Epoustouflant second tour des Législatives anticipées qui a déjoué tous les pronostics et changé le visage esquissé au premier tour, de l’Assemblée nationale. Contre toute attente, c’est l’Union de gauche qui est arrivée en tête et la coalition Ensemble (macroniste) a fait mieux que prévu, grimpant à la seconde position devant le Rassemblement national en net recul. Au 8 juillet 2024, l’Assemblée nationale se présente divisée en trois principaux blocs sans majorité absolue et le pays exposé à toutes les incertitudes. Le plus dur reste à faire : parvenir à gouverner et à préserver la France du chaos.
Faire nommer un Premier ou une Première ministre, élire un président ou une présidente de l’Assemblée nationale, former une coalition sous l’hémicycle pour construire un programme applicable et faire adopter des projets, c’est toute la difficulté de l’étape post-élection marquée par l’absence d’une majorité absolue. Le Nouveau Front populaire (NFP) venu en tête du scrutin devrait être chargé de proposer une candidature au poste de Premier ministre à valider par le président de la République. Mais ce rôle qui revient de droit à la première formation politique parlementaire est, cette fois, contesté par les autres blocs en raison des faibles écarts en nombre de sièges obtenus à l’Assemblée : NFP 182 sièges, Ensemble 163, RN 143.
Dans une Assemblée fracturée, à l’image de la société française, où l’extrême droite semble désormais bien ancrée –le RN a obtenu le plus grand nombre de voix, plus de dix millions d’électeurs – aucun groupe parlementaire n’a obtenu la majorité absolue et ne pourra, de ce fait, imposer son programme, rien que son programme. La difficulté sera de trouver des ententes avec d’autres blocs pour faire aboutir des projets à l’Assemblée nationale, notamment ceux du NFP. Le plus dur commence donc maintenant.
Dès le 7 juillet au soir, la bataille du Premier ministre était lancée dans les rangs du NFP qui s’est donné un délai de quelques jours avant de proposer (dans la semaine) au président de la République un nom ministrable à Matignon. Un sujet de débat qui risque de faire des vagues au sein du NFP, où les avis de LFI (75 sièges) et du PS (65 sièges) divergent déjà, surtout autour d’une possible et controversée candidature de Jean-Luc Mélenchon, et de retarder ainsi la nomination d’un Premier ministre. Une bonne raison pour Macron qui a refusé la démission de Gabriel Attal à qui il a demandé de rester en fonction « pour le moment afin d’assurer la stabilité du pays », d’autant que la France est à 18 jours seulement du coup d’envoi des JO 2024 et qu’il faut assurer le succès de l’événement du début jusqu’à la fin malgré tous les imprévus. Il l’a également remercié « pour les campagnes des élections européennes et législatives qu’il a menées ».Plusieurs obstacles se dressent devant les manœuvres du premier et fragile bloc parlementaire (NFP) dont la majorité relative l’expose à une motion de censure.
Des voix macronistes se sont élevées dès le 8 juillet pour appeler à la formation d’un bloc centriste à l’Assemblée (exit LFI). Un député élu Renaissance avance qu’il faut rassembler tous les gens raisonnables à gauche et à droite pour s’entendre sur les problèmes centraux. « Il faut bâtir une majorité d’alliance », assure-t-il. Pour Gerald Darmanin, « il n’y a pas eu de gagnants aux Législatives anticipées » et par conséquent « le Premier ministre et le gouvernement peuvent être de droite ». Les macronistes, malgré « la défaite », n’ont plus de majorité présidentielle, ils continuent de croire qu’ils peuvent encore gouverner alors que le scrutin législatif les a écartés au premier tour et repêchés au second grâce aux désistements des candidats LFI dans les triangulaires où le RN pouvait gagner face à l’alliance Ensemble. Une autre voix, celle de la chef de file des écologistes EELV (NFP) cette fois, Marine Tondelier, une des écartés par Mélenchon au premier tour, préconise, quant à elle, un premier ministre consensuel. En l’absence de majorité absolue, Les Républicains (68 sièges) font, également, entendre leurs voix dès l’annonce des résultats du second tour et affichent clairement leur opposition à un gouvernement NFP.
Gouvernance de coalition
Côté programme de gouvernement, celui du NFP, pas moins de 150 mesures, est fustigé par tous les autres blocs qui le jugent inapplicable. Un élu Renaissance assure que ce programme va faire exploser la dette de la France et l’insécurité. Le NFP propose, entre autres mesures, l’abrogation de la réforme des retraites et de la Loi immigration, l’augmentation du Smic à 1600 euros, le gel des prix des produits de première nécessité, dans un contexte de grand déficit budgétaire de l’Etat. L’introduction d’un ISF vert (impôt de solidarité sur la fortune renforcée avec un volet climatique) ne manquera pas pour sa part de faire fléchir les investisseurs. Des débats enflammés sont attendus sous l’hémicycle, mais les partis politiques qui ont fait barrage au RN sont assignés à éviter les blocages pour pouvoir avancer. En attendant, les marchés gardent leur calme au lendemain du second tour, laissant penser que l’alliance de gauche ne sera pas en mesure d’appliquer tout son programme, même si le Premier ministre sera NFP, et qu’une gouvernance de coalition demeure inévitable.
Du côté du Rassemblement national, c’est la consternation, la déception et la frustration. « A cause des magouilles entre la Macronie et LFI, le RN a été empêché de gouverner, la France se voit privée d’une majorité et d’un gouvernement pour agir, le pays est mené vers l’incertitude, a minima pendant un an », déclare Jordan Bardella, président du parti d’extrême droite. « C’est une alliance du déshonneur », fustige-t-il, à chaud, à l’annonce des résultats du second tour. Marine Le Pen et ses lieutenants n’entendent pas pour autant baisser les bras. « La marée continue à monter… notre victoire n’est que différée », assure Marine Le Pen dont le parti, première force politique à l’Assemblée nationale en termes de voix obtenues, a fait un score historique aux Européennes du 9 juin dernier et aux Législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet 2024. Pour le RN, donc, l’accession au pouvoir n’est que partie remise.
Des vainqueurs, des vaincus aux Législatives anticipées françaises ? Ni l’un ni l’autre. Pendant une année, délai constitutionnel avant une autre dissolution de l’Assemblée, ce sera forcément une gouvernance de coalitions si les partis politiques font le choix d’éviter la paralysie des institutions, à commencer par l’élection du président ou de la présidente de l’Assemblée nationale le 18 juillet. Entre-temps, les scénarios sont autant nombreux que les divergences des orientations des uns et des autres au sein même des alliances, notamment de gauche.
La victoire de l’union de gauche, qui a surpris tout le monde, confère au NFP une lourde responsabilité, celle de répondre aux doléances de tous les Français, y compris ceux qui ont voté contre eux ou ceux qui n’ont pas voté du tout. Avec le pouvoir d’achat, l’insécurité et l’immigration devront être également leurs priorités. C’est la seule voie de continuer à faire barrage au RN qui se prépare déjà, avec beaucoup d’ambition, à l’élection présidentielle de 2027. Peut-être même à une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale avant trois ans.
Digression
Ce qu’il faut retenir des élections législatives françaises sans parti pris :
- 1er tour, la Loi de Brandini dans toute sa splendeur : la voix des crédules l’a emporté grâce à un baratin complotiste plus fort que la raison.
- L’entre-deux tours, une extraordinaire capacité des partis de pactiser en 15 jours en dépit de leurs divergences en se fixant un seul ennemi à abattre (RN).
- 2e tour, le «grand méchant loup» écarté grâce aux alliances «contre-nature» qui ont été passées entre les différentes forces politiques.
- L’après-élections, un nouveau parlement avec de nombreux coqs dans une même basse-cour qui ne sont d’accord sur rien.
(By Hédi Hamdi)