Fiscalité: Où sommes-nous de la réforme fiscale ?

La réforme fiscale est une urgence financière destinée à sauvegarder l’équilibre budgétaire, mais aussi une nécessité sociale ayant pour objectif de rétablir l’équité fiscale et favoriser la redistribution de la richesse nationale à travers les transferts sociaux.

C’est également un engagement que les gouvernements successifs, après la révolution, ont pris vis-à-vis des institutions financières internationales pour la négociation des emprunts destinés à soutenir la transition économique. Depuis trois ans, on parle beaucoup de cette réforme, mais on attend toujours la concrétisation des mesures destinées à la confirmer dans les faits.

Les nouveaux gisements de croissance
Mme Laura Baeza, ambassadeure, Chef de la Délégation de la commission européenne à Tunis a affirmé, récemment, que l’économie tunisienne a fait preuve d’une grande résilience depuis le déclenchement de la Révolution en 2011. Certes, la transition économique s’avère très difficile : l’UE évalue à 1,7% le taux de croissance économique réalisé au cours du premier semestre 2015, ce qui est insuffisant pour endiguer le taux de chômage qui dépasse 15% de la population active, alors que le taux d’endettement frise les 60%.
Il y a là des facteurs d’instabilité affirme la diplomate.
La Tunisie doit dégager de nouveaux facteurs de croissance qui pourraient être les suivants : rétablir un rythme de croissance rapide des exportations, mais aussi relancer les investissements extérieurs et nationaux de façon à faire progresser la productivité.
Il y a également nécessité d’accélérer la mise en œuvre des réformes de structures pour impulser une croissance inclusive avec mise à profit des avantages compétitifs du pays.
L’objectif consiste à transformer la structure de l’économie tunisienne et dans ce but, la réforme de la fiscalité revêt une importance capitale car elle va introduire transparence, simplicité et équité et en même temps, elle va dégager des ressources pour le Budget. Mme Baeza ajoute que des mesures qui consistent à standardiser les régimes fiscaux entre entreprises off-shore et on-shore et abaisser les taux tout en élargissant l’assiette fiscale, sont appropriées pour relancer la croissance.

Les reproches et les préalables
MM. Skander Sellami et Badi Ben Mabrouk, membres de la Chambre de commerce et d’industrie tuniso-neerlandaise sont intervenus pour émettre des réflexions et des suggestions relatives à la réforme fiscale.
Il est nécessaire en matière de fiscalité d’avoir un préalable : définir le modèle de société que nous voulons instaurer dans notre pays. Ce modèle de société doit servir de référence pour inspirer un système fiscal susceptible de favoriser l’éclosion de cette société, or nous n’avons pas encore défini ce modèle de société.
Le reproche fait à ce projet est qu’il est imposé aux entreprises qui n’ont pas participé à son élaboration. Ce n’est pas un projet participatif.
Un autre problème a été posé, c’est celui des garanties proposées aux contribuables par le fisc.
Il est nécessaire d’avoir une vision stratégique de l’économie du pays avant de réformer la fiscalité. Il y a une distinction à faire entre les principes fondateurs de la réforme fiscale d’une part, et d’autre part les mécanismes de mise en œuvre, ce qui n’a pas été fait au niveau du ministère des Finances.
Une autre question a été posée : quel est le rapport entre impôts directs et indirects ?

Les objectifs de la réforme
Selon l’intervention de Mme Boutheïna Ben Yaghlane, secrétaire d’Etat auprès du ministre des Finances, la loi de Finances complémentaire sera finalisée fin juin 2015. Elle comporte non seulement des mesures destinées à favoriser les ressources et l’équilibre budgétaire mais également plusieurs dispositions de nature à assurer la relance économique, vu la stagnation économique actuelle.
La secrétaire d’Etat n’a pas manqué de souligner la multiplicité des défis socio-économiques que notre pays doit relever avec leur cortège de revendications sociales.
Il faut dire que la crise du secteur des phosphates persiste encore, outre la crise du tourisme qui s’abat de plein fouet au cœur de la haute saison.
Mme Ben Yaghlane a affirmé que le gouvernement va négocier à partir du mois d’octobre 2015 avec l’Union européenne un accord de libre-échange approfondi et élargi au secteur de l’agriculture et des services qui va ouvrir de nouvelles perspectives à notre pays.
La secrétaire d’Etat a exprimé son souhait de voir ce partenariat privilégié, revêtir également le statut d’associé pour notre pays.
En ce qui concerne la réforme fiscale durant les années 2013 et 2014, 6 équipes ont travaillé au ministère des Finances pour faire un diagnostic de la situation et proposer des solutions pour réformer la fiscalité dans toutes ses dimensions. Cela a abouti en novembre 2014 aux assises de la fiscalité, une réunion qui a regroupé 400 personnes dont les cadres de l’Administration, des experts et des consultants.
Des mesures ont été proposées, mais la réforme n’est pas définitivement bouclée. Le ministère des Finances continuera à travailler, encore sur ce thème dans le but de plus de simplicité et d’équité.
La secrétaire d’Etat affirme qu’actuellement les services de la fiscalité étudient différents paramètres et se livrent à différentes simulations pour comparer l’impact des différentes mesures à prendre en matière de fiscalité.

Rapprocher les deux régimes on et off-shore
Le régime fiscal des entreprises exportatrices était privilégié sans paiement d’impôts sur les bénéfices. Or, avec l’autorisation faite aux entreprises off-shore de vendre jusqu’à concurrence de 50% de leur production sur le marché local, une entorse à la concurrence loyale est introduite par le législateur, puisque les entreprises locales paient leurs impôts sur les bénéfices.
C’est pourquoi, il y a un souci de la part du gouvernement d’unifier les deux régimes, sinon de les rapprocher.
Une décision a été prise : 10% d’impôt sur les bénéfices des entreprises off-shore. Il reste à revoir le taux pour les entreprises locales. Peut-être 15%. Rien n’a encore été décidé de façon définitive.

Baisser les droits de douane pour réduire la contrebande
La contrebande a connu une progression fabuleuse à travers les frontières à partir du moment où les taux légaux de paiement des droits et taxes douanières sont très élevés.
Cela crée une grande disparité entre le prix des produits de contrebande et ceux des produits qui ont emprunté les circuits légaux avec paiement des droits et taxes douanières.
L’intention du gouvernement de baisser les taux légaux de taxation douanière pourrait engendrer une « proximité des prix » des produits qu’ils soient dans la légalité ou la contrebande. Ce qui pourrait dissuader les contrebandiers de poursuivre leurs activités à cause de l’ampleur des risques encourus.
Il y a là une piste pour intégrer le commerce informel dans l’économie légale progressivement.

Y a-t-il un agenda pour l’application de la réforme ?
Depuis trois ans on entend parler de réforme fiscale, des commissions se créent, des réunions sont organisées à ce propos, des études sont menées sous des gouvernements successifs en 2012, 2013 et 2014. Sans résultat concret.
Les assises nationales de la fiscalité ont été organisées et des résolutions ont été prises, mais il n’y pas encore d’application.
Est-ce un manque de courage politique de la part du gouvernement ? Est-ce la crainte de réactions ou de résistances de la part des privilégiés dont les intérêts pourraient être menacés ?
Selon Mme Ben Yaghlane, l’application de la réforme sera graduelle, sur trois ans, à partir de 2016. Tandis que les mesures ont été et seront prises à l’occasion de l’élaboration des lois de Finances et de Finances complémentaires successives en 2013,2014 et 2015
C’est comme si le gouvernement dans un souci d’éviter les levées de boucliers et les bouleversements possibles, tentait de « faire avaler la pilule » par petites doses !

Modernisation de l’administration fiscale
Si nous voulons réformer la fiscalité dans notre pays et réconcilier le contribuable avec le fisc, alors que le Tunisien n’a pas du tout cette culture, l’administration fiscale doit être transformée.
La secrétaire d’Etat a affirmé la nécessité de renforcer les capacités des agents du fisc par une formation appropriée. Un nouveau système d’information doit être mis en place pour assurer la fiabilité et l’efficacité de l’optimisation des recettes fiscales.

Des amnisties en gestation
La question a été posée à la secrétaire d’Etat s’il y avait une intention de la part du gouvernement de prononcer une amnistie fiscale et une amnistie de change.
La réponse a été faite sous forme d’une « pirouette significative » : il y a aura du nouveau dans 15 jours.
Cela pourrait être interprété comme une réponse positive puisqu’il n’y pas de réponse négative.
Cependant chaque amnistie serait sûrement assortie de conditions particulières.

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