Gare aux mutations économiques rampantes et perfides !

Des observateurs objectifs du paysage économique ont fait des constats inquiétants. D’abord, la fragilisation sensible et rapide du tissu entrepreneurial des industries de transformation, notamment dans les secteurs du textile-habillement, du cuir et de la chaussure avec fermetures d’usines et pertes d’emplois massives.
Ensuite, la détérioration grave de la situation de certaines industries de base, comme El Fouladh (Sidérurgie), pneumatiques (STIP), cellulose et papier alfa, raffinage du sucre… Les entreprises en charge de ces activités sont au bord de l’abîme.
Enfin, l’absence d’une industrie structurante susceptible de promouvoir encore plus le secteur performant des composants autos, se fait durement sentir au niveau de la valeur ajoutée du secteur et de la création d’emplois dans le pays. Il y a également le climat des affaires qui est fait d’instabilité politique et fiscale, d’imposition croissante des sociétés étrangères et des activités industrielles exportatrices. Cela n’est pas fait pour inciter les promoteurs nationaux, ni pour attirer les capitaux extérieurs pour investir dans l’industrie, créatrice de valeur, d’innovation et d’emploi.
Il s’agit, en fait, d’un processus coupable de la désindustrialisation du pays, du désengagement prémédité et concerté de l’Etat et de certains acteurs économiques, vis-à-vis des activités productives et industrielles et en faveur des activités juteuses et sans risque des rentiers des secteurs commercial (importations), immobilier et touristique. En effet, nous assistons, impuissants, à l’émergence d’investissements massifs et de grands projets d’infrastructures commerciales, de loisirs et d’édification de grands complexes hôteliers jumelés avec des centres commerciaux de grand luxe, partout dans le Grand Tunis et les villes du littoral, aux dépens des régions défavorisées du pays.
Il y a là incontestablement les prémices d’une montée en puissance de l’économie du commerce et des services, faite de shopping, de tourisme et de loisirs.
Cela signifie-t-il que notre pays n’est pas fait pour l’industrie ? En fait, notre pays est-il devenu incompatible avec toute activité de production agricole et industrielle, de création de valeur, de toute initiative d’innovation ?
En d’autres termes, nous ne savons pas, nous ne pouvons pas ou ne voulons pas produire selon les modèles industriels compétitifs, nous ne savons que “commercer” : un métier d’“intermédiaire” sans valeur ajoutée.
Peut-on dire que la fièvre revendicative qui ronge tous les secteurs d’activité est passée par là, de sorte que les investisseurs privés sont déçus et découragés par le comportement de leur personnel ouvrier, tant et si bien qu’ils se tournent vers d’autres activités moins soumises aux diktats des travailleurs ?
En effet, Mall of Tunisia inauguré au Lac II il y a deux ans, ne suffit plus, voici qu’il est renforcé par une extension plus importante encore, plus étendue mais aussi luxueuse. L’investissement total est de l’ordre de 130 millions de dinars. Entre-temps, le Mall de la cité Ennasr serait en construction. Pour ne pas faire de jaloux, il promet d’être moins grand, car le terrain est plus coûteux encore qu’au Lac II.
En attendant, le Mall de Sfax a été mis en chantier et nos amis de la capitale du Sud ne doivent pas être en reste et en marge de la société de surconsommation.
Après Tunis et Sfax, la perle du Sahel Sousse, à laquelle il manquait un hypermarché et un Mall, vient de procéder à la mise de la première pierre de ces deux projets : 140 millions de dinars d’investissements.
Toutes les enseignes étrangères qui auront acquis à prix d’or des fonds de commerce dans ces temples du luxe tapageur, auront besoin d’importations massives pour les achalander en produits de luxe et amortir ainsi leurs investissements.
C’est la source du déficit abyssal de notre commerce intérieur qui n’est pas près de se réduire.
En effet, le déficit courant continue de se creuser et atteint 6,6% du PIB au bout de huit mois de 2017 en raison de l’approfondissement du déficit de la balance commerciale qui a dépassé 10 milliards de dinars.
Jusqu’à quel niveau notre pays pourrait-il supporter les déficits scandaleux de notre commerce extérieur, tiraillé par des importations massives légales et illégales de produits inutiles, de luxe, futiles et fantaisistes qui ruinent nos réserves en devises aux dépens des approvisionnements en produits de première nécessité, de biens d’équipement nécessaires à la reconstruction de notre tissu productif et des matières premières indispensables à notre industrie ?
Nous avons besoin d’un sursaut salvateur pour éviter que nos industries de base étatiques s’effondrent dans l’indifférence des pouvoirs publics : aciérie d’El Fouladh, cellulose et pâte à papier alfa de Kasserine, usine de pneumatiques de Msaken… alors qu’elles disposent d’atouts majeurs pour s’épanouir de nouveau et créer de la richesse et de l’emploi : entendons maîtrise technologique, savoir-faire et compétences humaines, marchés et clientèles, circuits d’approvisionnement en matières premières.
Il manque un facteur décisif, la volonté de relance avec la recapitalisation et la modernisation de l’outil de production.
L’enjeu majeur à préserver : l’emploi massif à la clé, dans les pôles régionaux de développement qui survivent grâce à ces industries et au pouvoir d’achat distribué aux travailleurs et qui risquent de disparaître faute d’emplois massifs.
Menzel Bourguiba, Msaken, Kasserine, Béja… Serons-nous demain à l’abri d’une véritable révolution, pour n’avoir pas  répondu aux impératifs du développement des régions défavorisées de l’intérieur, principale revendication du soulèvement populaire du 14 janvier 2011 ?
Il y a lieu de se demander dans quelle mesure une économie fondée sur le tourisme de shopping et de luxe peut assurer la reprise de la croissance économique et être en même temps une plate-forme stable à l’abri des aléas de la politique et des risques sécuritaires.
Une réorientation des investissements vers de grands projets industriels s’impose plutôt que des centres commerciaux de grand luxe, des hôtels somptueux, des palaces, des villas de luxe et des ports de plaisance.

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