Fin de partie


Alors que le pays s’enfonce, chaque jour un peu plus, dans une crise dont on voit mal l’issue, les investisseurs se sont lassés d’attendre un brin de lumière, des chefs d’entreprises ont fini, par désespoir de cause, de mettre la clef sous le paillasson, préférant se réfugier sous des cieux plus cléments, que d’autres désabusés ont décidé tout simplement d’entrer en chômage technique en raison de l’insouciance et du laxisme d’une Administration inerte et incapable de décider et d’agir, notre classe politique fait montre d’une désinvolture affligeante donnant l’impression d’être totalement déconnectée, insensible à tout ce qui se passe sur le terrain.
Au moment où le diagnostic établi est sans appel, elle demeure incapable de différencier l’essentiel de l’accessoire, préférant comme c’est le cas depuis maintenant plus de cinq ans, faire une fuite en avant, versant dans les excès et les querelles improductives qui témoignent d’une incapacité notoire de proposer des solutions alternatives qui permettent au pays de reprendre de l’espoir et de la confiance.
Dès lors, les douloureuses contractions qui font et refont surface ces derniers temps sur la scène politique, ne surprennent guère et n’annoncent que de fausses promesses, pas de changement. Le débat public a cessé de cerner les questions fondamentales, il se focalise sur des futilités, sur des conflits d’intérêt et une obsession qui habite de plus en plus nos politiques à se positionner pour accaparer le pouvoir par tous les moyens, y compris ceux que l’éthique reprouve.
Dans le tourbillon que vit NidaaTounes depuis maintenant plus d’un an, la succession de scandales et des coups bas, ourdis par les dirigeants de ce parti, devenu l’ombre de lui même et l’objet de raillerie, l’initiative de Béji Caïd Essebsi de former un gouvernement d’union nationale, qui était en réalité une manière détournée pour pousser Habib Essid à la sortie, a été la goutte qui a fait déborder le vase. Elle a été le révélateur des contradictions que vit la classe politique tunisienne, prisonnière d’un discours creux, décalé et ne produisant plus d’effet sur l’opinion publique.
Dans ce tourbillon, la question du départ de Habib Essid de la primature, qu’on croyait inéluctable, a révélé, à travers un drôle retournement de situation, la profondeur du malaise qui déchire notre élite politique, en panne de projets, d’idées et de voies favorisant le compromis.
Sous pression, depuis plus de deux mois, poussé vers la sortie, menacé d’être traîné dans la boue par certains conseillers très proches du président de la République, Habib Essid, visiblement touché dans son amour-propre, s’est mis soudain dans la peau d’un rebelle, d’un homme qui refuse de céder.
Un soldat, dit-il, ne déserte pas et ne se dérobe jamais de ses responsabilités. Mais que faire, quand le soldat Habib Essid se trouve dépouillé de toutes ses armes ?
Pourrait-il continuer à mener seul une bataille qu’il sait qu’elle est perdue d’avance et où les rapports de force sont en sa défaveur ?
Habib Essid qui fait de la résistance et qui prend goût pour bloquer un processus dont l’issue est tracée et sur lequel il n’a aucune emprise, ignore-t-il qu’il a perdu tous ses soutiens, que très peu, parmi l’écrasante majorité représentée à l’ARP, n’en veut plus de lui ?
Pourquoi, tient-il un discours et son contraire, en affirmant vouloir accélérer le processus tout en faisant tout pour que le statu-quo perdure?
Dans le cas d’espèce, abdiquer, n’est pas reconnaître sa défaite, mais revient à limiter les dégâts et à mettre un terme à un feuilleton qui a trop duré et à susciter une rupture que tout le monde réclame mais dont on ne sait où elle peut nous conduire.
incontestablement, Habib Essid apparaît ces derniers temps en homme seul, blessé et abandonné par ceux-là mêmes qui l’ont propulsé il y a plus d’un an et demi à la présidence du gouvernement contre le gré des dirigeants de NidaaTounes, qui se sentaient humiliés, frustrés et offusqués.
Alors que les jeux sont presque faits, quel intérêt de continuer à chercher à créer le buzz, en prenant un malin plaisir d’annoncer sur les antennes d’une chaîne de télévision privée de faire l’étalage du linge sale d’une classe politique à laquelle les Tunisiens sont devenus insensibles.
Pourquoi perdre encore du temps dans des polémiques stériles et rechercher de faux fuyants en refusant de se résoudre à l’évidence ?
L’interview qu’il a accordée à la chaîne de télévision «Attassiaa» et les confessions intimes que Habib Essid a faites, dans un moment, peut-être, de désarroi, de faiblesse ou d’extrême déception, n’ont pas produit l’effet escompté. Le scénario a été mauvais, donnant la confirmation d’un homme seul, lâché et sans aucun avenir politique. Un scénario qui a prouvé, une fois de plus, une défaillance affligeante au niveau de la communication gouvernementale qui a failli, par incompétence et aussi par de mauvais calcul, à sa mission. Au lieu de lui offrir l’occasion de s’adresser aux Tunisiens, de signer la fin de sa mission sur une note valorisante, ils ont présenté Habib Essid sous l’image d’un homme qui s’agrippe au pouvoir, refuse de quitter la Kasbah et accepte mal la fin de la partie.

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