Futurs de la Tunisie : Le droit à l’émergence !

Le Plan de développement 2016-2020 touche à sa fin. Le nouveau gouvernement est normalement appelé à préparer une nouvelle stratégie à long terme et un nouveau Plan quinquennal pour le pays. Certes, il faut faire preuve d’une bonne dose d’optimisme pour bâtir un avenir radieux, mais il importe également de disposer des capacités requises et d’avoir les moyens nécessaires pour faire face aux défis et risques aussi nombreux que complexes qui caractérisent le pays et entourent son itinéraire de développement futur.
Dans ce sillon, l’étude prospective « la Tunisie à l’horizon 2040 » menée par le programme pour l’avenir et l’innovation en Afrique (AFI) de l’Institut d’études de sécurité (ISS) en Afrique du Sud, avec le soutien de l’Institut néerlandais des relations internationales « Clingendael » l’Université de Denver aux USA, doit servir de référence pour appréhender les dynamiques d’évolution possibles de la Tunisie sur les deux prochaines décennies.
Les résultats de cette étude récemment exposés à Tunis par l’Institut ISS, en coordination avec la représentation permanente de l’UNICEF en Tunisie et en présence de nombre d’experts et représentants d’organisations publiques, professionnelles et de société civile ont fait débat.
L’apport majeur de l’étude réside dans son caractère multidisciplinaire (démographie, pauvreté, inégalités, éducation, santé, infrastructures, économie), une synthèse fidèle de la réalité socio-économique du pays et la formulation de trois scénarii possibles, moyennant une modélisation sophistiquée, sur l’avenir de la Tunisie à l’horizon 2040.
Le constat fondamental est que les perspectives de développement de la Tunisie retenues dans le scénario positif sont modérément optimistes. De quoi s’interroger sur ce qui devrait être fait pour briser les barrières sur lesquelles bute la Tunisie pour converger vers les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure et en particulier les pays émergents.

Le scénario moyen : le cercle vicieux de la faible croissance
Le scénario moyen est une extrapolation de la situation socioéconomique actuelle sous l’hypothèse d’absence de programmes d’ajustement. Sur la trajectoire actuelle, l’étude prévoit une population de 13.3 millions en 2040, un taux de croissance annuel moyen de 2.4% entre 2019 et 2040, une diminution progressive de la contribution du capital de connaissances à la productivité totale des facteurs, une légère baisse de l’économie informelle d’environ 4% du produit intérieur brut (PIB) d’ici 2040 et les inégalités devraient augmenter modérément sur le même horizon.
Sur cette base, la performance de la Tunisie sera en dessous de la performance moyenne des 21 économies africaines à revenu intermédiaire de la tranche inférieure où se classe la Tunisie.
Ce scénario met la Tunisie largement en deçà des attentes élevées de la Révolution, ce qui est de nature à miner tout le processus de transition politique engagé par le pays.

Le scénario négatif : le fond de l’abîme
Dans ce scénario pessimiste qui durera jusqu’à 2030 avant que les développements ne redeviennent positifs, « la corruption augmentera et l’efficacité des pouvoirs publics diminuera, la réglementation des entreprises sera resserrée alors même que l’incertitude politique qui pèse sur les entreprises entraîne la stagnation des entrées d’investissements directs étrangers. La qualité de l’éducation et la quantité d’écoles, d’enseignants et de fournitures se détériorent, l’espérance de vie élevée commence à décliner. Les conditions macro-économiques difficiles conduiront à augmenter la dette publique tout en affaiblissant l’investissement intérieur et le revenu par habitant diminue de 4,5% et les Tunisiens gagneront 610 USD de moins, passant de 13 430 USD dans le processus actuel à 12 820 USD d’ici 2040. La détérioration de la situation économique et de l’instabilité étendraient probablement l’activité informelle et feraient augmenter de près d’un cinquième le taux de pauvreté ».
Cet état socio-économique augmenterait « le risque d’un changement de régime radical, dont l’agitation politique serait compliquée par l’insécurité persistante en Libye et en Algérie ».

Le scénario positif : des perspectives modérées
Le scénario positif suppose que le pays s’engage sur une voie de forte croissance en améliorant la qualité de la gouvernance et les conditions économiques qui favorisent un environnement d’affaires plus favorable.
Sur cette base, le total des investissements passerait de 20% du PIB en 2019 à environ 26% en 2040. L’économie atteindrait environ 63 milliards de dollars américains d’ici 2025 et 110 milliards à l’horizon 2040, représentant un accroissement d’environ 22% par rapport à la trajectoire actuelle en 2040. Le revenu par habitant est estimé à 15360 USD en 2040, contre 13430 USD pour le sentier actuel, soit une hausse des revenus de 14% et un revenu supplémentaire de 1930 USD pour chaque Tunisien en 2040. Ainsi, la pauvreté et les inégalités se réduiraient et le revenu par habitant pourrait converger régulièrement pour pouvoir passer au statut des pays à revenu moyen de la tranche supérieure.
Conçu comme tel, le scénario positif semble insuffisamment optimiste, remet même en cause l’ampleur du changement institutionnel et sous-estime la dynamique des réformes structurelles qui s’installent depuis quelque temps. Il est en mesure de mettre en doute la capacité de la Tunisie à atteindre certains des objectifs de développement durable (ODD).
Indépendamment des insuffisances des analyses menées dans le cadre de ce travail de prospective, du degré de robustesse des hypothèses sous-jacentes aux résultats dégagés et du caractère parfois exagéré et subjectif de certains jugements, l’étude a conclu que « sans leadership décisif, l’incertitude continuera de saper la confiance des investisseurs, aux niveaux national et international. Il est donc tout à fait possible que le bien-être économique et général de la plupart des Tunisiens continue de se dégrader pendant plusieurs années avant que la réforme économique et les institutions nécessaires au démantèlement de l’État profond ne gagnent en vigueur. Le nouveau gouvernement doit faire face aux défis économiques au moyen de réformes transparentes, pragmatiques et durables pour que la Tunisie maintienne les indicateurs de développement humain généralement élevés et s’oriente vers un avenir durable. Notre analyse indiquerait provisoirement qu’il est possible de tirer parti du capital humain élevé de la Tunisie, de réduire les dépenses publiques et de les réorienter vers des secteurs plus productifs de l’économie, tout en tirant parti de son secteur dynamique des TIC comme trajectoire de croissance potentielle ».

Vers un avenir radieux
Selon toute vraisemblance, la trajectoire de développement de la Tunisie sur les prochaines décennies ne suivra pas l’un des trois scénarii susmentionnés.  Si on peut comprendre la consistance des scenarii moyen et négatif, il est difficile d’admettre que la borne supérieure de la trajectoire future de la Tunisie se limite au scénario positif rendu par l’étude prospective.
La Tunisie doit faire montre d’optimisme pour répondre aux exigences de la Révolution et bâtir un avenir meilleur, celui d’inscrire la Tunisie dans l’orbite des économies émergentes de la planète. Faut-il toujours croire que la Tunisie est sur la bonne voie et a bonne mine.
L’émergence de la Tunisie est à la portée, tant que le pays continue à se construire et aller jusqu’au bout des changements à l’œuvre. Cette construction réside dans la consolidation démocratique et la persévérance dans les réformes structurelles, les deux conditions majeures de l’émergence auxquelles aspire la Tunisie.
La consolidation démocratique devant suivre la transition politique sera en mesure de fonder les institutions appropriées à la bonne gouvernance favorable à la croissance et au développement.
La persévérance dans les réformes structurelles pour saisir toutes les opportunités offertes et mettre en valeur les potentiels existants, devra corriger tous les dysfonctionnements des marchés et rendre les interventions de l’Etat plus efficaces aux fins d’une économie dynamique, compétitive et performante.
Pour ce faire, l’action est toujours de mise, laquelle action appelle le leadership qui fédère les efforts, coordonne les décisions et mobilise les énergies. Le droit à l’émergence aura ainsi tout son sens !

Alaya Becheikh

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