Elle ne devait officiellement démarrer qu’à partir du 14 septembre prochain, la campagne électorale a déjà investi les réseaux sociaux où la violence verbale et la vulgarité ont dépassé toutes les limites de l’acceptable et du justifiable. Une véritable foire d’empoigne où ça vole très bas et dont les auteurs, de présumés partisans du candidat Kaïs Saïed et de présumés opposants, sont les uns plus déchaînés que les autres. Une guerre verbale sans règles ni limites, loin de tout intérêt pour le débat public, qui suscite des interrogations sur les véritables motivations de ses instigateurs et sur les profits qu’ils en tirent.
Selon le président sortant, unique source officielle pour les Tunisiens en quête d’informations, les supports de ces campagnes de diffamation et de désinformation sont des pages sponsorisées dirigées de l’étranger dans le but de perturber la campagne électorale et de décrédibiliser l’élection présidentielle du 6 octobre prochain. Une campagne d’incitation (à la révolte) contre la Tunisie orchestrée, selon le candidat à sa propre succession, par d’anciens dirigeants politiques à la solde de pays étrangers et aujourd’hui en fuite hors du territoire national après le coup de force du 25 juillet 2021. Kaïs Saïed ne nomme aucun des suspects mais les prétendus « fuyards » sont supposés connus, ils auraient quitté la Tunisie pour fuir la reddition des comptes que Kaïs Saïed a lancée contre les ex-dirigeants politiques – et leurs alliés – qui ont gouverné pendant la décennie 2011-2021 et dont la majorité des Tunisiens garde le plus mauvais des souvenirs.
Le but de cette cabale en ligne n’a rien de secret. Elle monte et redescend à chaque échéance électorale et ce, depuis 2011, année de toutes les espérances déçues des Tunisiens en termes de libertés et de démocratie. Pour cette fois, il s’agit pour les uns de ternir l’image du candidat Kaïs Saïed et de semer le doute dans l’esprit de l’électeur favorable à sa réélection, il s’agit ainsi de choquer les esprits et les inciter, si besoin est, à boycotter le scrutin présidentiel. Pour les autres, c’est l’inverse : tous les autres candidats, hormis Kaïs Saïed, sont à bannir, du fait qu’ils sont soit des « collabos » avec des pays étrangers, soit des comploteurs contre l’Etat et le peuple tunisiens (pénuries de produits de première nécessité, coupures d’eau potable et d’électricité, blocage des projets publics…), quand ils ne sont pas des trouble-fêtes ou d’outrageuses digressions. Le rejet de la candidature de la plupart d’entre eux par l’Isie, pour non-conformité des dossiers aux critères d’éligibilité en vigueur, confirmé en premier examen des recours par le Tribunal administratif, a étayé implicitement cette vision discriminatoire et largement contestée, qui se nourrit de l’engagement affiché du président sortant de « ne pas céder les rênes du pays entre les mains des traîtres et des collabos ».
Un déluge de diffamations, de vidéos choquantes, par faux profils interposés, ciblant l’intégrité morale des candidats et même de leurs proches ont, ainsi, envahi la Toile dès le démarrage de l’opération de dépôt des candidatures auprès de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie). Des pages Facebook, TikTok et X (ancien Twitter) mobilisées 24 heures sur 24 ayant pour mission de salir la réputation de tous ceux qui ont exprimé leur soutien pour l’un ou l’autre des candidats qui ont déposé un dossier auprès de l’Isie. Certaines de ces pages font leur come-back après s’être éclipsées au moment où a éclaté l’affaire du complot contre la sûreté de l’Etat. Même l’Algérie voisine ne sera pas épargnée par ceux qui voient dans le rapprochement, inédit, tuniso-algérien un soutien de l’étranger à Kaïs Saïed, leur adversaire qu’ils tentent d’affaiblir par n’importe quel moyen mais qui part toujours favori pour un second mandat jusqu’en 2029.
La violence et la vulgarité atteignent leur paroxysme au fur et à mesure que des candidats sont déboutés par l’Isie, celle-ci n’est pas épargnée, à son tour, par les attaques et les accusations de falsification et de délation en vue, prétend-on, de favoriser le candidat Kaïs Saïed. Accusations défaites dès le premier verdict du Tribunal administratif, en attendant les résultats de la suite des appels et des recours. En chiffres, il faut rappeler que plus de 110 personnes ont retiré le dossier de candidature auprès des services de l’Isie mais seuls 17 postulants ont fini par déposer leur candidature, dont trois seulement, étaient dûment complets, en respect avec les conditions d’éligibilité et par conséquent validés par l’Instance. Sept des candidats préliminaires déboutés ont déposé des recours, la bataille juridique se poursuit au moment où ces lignes sont écrites. Parmi les candidats que les opposants de Kaïs Saïed auraient voulu voir participer à la course présidentielle et l’emporter : Abir Moussi (en détention pour diffamation), Abdellatif Mekki (condamné pour falsification de parrainages), Imed Daïmi (en fuite et condamné par contumace pour diffamation), Néji Jalloul (condamné par contumace pour falsification de parrainages à l’élection présidentielle de 2019) et Mondher Zenaïdi (vit à l’étranger).
En recevant son ministre de l’Intérieur, vendredi dernier, le président Kaïs Saïed a qualifié la cabale sur le Net de « guerre », soulignant que « l’élection n’est pas une guerre » mais que pour certains, c’est « l’occasion de semer la zizanie et d’envenimer le climat électoral ».
Un micro-trottoir diffusé par une chaîne privée (Tunis 24) en réaction aux propos de Kaïs Saïed sur « la guerre sur le Net » donne la dimension de l’écart, abyssal, entre une partie de l’opinion publique et l’élite politique et un aperçu sur le sentiment d’une frange du petit peuple, celui qui ne fréquente pas les salons politiques ni le cercle restreint des élites. Tour à tour, les passants, non indifférents à la présence de la caméra, confiaient au micro de la journaliste : « En permettant que les dirigeants islamistes rendent des comptes pour les préjudices qu’ils ont portés à la Tunisie, le président Kaïs Saïed a gagné le peuple »… « C’est un homme désintéressé qui ne pense pas à se remplir les poches, il est sensible à la misère du peuple et il n’a pas peur d’aller vers eux et de les écouter »… Une partie des élites considère que ces citoyens sont des « ignorants », « inconscients » et « incrédules » et qu’ils auraient besoin d’être « mis à niveau ». Certains vont jusqu’à suggérer la multiplication des « Live » sur TikTok, très en vogue par les temps qui courent, pour débattre sur les réseaux sociaux des questions stratégiques et de l’avenir de la Tunisie, afin de faire prendre conscience au petit peuple « du danger qu’encourt la Tunisie dans le cas où Kaïs Saïed serait réélu pour les cinq prochaines années ».
Comme quoi, les réseaux sociaux peuvent avoir un rôle constructif si l’intention est bonne. g
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