France : pourquoi le risque d’une quatrième vague cet été est bien réel

Si les indicateurs sont en baisse, la circulation du virus reste importante en France à l’heure des réouvertures. Une nouvelle vague est jugée probable par plusieurs scientifiques.
Assistera-t-on à un nouveau divorce entre la science et le politique cet été ? D’un côté, l’exécutif affiche son optimisme alors que le pays se déconfine progressivement. « Je le dis de la façon la plus claire : nous sommes enfin en train de sortir durablement de cette crise sanitaire », a affirmé lundi le Premier ministre français Jean Castex dans un entretien au Parisien.
De l’autre côté, nombre de scientifiques locaux alertent sur les risques sanitaires. Car si les indicateurs montrent bien une baisse, la circulation du virus reste importante sur le territoire. Une quatrième vague dès cet été est redoutée pour plusieurs raisons.
*La « période de risques » commence
Le calendrier du déconfinement, en trois étapes jusqu’au 30 juin, ne suffit pas à apaiser les craintes. « On rentre dans une période de risques », a notamment pointé le président de la commission médicale des Hôpitaux de Paris, Rémi Salomon, estimant jeudi sur BFMTV qu’on abordait « une période de trois ou quatre mois difficiles à passer » en raison des allègements des restrictions.
« On n’est pas à l’abri » d’un rebond de l’épidémie de Covid-19, a-t-il insisté. « Le relâchement des mesures de restrictions va avoir pour conséquence une recirculation du virus, tout va dépendre de l’ampleur de cette recirculation », a-t-il ajouté. Les indicateurs en baisse peuvent donner de l’optimisme mais comme l’explique l’infectiologue Karine Lacombe dans un entretien à L’Express, le danger, maintenant, est de baisser la garde : « Si on fait comme si l’épidémie était finie, la gifle risque d’être forte ».
Lila Bouadma, membre du Conseil scientifique et réanimatrice à l’hôpital Bichat à Paris, est encore plus catégorique : la quatrième vague du Covid-19 « va arriver cet été ». « Après, est-ce que cela fait une grosse vague, une petite vague, est-ce que c’est absorbable par l’hôpital ? C’est une grande question », a-t-elle déclaré mardi sur Franceinfo. Selon elle, « le comportement des Français va jouer un rôle énorme. Si le 19 mai ou le 10 juin, tout le monde est dehors et ne respecte plus aucun geste barrière, là aussi, ça va impacter ».
*La couverture vaccinale n’est toujours pas suffisante
Depuis le retard à l’allumage au début de la campagne vaccinale, la France est passée progressivement à la vitesse supérieure. Certes, l’objectif des 20 millions de vaccinés au 15 mai « ne sera pas atteint », a concédé mardi Jean Castex, mais il est proche, avec près de 19 millions de primo-vaccinés. Près de 28% des Français ont donc reçu au mois une première dose… Cela est toujours insuffisant.
Le Conseil scientifique, dans son dernier avis mis en ligne vendredi dernier, s’inquiète en particulier du « décalage entre les conditions d’ouverture envisagées et le niveau de vaccination de la population qui sera atteint » et prévoit une « période difficile (…) entre début mai et fin juin. « Une sortie précipitée » des mesures de freinage pourrait alors induire « la survenue durant l’été 2021 d’une possible quatrième vague. »
Quel niveau de couverture vaccinale faut-il alors atteindre ? L’instance qui conseille l’exécutif dans la gestion de la crise sanitaire recommande d’attendre « un niveau de vaccination de 35 millions de personnes primo-vaccinées », « ce qui permettrait d’atteindre un niveau significatif d’immunité vaccinale en population ». Pour aborder l’été dans de bonnes conditions, et espérer pouvoir tomber le masque en extérieur, il faudrait « au moins 50 % de Français vaccinés à la fin du mois de juin », selon l’épidémiologiste Philippe Amouyel sur RTL.
En vue d’un retour à la normale, pour atteindre l’immunité collective, il faudrait là « 75% à 80% de la population totale vaccinée ou immunisée naturellement », d’après Olivier Guérin, membre du Conseil scientifique, toujours sur RTL. Un pari « difficile à gagner ». D’autant plus qu’il faudra convaincre les réticents quand la demande pour les doses de vaccins baissera.
Autre sujet sensible, du fait des nombreuses réticences des parents : la vaccination des enfants et adolescents, pourtant jugée nécessaire par nombre de scientifiques pour atteindre l’immunité collective.
*La pression hospitalière est toujours très forte
Sur BFMTV jeudi, Rémi Salomon a également souligné que « les hôpitaux sont encore très saturés de patients Covid » malgré la baisse du nombre de cas positifs en France. « En Île-de-France, on est à 120% d’occupation des lits de réanimation », a-t-il précisé. Sur le territoire national, le niveau est proche de celui de la deuxième vague : 4583 patients sont en actuellement réanimation, contre 4900 à l’automne dernier.
Au total, quelque 24 254 patients sont actuellement hospitalisés, contre près de 28 000 fin mars à l’annonce du troisième confinement. Et entre 200 à 300 personnes meurent chaque jour du Covid en France.
Au final, « ce niveau s’avère très élevé, largement au-dessus de celui auquel se trouvaient tous les autres pays européens quand ils ont commencé à relâcher les mesures de contrôle », alerte Karine Lacombe auprès de L’Express.
*La menace des variants est présente
Des inconnues sont présentes dans l’équation. Les variants en font partie. Selon la plateforme Géodes, le variant anglais, plus contagieux, est toujours très majoritaire (à près 80% de suspicion parmi les tests positifs criblés), au-dessus des variants sud-africain et brésilien (5,6%). Mais il existe des disparités sur le territoire : à Paris, la proportion de ces deux variants atteint 11,6%.
La France pourra-t-elle échapper au scénario catastrophe d’un rebond épidémique causé par ces variants, plus résistants ? « Il faut les surveiller comme le lait sur le feu », expliquait mi-avril le Pr Piarroux dans L’Express. Sa crainte : « Que ces nouvelles générations de virus continuent à se transmettre, même au sein d’une population en partie vaccinée. Il pourrait donc rester un fond de circulation virale, non négligeable, pendant l’été, du fait de ces variants, qui pourraient faciliter le redémarrage d’une épidémie à l’automne prochain ».
D’autres questions restent en suspens : « Comment se comporte le variant anglais qui est prédominant chez nous en fonction de la température, par exemple ? On ne le sait pas, puisque ce variant anglais n’existait pas l’année dernière. Y aura-t-il d’autres variants ? On n’en sait rien non plus. Seront-ils plus transmissibles ? On n’en sait rien non plus », a déclaré Lila Bouadma sur Franceinfo.
Le variant indien cristallise aussi les inquiétudes. Mais le tableau n’est pas complètement noir : les vaccins à ARN semblent efficaces contre celui-ci, a indiqué mercredi l’Agence européenne des médicaments (EMA). Ceux à adénovirus, soit AstraZeneca/Oxford et Johnson & Jonhson, conserveraient aussi une efficacité, même si les recherches doivent encore être affinées.
*Le seuil d’alerte fixé par l’exécutif est jugé trop haut
Le temps de la réouverture du pays est venu, mais le président Emmanuel Macron a prévenu : des « freins d’urgence » pourront être actionnés « dans les territoires où le virus circulerait trop ». Il s’agit un « taux d’incidence supérieur à 400 infections » pour 100 000 habitants, une augmentation « très brutale » de ce taux et une « menace de saturation » des services de réanimation.
Pour de nombreux scientifiques, ce seuil est jugé beaucoup trop élevé pour réagir à un rebond. « C’est toujours plus haut », regrettait lors de cette annonce le professeur Renaud Piarroux, épidémiologiste à la Pitié-Salpêtrière à Paris, auprès de L’Express. Pour rappel, l’an dernier, le seuil d’alerte était fixé à… 50.
Le Conseil scientifique critique aussi implicitement ce seuil. Si « au cours de la réouverture », la circulation virale se stabilise à « une incidence inférieure à 100 » cas pour 100 000 habitants par semaine « soit 10 000 nouveaux cas par jour », « les mois qui viennent seront beaucoup plus faciles à gérer », peut-on lire dans le dernier l’avis. Mais dans le cas contraire, ils « seront très incertains ». Enfin, le président n’a pas donné de critère chiffré concernant les réanimations, alors qu’il évoquait un seuil de 3000 en novembre dernier.
*Une population lassée par les restrictions
« Nos concitoyens doivent avoir conscience des enjeux soulevés par la réouverture, c’est également un des objectifs de ce présent avis. Leur adhésion individuelle aux mesures de protection dans cette période de réouverture est fondamentale pour aller vers un début d’été plus serein. », insiste le Conseil scientifique français dans son dernier avis.
On l’a dit, les comportements de la population au fur et à mesure du déconfinement sont encore imprévisibles. Il en va de même si les fameux « freins d’urgence » sont activés, voire, dans le pire des cas, des confinements locaux, ou une nouvelle fermeture du pays. Dès le mois de janvier, le pouvoir s’inquiétait des appels de plus en plus nombreux à une « désobéissance civile ». Après plus d’un an d’efforts, et en cas de rebonds épidémiques dans certains départements, les Français suivront-ils encore les règles sanitaires ? La question de l’acceptabilité risque encore de se poser.
(L’Express)

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