Le financement extérieur a pris pied dans le débat économique, politique et médiatique national, durant les dernières années. Il devient un sujet de controverses récurrent. Il en est question de plus en plus dans l’actualité, à l’occasion de chaque opération d’emprunt extérieur, et de toutes négociations de programmes de coopération avec les partenaires étrangers. Expression de dépendance, voire d’ingérence étrangère pour les uns, posant soucis d’insoutenabilité de la dette pour les autres, traduisant des ressources mal exploitées pour certains, considérée comme moyen incontournable pour résoudre les problèmes socioéconomiques du pays, par d’autres, la question du financement extérieur a besoin d’être réinstallée dans le débat public d’une manière objective, loin des discussions fébriles et des surenchères. Le plus important est de rendre ce mal nécessaire, un véritable vecteur du développement.
Il faut préciser d’emblée que l’insertion de la Tunisie dans la logique des relations financières internationales a beaucoup contribué au processus de développement national sur plus d’un demi-siècle d’indépendance.
C’est grâce à un large éventail d’opérations de financement (ensemble des ressources mobilisées par le secteur public et les entreprises privées, sous forme de dons, de prêts et d’investissement directs et de portefeuille) mobilisé au double plan bilatéral et multilatéral, en appui à un long processus de réformes inscrites dans les différents plans de développement, que le pays a pu enregistrer des résultats globalement positifs au niveau de la stabilité macroéconomique, de la modernisation de l’infrastructure et de la promotion des programmes sociaux et du développement humain. Ce soutien extérieur a permis à la Tunisie de drainer des ressources colossales, sans ébranler la soutenabilité de la dette et, en même temps, d’honorer ses engagements sans jamais solliciter un rééchelonnement.
Grâce à une politique de gestion active (programmation des besoins, suivi des conditions de marché, adoption d’instruments de couverture contre les risques, paiement par anticipation de la dette, option pour les longues maturités etc.), le taux d’endettement a nettement baissé pour se stabiliser à 36.9% du revenu national disponible en 2010 avant de rebondir à 43.7% en 2014. La structure de la dette a été, également, maîtrisée, dans la mesure où, la part des engagements à durée de remboursement dépassant 10 ans représente prés de trois quart du stock total, alors que 80% de la dette est contractée à des taux d’intérêt fixes. La confiance dont jouissait la Tunisie auprès de l’étranger lui a permis de lever des fonds conséquents sur le marché financier international depuis le début des années quatre vingt dix. Le nombre des entreprises étrangères en activité en Tunisie depuis la promulgation de la loi 72 jusqu’à fin 2013 a atteint 3 162 entreprises employant 334 mille personnes, contribuant ainsi à l’effort de production, d’investissement, d’exportation et d’emploi. Cependant, la dégradation de l’environnement des affaires durant la phase de transition a mis une sourdine à l’attractivité du pays et pose un défi majeur à relever.
Défauts structurels et conjoncturels
Le comportement passé et présent du financement extérieur révèle un ensemble de défauts réels d’ordre structurel et conjoncturel auxquels il faut accorder une importance particulière.
Au plan structurel, la Tunisie a, en fait, accédé au stade des pays à revenu intermédiaire qui la rend inéligible à des fonds concessionnels dédiés seulement aux pays pauvres. De plus, les flux d’investissements extérieurs restent largement en deçà des flux drainés vers les pays émergents de l’Asie, de l’Amérique latine et de l’Europe de l’est. En termes de structure, les investissements de portefeuille (placement de valeurs mobilières) demeurent faibles à cause de la règlementation de ce genre de capitaux, tandis que les investissements directs restent fortement concentrés sur le secteur énergétique qui accapare prés de 60% des entrées. Par ailleurs, l’expertise de l’Administration tunisienne et sa grande capacité de négociation avec les bailleurs de fonds ne doit pas voiler l’existence de lacunes managériales causant des surcoûts au titre du paiement de commissions d’engagement (rémunération perçue par le bailleur de fonds tant que la ligne de crédit n’est pas utilisée par l’emprunteur) et de l’annulation de dons non consommés dans les délais impartis.
Au plan conjoncturel, la Tunisie a récemment fait preuve d’un manque de capacité d’absorption des programmes d’appui extérieur, en témoigne le retard dans la promulgation d’un nombre de textes réglementaires représentant des conditions de décaissement des tranches de crédits liés aux programmes de réformes conclus, notamment, avec la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. A maintes reprises, les bailleurs de fonds ont considéré que la Tunisie accuse un retard dans l’engagement des réformes convenues, ce qui les a amenés à réduire les montants à décaisser ou de les renvoyer à des échéances ultérieures. Cette « débandade » s’explique, d’une part, par la sous-estimation de l’ampleur de certains engagements qui auraient éventuellement pris le temps nécessaire, eu égard à l’absence de consensus requis et d’autre part, à l’instabilité politique et l’alternance des gouvernements qui n’ont pas su ou pu initier un processus de réformes.
En outre, l’absence de vision stratégique, dans la foulée de la suspension des plans de développement, n’a pas aidé à bien délimiter les besoins réels du pays, ce qui a relativement affaibli la position des gouvernements dans les négociations avec les bailleurs de fonds. A cela s’ajoute une autre contrainte dictée, cette fois ci, par l’échéancier de la dette extérieure, lequel prévoit une lourde concentration d’échéances durant le prochain quinquennat, exigeant ainsi la mise en place d’une stratégie idoine pour assurer la soutenabilité des finances extérieures.
Suivre des voies soutenables
Il est plus que jamais nécessaire de poursuivre le processus de mobilisation des ressources extérieures pour colmater des besoins futurs grandissants et de saisir les opportunités offertes par la globalisation financière dans une perspective de développement prônant plus d’ouverture et une intégration agissante à l’environnement régional et international. A cet effet, il est recommandé d’engager des actions plus concrètes au plan économique, institutionnel et diplomatique.
Cela requiert, en premier lieu, de rétablir la stabilité des grands équilibres de l’économie à travers la poursuite du processus d’ajustement macroéconomique afin de reconstituer les espaces budgétaires adéquats, favorisant les conditions de la reprise économique et la durabilité de la croissance à long terme, en consolidant la notation souveraine, dans l’objectif de lisser la charge de financement. Il s’agit, ensuite, d’accélérer le rythme et l’ampleur des réformes structurelles, afin de rendre l’environnement des affaires plus attractif pour l’investissement direct étranger et relever le niveau de la croissance potentielle de l’économie, qui est le gage d’une dette soutenable. Ces réformes devraient porter sur l’ancrage de la bonne gouvernance, la modernisation de l’infrastructure, le développement des ressources humaines, la revue du cadre législatif et réglementaire régissant les incitations à l’investissement, l’innovation, le secteur financier, la fiscalité, la libéralisation du compte capital etc.
La réalisation de cet objectif exige l’existence d’institutions responsables. En effet, il importe de prendre des engagements à la hauteur des capacités du pays en améliorant et en renforçant le dialogue avec les bailleurs sur des programmes de réformes politique et économique dont la faisabilité est prouvée, non en se ruant au renflouement des caisses pour se retrouver, ensuite, dans la difficulté de passer ces réformes. Les pouvoirs publics devraient, également, mieux accorder leurs violons et renforcer les mécanismes de concertation sur les questions de coopération afin de défendre un discours commun lors des négociations, de fédérer les efforts et d’optimiser les offres de soutien financier extérieur.
Ensuite, il est impératif de mettre en place un système de suivi et d’évaluation, au double plan national et sectoriel, de l’état d’avancement des projets de développement et des programmes de réformes convenus avec les bailleurs et ce, dans l’objectif de rentabiliser les fonds à disposition et éviter, par là, les coûts d’inefficacité et les risques de perte de ressources rares et toujours à contrepartie . L’organisation de grands forums sur le financement extérieur de l’économie est toujours favorablement accueillie, mais à condition d’être accompagnée par une vision et des projets qui suscitent, assurément, l’engouement des étrangers.
Une diplomatie proactive
Les enjeux économiques devraient, désormais, être placés au premier rang de l’action du ministère des Affaires étrangères, en collaboration étroite avec les autres ministères concernés, pour donner un nouvel élan à la coopération internationale et promouvoir l’attractivité du territoire tunisien. La diplomatie économique appelle le renforcement et la promotion de nouveaux dispositifs et outils à l’instar du réseau diplomatique, devant être en phase avec les réalités internationales. La promotion des compétences spécialisées dans les services diplomatiques à l’étranger est capitale, afin de promouvoir la « destination Tunisie» pour attirer davantage d’investissements étrangers dans des secteurs prometteurs de l’industrie et des services, à même de maximiser le drainage de ressources sous forme de dons, ou à des conditions moins onéreuses. La diplomatie économique devrait, aussi, se focaliser sur les dossiers s’inscrivant dans le cadre du partenariat de Deauville, en l’occurrence la poursuite du processus de négociation avec les grands pays pour pouvoir transformer une partie de leur dette en investissements, en plus de l’exploration des modalités pratiques susceptibles d’accélérer le processus de restitution des avoirs mal acquis et des fonds spoliés par l’ancien régime, dont le bilan reste trop timide.