FMI vs BRICS : La Tunisie a-t-elle (encore) le choix ?

La paix sociale n’a pas de prix. Le prêt du FMI, si. Les réformes immédiates exigées par l’institution financière ont un coût social et menacent la paix civile. Après plusieurs mois d’attente infructueuse, le président Kaïs Saïed a décidé de se démarquer du prêt et des « diktats » du FMI. Mais à quel prix ?

En prônant le compter-sur-soi, Kaïs Saïed n’ignore pas qu’à court terme, cela ne suffira pas, les besoins en financements sont faramineux et dans un contexte de crise économique aiguë. Existerait-il une alternative secrète à l’institution de Bretton Woods ? Si oui, ce ne peut être que les BRICS. Dans le cas échéant, et vu le contexte mondial, la Tunisie, qui fait déjà l’objet de campagnes de stigmatisation, d’ici et d’ailleurs, devra se préparer à affronter une guerre politique et médiatique et peut-être même des sanctions économiques américaines et européennes. 
Un vent hostile souffle sur la Tunisie. Depuis les arrestations de quelques figures politiques connues dans le cadre de l’affaire du complot contre la sûreté de l’Etat, le pays est dans l’œil du cyclone occidental, entendre par là dans les tirs croisés des gouvernements (et leurs médias) qui « se préoccupent » des changements politiques opérés en Tunisie depuis le 25 juillet 2021, depuis la suspension de l’ARP dirigée d’une main de fer par Rached Ghannouchi. 
Chefs d’Etat et de gouvernement et ONG internationales se relaient pour exiger la relaxe des « détenus politiques » sans tenir compte de l’instruction judiciaire en cours et pour exhorter Kaïs Saïed à rétablir les institutions démocratiques issues du « Printemps arabe ». Le tollé occidental et le manque d’égards envers la justice tunisienne et le nouveau parlement récemment élu, une ingérence flagrante dans les affaires intérieures du pays, donnent du crédit à la thèse du complot. De plus, l’alerte soudaine à l’effondrement économique lancée par les dirigeants américains et européens, sème, quant à elle, le doute sur l’existence non annoncée d’un embargo financier sur la Tunisie qui dure depuis plusieurs mois.

Campagnes de stigmatisation orchestrée
Autre exemple : la campagne internationale de stigmatisation qui ne faiblit pas depuis les propos tenus par Kaïs Saïed (21 février 2023) à l’encontre des flux migratoires subsahariens lors d’une réunion du Conseil de sécurité nationale à Carthage. Bien que beaucoup d’eau ait coulé sous les ponts depuis cette date, et que « plusieurs mesures aient été prises pour faciliter le séjour des Africains en Tunisie et lutter contre toute forme de traite des êtres humains ou d’exploitation des migrants irréguliers », le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale des Nations unies (CERD) est revenu à la charge le 7 avril pour exhorter les autorités tunisiennes à mettre fin aux discours de haine à caractère raciste à l’encontre des migrants subsahariens. Dans un communiqué publié le 4 avril courant, le CERD appelle la Tunisie à «lutter contre toutes les formes de discrimination raciale et de violence raciste à l’encontre des Africains noirs (…) et des citoyens tunisiens noirs ». Le comble ! Les Tunisiens noirs seraient persécutés en Tunisie, selon le CERD.  Déconcertant !
En réponse au CERD, le ministère des Affaires étrangères a publié, à son tour, un communiqué pour exprimer son étonnement et souligner qu’«aucun discours raciste ou d’incitation à la haine n’a émané d’aucune institution officielle tunisienne » et de souligner « la volonté de la Tunisie de traiter le dossier migratoire comme l’exigent les conventions internationales et le droit international humanitaire et dans le respect du droit tunisien ». 
La réaction du CERD deux semaines après les faits prête à équivoque et suscite des interrogations, notamment sur ses objectifs.  Pourquoi le Comité onusien a-t-il mis tout ce temps avant de réagir ? En a-t-il été informé si tard ou chercherait-on (des lobbys) à entretenir la polémique pour maintenir la pression et continuer de souiller l’image de la Tunisie, qui est historiquement connue comme un pays tolérant et d’accueil ?  « La Tunisie a été pionnière en matière de législation relative à la préservation de la dignité des immigrés et en 2018, une loi conforme aux normes internationales a été promulguée visant à éliminer toutes les formes et manifestations de discrimination raciale et toute agression physique ou morale contre tout étranger quel que soit son statut juridique », précise le communiqué du ministère. 
Il est étonnant que le sujet des migrants subsahariens en Tunisie suscite autant d’indignation à l’échelle de la communauté internationale au risque de faire de la Tunisie un pays paria dans sa région africaine, alors que des faits plus graves avec mort d’hommes – 42 migrants subsahariens tués par balles et plus de 200 blessés – perpétrés dans l’enclave espagnole de Melilla en juin 2022, sont passés sous silence, ne suscitant aucune colère internationale ni campagne de diabolisation. Sur quels critères se baserait la politique des deux poids deux mesures de la communauté internationale ? Les « Accords d’Abraham » en feraient-il partie, outre l’allégeance totale aux desiderata des puissances occidentales ? Les deux, sans doute. La Tunisie post-25 juillet 2021 refuse la normalisation avec Israël et a l’audace d’imposer sa souveraineté dans les choix nationaux, elle est pour cela dans l’œil du cyclone : embargo politique, économique et financier et matière à lynchage médiatique. Kaïs Saïed a tué le « Printemps arabe » et refuse de « recycler » les islamistes, alliés des Etats-Unis, dans une nouvelle expérience politique qui préserverait les instances et les acteurs du processus démocratique inachevé, version printemps arabe. Les Américains ne lui pardonneront jamais cela et exigent que les dirigeants d’Ennahdha et leurs alliés du courant démocrate soient relâchés et ne soient pas jugés dans l’affaire du complot contre la sûreté de l’Etat qui visait la destitution de Kaïs Saïed. L’implication de diplomates étrangers a été officiellement écartée dans une lettre adressée aux délégations diplomatiques au nom du ministère public mais l’instruction judiciaire continue avec les dirigeants politiques tunisiens accusés d’avoir sollicité l’aide de parties étrangères pour fomenter un coup d’Etat.

A défaut du FMI, les BRICS
Environ une année est passée depuis le démarrage des discussions avec le FMI et six mois depuis que le gouvernement Bouden a scellé un accord de principe avec les experts de l’instance financière. Depuis cette date, la Tunisie attend d’obtenir un prêt du FMI qui, loin de suffire pour résoudre ses problèmes financiers, devrait ouvrir la voie à d’autres prêts étrangers à travers la coopération bilatérale. L’obstacle serait le président de la République qui refuse d’engager les réformes exigées par le FMI dans le contexte actuel de crise socio-économique aiguë et ce, dans le souci de préserver la paix sociale. Kaïs Saïed se place ainsi, en porte-à-faux par rapport à son gouvernement qui a élaboré le plan de réformes avec les experts du FMI. Mais peut-on reprocher à un chef d’Etat d’œuvrer pour la préservation de la paix sociale et civile de son pays ? Face à l’impasse qui, selon les partenaires américains et européens de la Tunisie, menace l’économie tunisienne d’effondrement, Kaïs Saïed a tranché : il faudra compter sur soi. Et quoi d’autre ? Officiellement, rien n’est avancé. Officieusement, une déclaration du porte-parole du Mouvement national du 25 juillet, Mahmoud Ben Mabrouk, qui a déclaré le 8 avril courant, que « la Tunisie a été poussée à trouver d’autres alternatives et à se tourner vers les pays du BRICS pour obtenir des financements ». En cas de confirmation, ceci suppose que la Tunisie a l’intention de s’adresser à la Nouvelle banque de développement relevant du groupe BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), créée en 2014 (siège à Shanghai, Chine) comme alternative à la Banque mondiale et au FMI. Dans le contexte actuel de guerre quasi mondiale et de bouleversements géopolitiques, la visite du président français Emmanuel Macron en Chine conclue avec la signature d’importants contrats juteux alors que la guerre en Ukraine bat son plein, en est la preuve irréfutable, cette option devenant possible pour la Tunisie. Sauf que le changement des alliances stratégiques sera compliqué et prend du temps. Ce pourquoi il sera essentiel pour la Tunisie de bâtir des ponts de coopération avec de nouveaux partenaires économiques tout en préservant ses anciennes et traditionnelles alliances avec ses partenaires européens et américains. 

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