Les deux derniers attentats terroristes particulièrement meurtriers du musée du Bardo en mars et de Sousse en juin dernier coûtant la vie à 59 touristes étrangers, ont à nouveau posé la question lancinante de la réforme de la stratégie sécuritaire dans le pays. En effet, le bilan lourd en vies humaines, les lieux d’attentats et les personnes cibles, ont révélé des dysfonctionnements, reconnus, au sein des forces de sécurité intérieure.
Le tout récent rapport publié par l’ONG « international Crisis Group » le 23 juillet dernier à Bruxelles, confirme ce diagnostic, propose des pistes de réformes et des recommandations pratiques que ce soit au gouvernement, qu’aux organisations de la société civile pour répondre de la manière la plus adéquate à la montée du péril terroriste provenant de la prolifération des groupes « djihadistes ».
En effet, sans une réforme des forces de sécurité intérieures, le pays maintiendra une gestion des crises au coup par coup, à mesure que son environnement régional se dégrade et que ses tensions politiques et sociales augmentent, au risque de sombrer dans le chaos ou de renouer avec la dictature, telle est la principale conclusion que contient le rapport de l’ONG « International Crisis Group ».
Face à la menace « djihadiste », outre les dysfonctionnements que présente l’appareil sécuritaire, les autorités éprouvent des difficultés à développer une politique publique de sécurité. En effet, aux problèmes internes inhérents au fonctionnement des forces de sécurité intérieure, le contexte régional, qu’illustre parfaitement le chaos qui sévit encore en Libye, est devenu un facteur de risque supplémentaire. A cet effet, une réforme en profondeur des forces de sécurité intérieure devient incontournable pour faire face simultanément au péril terroriste et aux tensions sociales qui sévissent dans le pays.
Divisions, confusions et amalgame
Cela est d’autant plus nécessaire, fait ressortir ce rapport, que « le secteur de la sécurité intérieure se fragmente et affirme son autonomie vis-à-vis du pouvoir exécutif et législatif au lieu de se professionnaliser et de renforcer son efficacité et son intégrité. » Ses membres exercent leur métier dans une institution désorganisée et politisée. Pendant la longue et éprouvante période de transition, faut-il rappeler, les partis politiques ont profité du pouvoir discrétionnaire des ministres de l’Intérieur successifs en termes de révocation, de nomination et de promotion du personnel, les syndicats de police censés défendre l’institution n’ont, pour la plupart, fait qu’aggraver ses divisions.
Le secteur connaît un véritable dilemme et les cadres et les agents montrent des réticences aux réformes, préférant parfois se recroqueviller sur eux-mêmes en développant un discours qui fait l’amalgame entre lutte contre le terrorisme et démocratie et respect des droits humains.
Même si les cadres des forces de sécurité intérieure éprouvent quelques inquiétudes, ils estiment que l’institution est en mesure de se réformer en interne. Cela présuppose d’améliorer ses capacités de gestion, de bonnes pratiques, en bannissant les brutalités et en luttant contre la petite corruption et du clientélisme.
Dans ce processus, la présidence de la République, le gouvernement et l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) assument une grande responsabilité. Plutôt que de tenter d’imposer leur vision aux FSI, ils devraient les encourager à renforcer leurs propres instruments de contrôle interne, recadrer leur fonctionnement dans le nouveau contexte démocratique, et offrir le soutien indispensable à leur professionnalisation.
Il ne suffit pas de renforcer les capacités opérationnelles
Le gouvernement et le parlement devraient se mettre d’accord avec les FSI sur de nouvelles règles déontologiques, élaborées en commun à l’issue d’une large consultation à l’intérieur et à l’extérieur du corps sécuritaire. Celles-ci prendraient notamment en compte la nouvelle mission des forces de l’ordre dans la Tunisie. Ceci suppose une réflexion collective, en particulier au sein du ministère de l’Intérieur, ainsi qu’un débat politique national sur la notion de sécurité, le rôle et les missions de la police (distincte de l’armée), les causes de la violence djihadiste ainsi que la crise de confiance de la population envers l’appareil sécuritaire.
Pour faire face aux défis sécuritaires, le pays gagnerait à comprendre que corriger de manière urgente les dysfonctionnements des FSI ne peut se limiter à l’amélioration de l’équipement des unités d’intervention ou au renforcement des capacités opérationnelles anti-terroristes. En effet, renforcer l’appareil de sécurité intérieure passe par la modification des statuts juridiques qui régissent le secteur, la mise en œuvre d’un plan ambitieux de gestion des ressources humaines ainsi que l’amélioration de la formation initiale et continue.
Sans une réforme des FSI qui permettrait d’appliquer une stratégie de sécurité globale, le pays maintiendra une gestion des crises au coup par coup, à mesure que son environnement régional se dégrade et que les tensions augmentent, au risque de sombrer dans le chaos.
Prévenir ce scénario demande un effort conjoint de la classe politique et du secteur de la sécurité intérieure. Ceci semble fondamental pour éloigner la tentation de restaurer la « peur du policier » ou de conférer toujours plus de tâches de sécurité intérieure à l’Armée nationale dans le but de compenser la faiblesse et la mauvaise gestion des FSI.
Ces mesures représentent un préalable pour repenser la réponse à la montée des violences sociales et politiques. Celles-ci constituent un enjeu national qui va au-delà de la mission des forces de l’ordre qui ne doivent pas se retrouver seules à combler le manque de vision stratégique de la classe politique.
Le rapport de « l’international crisis group » suggère de nombreuses recommandations à l’effet d’apporter une réponse équilibrée et proportionnelle à la montée du djihadisme et des violences sociales.
Il en est ainsi de la nécessité d’éviter la tentation de conférer des tâches de police judiciaire à l’Armée nationale afin de corriger les dysfonctionnements des forces de sécurité intérieure et d’améliorer la sécurité à court terme, de poursuivre le projet de création du centre de regroupement des informations sécuritaires et, au-delà de la Défense, de l’Intérieur, de la Justice et des Affaires étrangères, l’élargir à de nouveaux ministères.
Il en est également de l’impératif de s’abstenir d’instrumentaliser la menace terroriste sur le plan politique en renvoyant la responsabilité sur ses adversaires et de favoriser l’élaboration d’un nouveau code de déontologie des forces de sécurité Intérieur et mettra en œuvre un plan de gestion stratégique et systémique des ressources humaines.
Il s’agit autant de pistes à savoir choisir pour atteindre plusieurs objectifs concomitants, une amélioration des performances de ces forces par le moyen de promotion de bonnes pratiques qui participent à réhabiliter l’image de l’agent de sécurité chez le Tunisien.