. À leur tour, ces centres livrent le lait collecté aux centrales laitières, aux usines de fabrication de fromage et de yaourt. Enfin, le lait stérilisé ultra-haute température est mis à la disposition du consommateur dans les grandes surfaces et chez les épiciers.
Le caractère de produit périssable du lait est à l’origine d’une grande partie des difficultés, car il exige des conditions d’hygiène draconiennes pour sa conservation et son transport afin d’éviter toute contamination bactérienne préjudiciable à la santé des consommateurs.
Il y a plusieurs bassins d’élevage dans notre pays qui ont donné lieu à l’implantation de centrales laitières. Une à Soliman pour le Cap Bon et la région de Tunis, une autre à Bousalem pour le nord-ouest, une centrale laitière à Sidi Bou Ali pour le Sahel, une à Mahdia et une autre à Sfax pour la région.
Le rôle des centres de collecte de lait est très important pour le transport et la conservation réfrigérée du produit avant son transport vers les centrales, car les petits éleveurs sont démunis de moyens matériels et de ressources financières.
Il y a près de 150 centres de collecte qui ont besoin d’une mise à niveau sérieuse, car ils sont dépourvus de fonds de roulement, de plus leurs équipements sont vétustes et insuffisants : tanks à lait réfrigérées, camionettes-réservoirs, etc.
Des problématiques et des difficultés multiples
À la base du développement de la filière lait il y a 300.000 petits éleveurs, ce qui constitue une caractéristique du secteur. En effet, 98% de la production de lait est assurée par des éleveurs qui disposent au plus de trois vaches laitières, alors que 1,8% de la production est assurée par des éleveurs disposant de vingt vaches et plus.
Cela pose le problème de l’élevage hors-sol étant donné le manque de fourrages verts nécessaires à la production de lait à cause des faibles rendements obtenus. Il y a bien sûr une forte dépendance vis-à-vis des aliments concentrés pour le bétail dont les matières premières sont importées à un coût élevé, vu la parité du dinar par rapport aux devises étrangères.
La principale difficulté réside dans l’obligation faite aux producteurs durant la période de haute lactation (avril-mai) d’être contraints de se débarrasser d’importantes quantités de lait qui sont refusées par les centrales laitières, car elles dépassent leur capacité de traitement au souk fortement contaminées.
Il y a là un grave préjudice dont sont victimes les producteurs et qui se produit au détriment de l’économie tunisienne. C’est une grave perte pour les éleveurs à laquelle il faut trouver une solution. Ces scenarii catastrophes ne doivent plus se reproduire, car ils expriment le dysfonctionnement de nos circuits économiques.
Les trois instruments de régulation
Il faut dire que du moment que la production de lait et dérivés est excédentaire et en progression sensible, les marges de manœuvre existent. En effet, la demande ne manque pas du côté de nos deux voisins, Libye et Algérie, ce qui fait que les débouchés à l’export sont favorables. Il y a lieu de remarquer que les exportations selon les circuits parallèles existent déjà depuis longtemps, ainsi que d’ailleurs la consommation de 500.000 Libyens qui vivent en permanence chez nous depuis le déclenchement de la Révolution.
Quant à l’usine de Mornaghia, elle ne fonctionne que de manière épisodique. En effet, elle traite la lyophilisation du lait excédentaire et sa transformation en poudre, très appréciée par les fabricants de yaourt, mais qui peut par adjonction d’eau chaude se transformer en lait alimentaire selon les besoins.
Cette usine est fermée actuellement, mais elle est en bon état de marche et sa mise en activité dépend de la disponibilité de l’excédent en lait. Il faut dire que les gestionnaires de l’usine se plaignent du non-paiement par l’État des primes de stockage de lait relatif à l’exercice 2011 et 2012.
Cela nous conduit à évoquer le troisième instrument dédié à la régulation du marché du lait, soit le financement par l’État de stocks régulateurs que ce soit d’ordre conjoncturel, pour faire face à des périodes de grande consommation comme le Ramadan, ou d’ordre stratégique.
La participation de l’État dans ce domaine, semble-t-il, a tendance à baisser ; les primes payées par l’État en 2010 se sont élevées à 14 MD mais ont chuté à 4 MD en 2011.
Il y a là un relâchement de l’effort étatique vis-à-vis du soutien à apporter à une activité qui nourrit la population, notamment les enfants et qui procure revenus et emploi à des dizaines de milliers de personnes.
Ce qui s’impose de toute urgence actuellement, c’est une ferme volonté politique d’activer ces instruments afin de sauvegarder la filière, car elle repose sur l’engagement des éleveurs à poursuivre leurs activités. S’il y avait démotivation à cause des excédents ou de la non-rentabilité des élevages, toute la filière pourrait s’effondrer.
Le groupement interprofessionnel : quels pouvoirs ?
Le groupement interprofessionnel du lait et des viandes rouges est composé de représentants du ministère de l’Agriculture (l’autorité de tutelle), de l’Office de l’élevage, des éleveurs (UTAP), des centres de collecte de lait et des centrales laitières.
Il est appelé à étudier les questions relatives à la bonne marche du secteur et à coordonner les actions et relations entre les différents maillons de la chaîne. C’est pourquoi les représentants des ministères de l’Industrie et du Commerce, qui sont aussi partie prenante dans le secteur à titre d’autorités de cotutelle, devraient également être présentes lorsqu’il s’agit de proposer des mesures portant sur les prix, les opérations d’exportation ou d’importation ou encore lorsqu’elles concernent des décisions d’ordre organisationnel.
Le groupement ne peut-être efficace que s’il dispose de prérogatives et de compétences réelles et n’est pas obligé de faire uniquement des propositions à soumettre aux autorités de tutelle pour décision.
Le groupement doit assumer un rôle responsable pour le développement et l’avenir du secteur et doit pour ce faire disposer des compétences nécessaires.
M. Habib Djedidi, Directeur général de Tunisie-lait, assume la fonction de président du Conseil d’administration de groupement. Il est également président de la Chambre syndicale des industriels du lait, ce qui facilite la prise des bonnes décisions.
La partie qui n’est pas maîtrisée est la commercialisation du lait frais, de porte à porte, dans les circuits parallèles en toutes saisons et sans précautions d’hygiène ni réfrigération. Il s’agit là d’une part non négligeable de la production, évaluée à 40%, qui échappe à toutes sortes de contrôle, ce qui en fait une source de suspicions.
Il faut dire que dans son intervention le représentant de l’UTAP a insisté sur le fait que depuis trois ans le coût de l’élevage laitier a augmenté de 43% alors que les prix de vente à la production n’ont progressé que de 32%, d’où le manque à gagner des éleveurs. La pérennité de la filière laitière ne peut être assurée que si les trois instruments de régulation sont activés de façon simultanée, le groupement étant vigilant en permanence pour veiller sur la coordination entre les trois instruments. Il est évident que la priorité doit être accordée à l’approvisionnement régulier du marché local.
L’exportation, une orientation stratégique
Pour protéger le consommateur, les pouvoirs publics ont réglementé strictement le prix du lait à toutes les étapes : à la production du lait cru, à la sortie de l’usine, au niveau prix public, tout en fixant le montant de la prime de stockage et même la marge du centre de collecte.
D’où la rentabilité étriquée des centrales laitières compensée il est vrai par les marges confortables pratiquées sur les fromages et les yaourts. C’est pourquoi l’exportation autorisée par les pouvoirs publics devrait constituer une orientation stratégique et un choix. Elle ne doit plus être conjoncturelle, mais devrait devenir permanente.
Le représentant du ministère de l’Agriculture a informé l’assistance de la décision de l’Administration d’autoriser les exportations à concurrence de 10 millions de litres de lait pour alléger les stocks et permettre aux centrales laitières de réaliser des opérations lucratives avec les pays voisins. En même temps, l’État est disposé à financer la constitution de stocks de sécurité pour 50 millions de litres. En outre, le déblocage des primes servies par l’État et relatives aux années 2011 et 2012 au profit de l’usine de lyophilisation du lait vont lui permettre de reprendre ses activités.
Ridha Lahmar