Finances publiques: Dérapages pernicieux

 

Ce n’est un secret pour personne que, depuis quatre ans, les équilibres financiers macro-économiques sont chancelants et les dérapages budgétaires multiples.

Cette situation va se poursuivre encore, et prendre plus d’ampleur en 2015, faute d’une loi de Finances complémentaire alors que notre pays est censé avoir dépassé la phase de transition politique.

En effet, il manquait 7 milliards de dinars pour boucler le budget 2015, avant la conclusion du récent emprunt obligataire de 1 milliard de dollars US sur le marché financier international.

Par ailleurs, les crédits consacrés au développement ne représentent que 5 milliards de dinars sur un budget de 29 milliards. Par contre, les dépenses de fonctionnement de l’État atteignent 18 milliards de dinars dont plus de 11 milliards de dinars consacrés aux salaires de l’Administration. Soit 1000 dinars par contribuable, ce qui est trop lourd surtout que le rendement est trop faible.

Les différents gouvernements qui se sont succédé depuis quatre ans, n’ont pas ménagé, peu ou prou, le train de vie de l’État. C’est ainsi que, malgré les difficultés budgétaires, nous n’avons pas constaté que le gouvernement eût procédé à des économies dans les frais de fonctionnement  tels les frais de mission ou des réceptions, les dépenses en carburant ou encore le gel des salaires, des indemnités et des primes. Au contraire, l’Administration a continué à recruter et les entreprises publiques poursuivent l’alourdissement de leur déficit et de leur endettement, vouées à des subventions d’équilibre sans autre sanction.

Pour ce qui est de la promotion de la croissance, ce ne sera pas le cas en 2015. En effet en misant sur la consommation la croissance ne peut être qu’artificielle, lente et fragile, génératrice d’inflation galopante. C’est le choix volontaire d’une stratégie de développement, fondée sur l’investissement public censé tirer vers l’avant l’investissement privé, qui est susceptible de structurer la croissance et de tirer vers le haut la création d’emplois.

Il faut croire que l’instauration d’une véritable politique d’austérité fait peur aux gouvernants. Se rendre à l’évidence et reconnaître que notre pays est loin d’être riche, nous devons donc “serrer la ceinture”, État, entreprises et citoyens confondus, pour préserver l’avenir et investir pour promouvoir la croissance.

Les gisements d’économie de frais ne manquent pas : dégraisser la fonction publique de tous ceux qui ne sont pas indispensables à la bonne marche du service public, réduire les budgets “mission et réception” à leur plus simple expression, réduire et mieux gérer le parc-auto de l’État et les bons de carburant (une véritable hémorragie), fermer les ambassades et les consulats qui font de la figuration plutôt que de l’efficience,…

L’emprunt obligataire contracté récemment sur le marché financier international privé pour un montant de 1 milliard de dollars US, soit près de 2 milliards de dinars à un taux de 5,75% par an avec une maturité de dix ans, a toutes les apparences d’une performance lorsqu’on connaît les conditions dans lesquelles il a été concrétisé.

D’abord la notation de la Tunisie par les trois agences internationales est loin d’être un critère incitatif ou rassurant vis-à-vis des investisseurs : BB moins avec perspectives négatives. Ensuite la Tunisie n’est pas garantie par un État riche ou une grande institution financière comme ce fut le cas précédemment pour d’autres emprunts (Japon et USA).

Il est vrai que trois grandes banques ont dirigé l’opération soit JP Morgan et Citibank (USA) et Natixis (Europe) et ont donc engagé leur crédibilité et leur capital confiance dans l’opération. Cela a permis de recevoir une offre de 4,3 milliards de dollars de la part de 270 investisseurs.

Il faut dire qu’il s’agit d’un vote de confiance vis-à-vis d’un processus réussi de transition démocratique, unique dans le monde arabe.

Il y a lieu cependant de remarquer que notre pays continue à emprunter en devises pour financer des dépenses de fonctionnement et de consommation (dont les salaires de la fonction publique), les crédits consacrés à la compensation ainsi que les remboursements de la dette publique.

Un taux de 5,75% par an sur dix ans c’est 353 millions de dollars d’intérêts et agios à rembourser sans compter le principal. Ce taux est particulièrement élevé comparé aux taux accordés par les crédits FMI ou BIRD qui évoluent entre 1% et 3%. On aurait pu différer de deux ou trois mois la conclusion de cet emprunt en attendant l’amélioration prévue en mars des notations souveraines, ce qui aurait permis d’obtenir de meilleures conditions au niveau du taux d’intérêt.

Emprunter en Tunisie ou à l’étranger pour investir dans de grands projets de développement trouve non seulement sa justification mais permettra, à partir de la rentabilité directe et indirecte de ces projets, de rembourser ces crédits.

Alors qu’emprunter pour consommer sous forme de salaires ou de frais de fonctionnement pose l’embarrassante question du “comment rembourser” ?

Une autre question se pose, pourquoi recourir aux emprunts extérieurs, alors que moyennant une réforme fiscale porteuse et ciblée (qui ferait payer tous les citoyens proportionnellement à leurs revenus réels), on peut ainsi boucler le Budget de l’État sans recours à l’emprunt ?

De larges franges de la société tunisienne parmi celles qui bénéficient de revenus confortables ne paient pas du tout ou si peu d’impôts tels les forfaitaires, les professions commerciales et libérales, alors que ce sont les salariés qui assument un lourd fardeau fiscal.

L’évasion et l’injustice fiscales demeurent encore en vigueur surtout lorsqu’il s’agit de commerce parallèle.

Entre-temps le déficit courant du commerce extérieur évalué à 12 milliards de dinars à cause des importations de produits de luxe inutiles, entraîne une chute plus rapide du dinar.

Espérons que le nouveau gouvernement aura le courage et la pertinence de prendre les mesures de sauvetage qui s’imposent d’urgence.

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