Sécurité, politique étrangère, conjoncture économique et scène politique : ce sont les principaux thèmes sur lesquels le président de la République, Béji Caïd Essebsi, a été interpellé lors de son entretien télévisé accordé à la chaîne Nessma, dimanche 19 février. Il a également répondu aux questions des stations radiophoniques partenaires de Nessma Live – la branche information continue de Nessma -, relatives aux régions. Pas de grandes annonces, hormis, bien entendu, celle relative à l’annulation de la peine de prison pour les primo-consommateurs de cannabis.
« L’union nationale est toujours là »
Que reste-t-il de l’union nationale instaurée par le Pacte de Carthage ? « L’essentiel », a déclaré Béji Caïd Essebsi. Personne n’est obligé de soutenir le gouvernement, mais ce qui compte, selon lui, c’est l’adhésion au Pacte de Carthage. « Il est vital que nous soyons rassemblés, aujourd’hui, compte tenu de la dure conjoncture que traverse le pays. Chaque tunisien a le droit d’entrer dans la politique et ma responsabilité consiste à simplifier cette entrée », a affirmé le Chef de l’État, commentant l’initiative de Mohsen Marzouk, secrétaire général de Machrou3 Tounes, et de Slim Riahi, président de l’Union Patriotique Libre (UPL), portant sur la formation d’un front dit de salut.
L’union nationale, selon le président de la République, ne repose pas sur deux partis uniquement, à savoir Machrou3 Tounes et l’UPL qui ont officialisé leur intégration dans l’opposition. « Nous composerons avec Slim Riahi en fonction de ses déclarations », a-t-il dit, en abordant les propos de Slim Riahi qui a appelé à des élections présidentielles anticipées et qui a retiré son parti du Pacte de Carthage. mais insistant, par la suite, sur la nécessité de se réunir autour de l’État.
Béji Caïd Essebsi considère, par ailleurs, que le gouvernement d’union nationale « fait du bon travail ». « La situation en Tunisie s’est améliorée. L’exemple le plus parlant est celui de la production des phosphates qui a redécollé. 501 000 tonnes ont été produits rien qu’en janvier 2017 », a-t-il dit.
Le tourisme, également, constitue l’un des points positifs du gouvernement Chahed. « 5 millions de touristes sont entrés en Tunisie en 2016. Nous avons diversifié nos cibles. Désormais, russes et chinois viennent en Tunisie. En 2017, nous comptons augmenter les chiffres de 30% », a-t-il encore expliqué. Revenant sur la crise de Petrofac, le Chef de l’État a rappelé que la majorité du capital de la société appartient à l’État. « C’est une perte pour la Tunisie. J’appelle les citoyens de Kerkenah à trouver une solution pour l’intérêt du pays et de Kerkenah également« . En d’autres termes, tant d’indicateurs que Béji Caïd Essebsi considère comme « positifs ». « On ne peut avoir un meilleur départ compte tenu de la situation actuelle », a-t-il estimé, pour donner une évaluation générale de l’action gouvernementale. « Certains veulent faire tomber le gouvernement. Il y a des maladies que l’on peut guérir, d’autres non. Ceux qui sont partis se sont basés sur une analyse erronée de la situation. S’ils veulent revenir, ils seront les bienvenus », a-t-il encore ajouté.
Dialoguer avec l’UGTT pour l’intérêt de la Tunisie
Par ailleurs, le président de la République a été interpellé sur les déclarations de Houcine Abassi, ancien secrétaire général de l’UGTT, à propos de Mehdi Jomaa qui, selon Abassi, avait constitué une menace pour la réussite du dialogue nationale. « Houcine Abassi a joué un rôle fondamental dans ce processus, mais à un moment donné, il y a eu un blocage », a commenté le Chef de l’État, qui a affirmé que son intervention a permis de faire revenir Ennahdha sur la table du dialogue, mais aussi de conduire à la démission du gouvernement d’Ali Laârayedh pour le remplacer par une équipe de technocrates. « Le seul point avec lequel je n’étais pas d’accord porte sur l’organisation des élections législatives avant les présidentielles », a précisé Béji Caïd Essebsi.
Revenant sur le rôle de l’UGTT sur la scène politique, il a assuré que le fait qu’une organisation nationale soutienne le Pacte de Carthage ne signifie pas qu’elle doit abandonner ses principes. « Nous appelons l’UGTT à composer avec le gouvernement dans l’intérêt de la Tunisie. Il n’y a pas de bras de fer. Seulement, chaque partie prenante au dialogue s’accroche à ses acquis et à ses principes. J’ai pu rencontrer Noureddine Taboubi, nouveau secrétaire général de l’UGTT. C’est un patriote et il est fidèle aux principes de l’UGTT », a souligné le président de la République.
« Le ministre des Affaires Étrangères est mon seul représentant »
La politique étrangère, notamment la crise libyenne, était l’autre volet sur lequel Béji Caïd Essebsi a été interpellé. « Le président de la République n’a qu’un seul représentant : le ministre des Affaires Étrangères, qui accomplit un excellent travail d’ailleurs », a-t-il répondu à la question portant sur la diplomatie parallèle, pratiquée par des leaders politiques, à l’instar de Rached Ghannouchi, leader d’Ennahdha. « Je n’ai pas chargé Ghannouchi de faire quoi que ce soit. Il me tient assez souvent informé de ses déplacements à l’étranger. Nous travaillons ensemble pour l’intérêt de la Tunisie », a-t-il encore souligné.
Sur la crise libyenne, le président de la République a réitéré la volonté de la Tunisie de voir la question se régler par les libyens eux-mêmes. Le Chef de l’État rappelle que l’initiative tunisienne en faveur de la Libye implique la participation de l’Algérie et de l’Égypte. « Il ne peut y avoir de solutions sans ces deux pays, en plus de la Tunisie. La solution doit être libyenne sans la moindre intervention étrangère », a-t-il rappelé, n’excluant pas l’arrivée d’autres acteurs pour discuter du dossier, tel que le Tchad, le Niger, ou encore le Soudan. « Je suis prêt à dialoguer avec toutes les parties concernées, y compris avec Khalifa Haftar, commandant en Chef de l’armée nationale libyenne depuis 2015 », a-t-il déclaré, affirmant qu’une rencontre avec ce dernier est au programme.
Tant d’éléments qui, d’après le Chef de l’État, permettront à la Tunisie d’assurer une présence conséquente sur la scène internationale. « La Tunisie a été appelée au G8 et au G7, ce qui constitue une marque de crédibilité pour elle », a-t-il rappelé, faisant part, par la suite, des grands bouleversements géopolitiques qui ont secoué la planète ces dernières années. Il a mentionné, notamment, l’interventionnisme fréquent de la Russie qui, en l’absence d’obstacles, est devenue l’acteur essentiel dans le conflit syrien.
Autre sujet abordé lors de son entretien télévisé : la sécurité. Le Chef de l’État s’est félicité des avancées qui ont été réalisées en matière de lutte contre le terrorisme. « C’est un phénomène nouveau en Tunisie et il est important d’investir dans la sécurité pour le contrer. Plusieurs partenariats ont été noués avec des pays comme l’Allemagne et les États-Unis pour renforcer notre sécurité », a-t-il déclaré.
Allègement de la peine pour les primo-consommateurs de cannabis
D’un autre côté, le Chef de l’État a déploré les rapports des ONG, tel I Watch, sur la corruption en Tunisie et les financements étrangers des partis politiques et des associations. « Tout ce que les ONG affirment n’est pas forcément vrai. Elles ne se basent pas sur des études exactes. Concernant les fonds venus de l’étranger, la Banque Centrale de Tunisie n’en a signalé aucun, à moins qu’il y ait eu des fonds envoyés dans les valises. Il est vrai qu’il y ait beaucoup de choses à corriger en Tunisie, à commencer par la Constitution. Par exemple, on a du mal à saisir dans quel régime politique nous œuvrons. Est-il parlementaire ou présidentiel ? Pour ma part, je suis appelé à garantir la protection des principes constitutionnels pour qu’ils ne soient pas violés. C’est ma mission », a-t-il expliqué.
La crise qui secoue actuellement le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) depuis l’élection de ses membres a aussi été exposée. Il a, dans ce sens, insisté sur le principe de l’indépendance de la Justice. « J’appelle les magistrats à clôturer le sujet. Ils doivent se réunir pour trouver une solution afin de mettre fin aux opinions stipulant qu’il y ait des divisions politiques au sein du CSM », a déclaré Béji Caïd Essebsi.
Le sujet de la consommation de cannabis a été abordé au cours de cet entretien télévisé. « La peine d’un an d’emprisonnement est lourde. Nous avons présenté un projet de loi instaurant une amende ou des mesures disciplinaires à l’encontre des jeunes primo-consommateurs. De fait, si ces derniers vont en prison, leur avenir sera détruit », a assuré le Chef de l’État. Il a, par la suite, évoqué le code des libertés individuelles, appelant à la mise en place d’une commission spéciale pour le créer. « Il sera présenté en 2017 à l’ARP », a-t-il souligné.
L’État n’est pas tout-puissant
Le Chef de l’État s’est donc livré à un exercice auquel il s’est habitué, en répondant avec fermeté et clarté, aux questions qui lui ont été posées. Néanmoins, le téléspectateur est resté sur sa faim, notamment sur le plan économique. Le Chef de l’État a fait part des réalisations de la Tunisie dans le tourisme et dans la production des phosphates, sans pour autant fournir des annonces concrètes sur la lutte contre le chômage et la préservation du pouvoir d’achat.
Il a, tout de même, abordé le contrat de dignité, lorsqu’il avait répondu aux questions des journalistes des radios régionales partenaires de Nessma. « L’initiative permettra de créer 25 000 emplois pour les jeunes diplômés », a-t-il rappelé. Il a rappelé aussi que l’État n’est pas un générateur d’emplois. « Que faire si on ne peut plus donner du travail ? Détruire l’État ? », s’est-il interrogé, en répondant à une question sur les tensions qui règnent à Sidi Bouzid.
Le Chef de l’État s’est voulu à la fois rassurant, mais réaliste, assurant que les régions défavorisées ne seront pas oubliées.