Frontières tunisiennes :Entre impératifs de développement et menaces sécuritaires 

L’instauration d’une zone tampon depuis l’été 2013, à caractère militaire sur les frontières Sud, qui couvre quasiment toute la région limitrophe avec la Libye, avait pour but de parer à toute éventualité d’une pénétration terroriste sur nos territoires. Cette décision émanerait d’un souci de surveiller les entrées de marchandises et de personnes suspectes. Après l’entrée en vigueur de la taxe dite de « solidarité » dès octobre 2014, les habitants des villages frontaliers avec la Libye furent sévèrement sanctionnés dans leurs mobilités. Il faut voir que de l’autre côté, les milices de « Fajr Libya » (l’Aube de la Libye), qui contrôlent les deux issues frontalières Ras Jedir et Ouazen Dhehiba, étant de mouvance islamiste, avaient instauré aussi la même taxe mais en la doublant pour les ressortissants tunisiens : les Libyens payent 30 dinars en quittant le territoire tunisien, alors que les Tunisiens sortant de Libye payent 60 dinars. Les derniers mouvements contestataires à Dhehiba ou à Ben Gherdane, au-delà de leur caractère économique et social, soulèvent un problème de fond : quelles sont les lignes de démarcation entre les impératifs économiques des habitants de la frontière et les menaces sécuritaires qui se posent aujourd’hui avec acuité, particulièrement avec l’existence de deux gouvernements et de centaines de milices parsemées sur le territoire libyen ?

 

La barrière insurmontable

Depuis 2013, année où la Tunisie prit enfin conscience de l’importance de surveiller ses frontières et de mener un combat contre le terrorisme et la contrebande, l’étau commençait à se renfermer peu à peu sur les réseaux de contrebande d’armes et la fuite des terroristes vers la Libye. La circulation des armes, les entrepôts découverts à Medenine, Douar Hicher et à El Ouardia avaient laissé présager la formation d’une véritable structure terroriste avec un commandement, une hiérarchie, des camps d’entraînement et une logistique d’approvisionnement en armes qui viendrait essentiellement de la Libye. Mais le constat le plus frappant était que les frontières avec la Libye étaient poreuses ! L’obédience idéologique du groupe d’ « Ansar al Charia » à « Al Qaïda au Maghreb islamique » (AQMI) ne fait pas de doute, puisque Seifallah Ben Hassine (dit Abou Iyadh) leur porte-parole, l’affirme sans ambages. Il est toujours quelque part sur le territoire libyen. Toutes ces craintes furent renforcées après l’annonce des Etats-Unis et de la France que la Libye constitue, désormais, la plaque tournante du terrorisme au Maghreb et dans la bande sahélo-saharienne. L’Etat Islamique communément dit « DAECH » n’a-t-il pas instauré son pseudo « Emirat » à la ville de Derna ? Pire encore, le samedi 14 février, la ville de Syrte, vient d’être déclarée sous le contrôle de DAECH, les bâtiments officiels occupés et l’allégeance à Baghdadi annoncée.

Afin d’anticiper l’action de ces réseaux terroristes qui trouvent à la fois refuge, protection, armes, subsides et profitent de l’énormité du territoire libyen, la France comme les Etat-Unis tentent d’installer des bases de surveillance dans les pays voisins à la Libye. Le Niger en est l’éminent exemple, une base de Drone US existe déjà.

D’autre part, ces réseaux se nourrissent de la contrebande sous toutes ses formes, Drokdal ou le « Borgne » est le chef incontesté de la contrebande de cigarettes dans la bande allant du Mali, l’Algérie, la Libye, le Niger et le Sud tunisien.

 

Avec qui négocier ?

La zone désertique libyenne est devenue une zone privilégiée pour les trafiquants d’armes venant de Libye. Entre deux gouvernements dont l’un siégeant à Tripoli et dominant toutes les villes du littoral libyen et les deux entrées vers la Tunisie. Les forces dites « Fajr Libya » sont d’obédience islamiste et sont alliées avec le « Bouclier de Libye » de Misrata. De l’autre côté à l’Est, le gouvernement libyen siégeant à Tobrouk, internationalement reconnu, tente de récupérer l’Ouest libyen. Il faut souligner surtout que la Tunisie est considérée comme étant un espace de survie pour les libyens pour des raisons économiques, de soins et même de tourisme. Avec la dégradation de la situation sécuritaire, un grand nombre de la population voisine tente de trouver refuge en Tunisie. L’Egypte avait pour sa part fermé ses frontières et demandé à ses ressortissants de rentrer au plus vite au pays.

Dans cette situation conflictuelle qui tourne à l’anarchie, l’entrée des Tunisiens en territoire libyen représente une menace pour leur vie. Rapt (on compte plus de 30 Tunisiens kidnappés dont deux journalistes depuis septembre), confiscation de marchandise et toute sorte de mauvais traitements qu’ils subis sent des milices, font de l’entrée en territoire libyen une aventure très dangereuse.

Officiellement, le gouvernement tunisien, et au regard des lois internationales, ne peut négocier qu’avec le gouvernement de Tobrouk, sauf que celui-ci ne contrôle plus les points de passage avec la Tunisie. Négocier avec les milices de « Fajr Libya » serait implicitement reconnaître la légitimité de celles-ci en tant qu’interlocuteur de fait. La Tunisie ne voulant pas interférer dans les affaires intérieures libyennes et encore moins passer des accords avec des milices non reconnues par la communauté internationale se trouve confrontée à un imbroglio politico-diplomatique sans solution apparente.

 

A qui profite l’anarchie ?

Les derniers mouvements sociaux, du reste légitimes, enregistrés aussi bien à Dhehiba qu’à Ben Guerdane ont été vus par nombre d’analystes comme étant une tentative par certains, profitant de la précarité de la situation économique et sociale des populations de ces régions, d’affaiblir la présence sécuritaire dans ces zones frontalières sensibles.

En effet, l’absence de projets économiques d’envergure dans les villes et villages frontaliers n’a jamais fait l’objet d’une décision politique courageuse qui aurait pu instaurer des zones franches et réhabiliter ces régions afin de les intégrer dans les circuits légaux.

Or, les craintes sécuritaires se font, aujourd’hui, grandement sentir. Rien qu’à voir le nombre de menaces proférées par les groupes radicalistes qui veulent ébranler les assises de la première démocratie née après le dit « printemps arabe ». Les Daech, AQMI, Ansar al charia n’arrêtent pas de tenter d’infiltrer la Tunisie. Avec une frontière libyenne longue de 459 km le danger terroriste est quasi présent. A cela s’ajoute le retour des djihadistes de Syrie et d’Irak, de ceux qui ont suivi des entraînements intensifs dans les camps terroristes en Libye et le trafic d’armes de la Libye vers le Maghreb et le Sahel.

Les derniers mouvements sociaux, surtout à Dhehiba où les attaques ont ciblé le poste de la Garde nationale et surtout le poste avancé du village ont fait courir, d’un point de vue sécuritaire, un gros risque pour le pays.

Le gouvernement, nouvellement installé, semble avoir pris la mesure de la gravité de la situation et des besoins réels de la région.

La zone tampon, les contrôles douaniers qui se sont intensifiées et le renforcement des services de renseignements doivent être accompagnés d’une véritable stratégie de développement.

Réhabiliter les régions frontalières, créer des zones d’échanges non soumises à la TVA et intégrer la population locale dans cette dynamique, seraient les actions à entreprendre de suite afin de sécuriser non seulement la frontière mais aussi toute la Tunisie.

Fayçal Chérif

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