Selon les normes juridiques, le droit est adapté à chaque fois qu’il y a une situation de crise par le biais de l’interprétation ou de l’amendement. En Tunisie post-révolutionnaire ce n’est pas le cas. C’est dans ce cadre que l’association tunisienne du droit constitutionnel (ATCD) a commencé à penser cette corrélation qui existe entre les sous-systèmes «politique et juridique» et les exemples qui en découlent dont l’OPPP – Organisation provisoire des pouvoirs publics – en collaboration avec la fondation allemande Hanns Seidel, lors d’une table ronde autour du thème «La crise de droit et le droit des crises». Le corpus juridique mis en place est-il la cause de ce blocage? Focus.
«Le flou voire les ‘‘vides’’ juridiques sont, aujourd’hui, le résultat du manque d’imagination. Toutefois, ces problèmes peuvent être résolus selon les normes juridiques soit par l’interprétation soit par l’amendement», nous a affirmé Farhat Horchani, président de l’Association tunisienne de droit constitutionnel (ATDC). Il souligne que : «la solution aux problèmes politiques que connait la Tunisie est politique avant qu’elle ne soit juridique. On ne peut sortir de la crise si la Constitution ne prévoit pas l’hypothèse de modification du texte quand il comporte des lacunes. De ce fait, l’ANC doit adopter une loi ayant pour but la modification de la Constitution. Cela ne pourrait être possible que si les politiques arrivent à trouver un terrain d’entente.»
Une OPPP qui n’arrive pas à opérer
L’OPPP provoque une vaste controverse. Outre les lacunes que connait son texte, les politiques ne recourent pas aux textes de loi existants. «Je ne sais pas si les politiques consultent les juristes et les experts de droit avant de donner des déclarations», s’est exclamée Ikbal Ben Moussa, enseignante à la Faculté de droit et des sciences politiques, à Tunis.
Notons que le chef du mouvement Ennahdha, Rached Ghannouchi, avait proposé l’organisation d’un référendum en août 2013 pour mettre un terme à la crise politique. Les citoyens auraient eu à choisir entre le maintien de l’ANC et du gouvernement ou leur dissolution. Une proposition qui aurait pu être réalisable si elle avait été conforme au texte de loi. Or, il n’existe pas de plateforme juridique traitant du référendum.
Ikbal Ben Moussa reproche au texte de l’OPPP le flou constaté au niveau des chapitres pouvant entretenir une confusion sur le rôle et les prérogatives du chef du gouvernement d’une part et du président de la République d’autre part.
Rappelons que l’extradition en Libye de l’ancien Premier ministre libyen Baghdadi Mahmoudi avait provoqué une polémique autour des prérogatives de l’un et de l’autre. Le recours à l’arsenal juridique aurait pu éviter cette crise politique.»
En effet, l’article 20 de la section III portant sur le conflit de compétences relevant de la loi constituante datant du 16 décembre 2011, n°6, relative à l’OPPP, stipule que les conflits relatifs aux compétences du président de la République et du président du gouvernement sont soumis à la demande de la partie la plus diligente, à l'Assemblée nationale constituante qui tranche le litige par une décision prise à la majorité de ses membres, et ce après avis de l'assemblée plénière du tribunal.
«L’OPPP est incapable de faire sortir le pays de la crise parce qu’elle n’anticipe pas les situations de crise», ajoute l’enseignante. Pour preuve, le texte ne prévoit pas la démission du gouvernement (à son initiative). Il se limite, dans ses articles 15 et 19, à l’exemple de la chute du gouvernement suite à une motion de censure ou à sa formation.
Droit et politique
Contrairement à ce que pense la juriste Ikbal Ben Moussa, la constitutionnaliste Salsabil Klibi estime que le droit ne peut pas tout prévoir. Ainsi, «la complétude juridique par le biais de l’interprétation pourrait combler tout vide juridique, de même dans le droit de crise qui est un droit d’exception, hors norme», précise-t-elle. Toutefois, selon le professeur de droit Chawki Gaddes, l’interprétation a également montré ses limites. «Le problème n’est pas seulement juridique, mais il est également politique», nous affirme-t-il.
Désormais, c’est à la fois le flou et le vide juridiques qui provoquent la controverse. Exemple : le règlement intérieur de l’Assemblée constituante (ANC). «Le texte fondamental de l’OPPP pose lui-même des problèmes parce qu’il n’arrive pas à régler la situation de crise. De ce fait, le règlement intérieur de l’ANC ne pourra qu’aggraver la crise», poursuit Salsabik Klibi.
Ce règlement intérieur est le prolongement de l’organisation provisoire des pouvoirs publics. Ce texte qui comporte 143 articles se propose de détailler la loi relative à l’OPPP et de la compléter, mais en se limitant à une seule institution : l’ANC. La constitutionnaliste précise que le règlement intérieur privilégie la fonction législative de l’ANC sur la fonction constituante, ce qui explique inéluctablement la lenteur des travaux de l’ANC. Ainsi, le texte laisse à croire que cette institution est un parlement et non pas une organisation constituante, comme elle devrait l’être.
«Le droit n’est pas une baguette magique, nous affirme la constitutionnaliste Salsabil Klibi. Et de conclure «si on n’utilise pas le droit pour aboutir à des consensus, on ne pourra pas apporter de solutions à la crise politique. Le pouvoir en place doit avoir une volonté politique pour dépasser la crise en se basant sur l’arsenal juridique.»
Chaïmae Bouazzaoui