Garder espoir, malgré tout

L’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) a informé le public, le 31 janvier dernier, qu’elle mettait à sa disposition les listes préliminaires des électeurs telles qu’actualisées en 2019 et qu’elle recevait les recours à partir de cette date. Cette information est loin d’être anodine, et ce, àdouble titre : un, elle annonce une ouverture prochaine vers la sortie de crise avec la tenue d’un référendum, prévu le 25 juillet prochain sur les amendements du système politique et de la loi électorale, et celle d’élections législatives le 17 décembre 2022 ; deux, elle indique que le processus démocratique est toujours en place et que l’état d’exception n’est qu’une étape transitoire. De quoi retrouver l’espoir de revenir à la normale dans quelques mois, ce qui  ferait une sacrée différence avec les risques réels de débordements et d’anarchie si l’état d’exception devait durer plus longtemps ou qu’il était indéterminé. Certes, il faudra attendre décembre prochain pour avoir un nouveau Parlement qui remplacera celui que les Tunisiens ont « dégagé » le 25 juillet dernier, mais l’important est que la situation évolue vers le dénouement et vers le retour à la normale des institutions démocratiques.
Ainsi, donc, la feuille de route, aussi succincte soit-elle, du président Kaïs Saïed poursuit son bonhomme de chemin sans coup férir des torrents de critiques, des forces de pression nationales et internationales l’exhortant à revenir sur son décret 117 et des contraintes économiques et financières. Même la consultation électronique, démarrée le 15 janvier dernier, quasiment ignorée par les Tunisiens, reste affichée (e-istichara.tn) et semble attendre patiemment les visiteurs et les curieux conviés à donner leurs avis en toute liberté sur les modèles politique et électoral, sur les questions économiques et financières, sur la croissance et la transition numérique, la santé et la qualité de vie, le domaine social et l’éducation, l’enseignement et la culture. Il n’est, bien sûr, pas question que cette consultation remplace un dialogue national en bonne et due forme, des discussions et des interactions de vive voix entre tous les acteurs de la vie publique, même s’il faut admettre que cette consultation nationale numérique, si elle réussit à mobiliser les Tunisiens, peut contribuer à donner une idée intéressante sur les grandes orientations des Tunisiens dans les différents domaines sus-indiqués.
Les partis politiques opposés aux mesures du 25 juillet et au décret 117, qu’il s’agisse d’Ennahdha et ses alliés, les grands sinistrés du 25 juillet 2021, ou des partis socio-démocrates qui font de la lutte pour la démocratie et les libertés leur cheval de bataille, sont eux aussi appelés à sortir de leur léthargie, à cesser de s’acharner contre le président Kaïs Saïed, à proposer des solutions, à réfléchir sur une sortie de crise et à expliquer aux Tunisiens les tenants et les aboutissants des différents projets politiques susceptibles d’être envisagés. Attayar, Al Joumhouri, Afek et d’autres sont même conviés à aller jusqu’au bout de leur idée, celle d’organiser un dialogue sans la présence du président de la République. Pourquoi pas ? Il est temps que les esprits se calment, que les idées se mettent en place et que les actions soient lancées pour sortir de cette torpeur dont l’ensemble de la classe politique est responsable. Ces dirigeants politiques n’ont pas l’air de comprendre que les Tunisiens n’ont plus ni ouïe ni yeux pour eux, qu’ils doivent changer, tout changer, à commencer par leurs discours rébarbatifs et leur attitude arrogante toisant le citoyen lambda et le traitant d’ignorant quand il se détourne d’eux.
Il est temps, également, que le président Kaïs Saïed descende de son piédestal et s’approche des Tunisiens en ouvrant les canaux de la communication avec les médias, les partis politiques qui le soutiennent, les organisations nationales et la société civile qui œuvrent pour le bien-être des Tunisiens et le développement de la Tunisie.  Il est temps que Kaïs Saïed fasse appel à des constitutionnalistes de renom et de tout bord pour se pencher sur l’examen minutieux de la Constitution de 2014 et proposer des amendements que les médias et les spécialistes auront vulgarisés auprès des Tunisiens avant de les soumettre au référendum. Idem pour la loi électorale qui doit être révisée.
Le président Kaïs Saïed doit comprendre que le temps joue contre lui, que chaque jour compte et que les Tunisiens, qui ont envahi les rues au soir du 25 juillet 2021 pour applaudir les mesures qu’il a annoncées, ne l’attendront pas indéfiniment. Il y a les urgences du quotidien : retard dans le paiement des salaires de la fonction et du secteur publics, des retraités qui n’ont pas reçu leurs pensions à la date prévue parce que leurs noms figuraient de manière inattendue dans la liste des morts, les étals des grandes surfaces et des épiceries qui se vident des produits alimentaires essentiels et compensés… Il y a aussi des attentes à moyen et long termes qui englobent autant les problèmes économiques et sociaux que le modèle politique et électoral qui sera adopté dans les prochaines élections. Le changement de modèle de gouvernance et de dirigeants politiques est souhaité par la majorité des Tunisiens, mais  les défenseurs du 25 juillet ne sont pas tous pour le modèle de démocratie de base que l’on attribue au projet politique de Kaïs Saïed.
Noureddine Taboubi, Secrétaire général de l’Ugtt, a donné le ton, la semaine écoulée, à ce que devraient faire aussi bien Kaïs Saïed que ses adversaires politiques. Il leur conseille de procéder à des révisions de leurs comportements et de leurs idées, de s’asseoir à la table du dialogue et de trouver une solution tuniso-tunisienne pour le pays.  Avant que la faillite de la Tunisie ne soit définitivement et officiellement annoncée par les instances financières internationales, et que le pain des Tunisiens ne vienne à manquer. Les pays arabes et occidentaux reprennent le chemin de la croissance économique après la pandémie ravageuse de la Covid, alors que la Tunisie patauge encore dans les bras de fer politiques. Les « recalés » refusent de céder la place à une nouvelle équipe dirigeante etle président omnipotent reste hermétique à tous les appels au dialogue même sélectif, sans ceux que tous les Tunisiens tiennent pour responsables de la situation désastreuse du pays.
La Tunisie est au bord de l’explosion sociale et de la faillite économique et financière tandis que les élites politiques aux abois ne cessent d’occuper la scène médiatique pour tenter de convaincre surtout les chancelleries étrangères qu’elles ont la voix haute, donc la voix juste. Elles ignorent au passage qu’elles rendent ainsi service à Kaïs Saïed qui démontre par la même occasion qu’il tient sa promesse de respecter les libertés et la démocratie.

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