C’est plutôt mal parti : les premiers documents budgétaires proposés par le gouvernement de Hichem Mechichi, le10ème chef de gouvernement depuis 2011, sont boiteux. Mechichi a promis de stopper l’hémorragie budgétaire, avec l’aide d’une équipe de «technocrates» capables de prendre les bonnes et difficiles mesures, et un redressement financier et économique. Peine perdue, son projet de Budget 2021 et son complément de budget pour 2020 exigent 30 milliards de DT (25% du PIB) à financer impérativement par la dette. À se demander, si une gouvernance à crédit ne peut que générer un gouvernement au rabais! Explication…
Gouvernance à crédit
Ce 10egouvernement de «technocrates» était attendu pour des arbitrages difficiles et des décisions innovantes pour sortir le pays de son impasse économique et budgétaire.
Mais, au lieu de mobiliser, au lieu de réformer, au lieu d’aller au front avec un projet visant à rationaliser les dépenses de l’État, le gouvernement Mechichi, adopte les postures de ses prédécesseurs : pour gouverner paisiblement; éviter les réformes douloureuses et parier sur l’argent «facile» de la dette.
Incroyable, ce 10egouvernement ne fait même pas semblant de vouloir optimiser les ressources budgétaires disponibles, dans une ou plusieurs mesures et orientations! Ce gouvernement ferme les yeux sur les gaspillages des deniers publics au sein de l’État et ne fait rien pour initier un modèle de compressions budgétaires, notamment par l’entremise d’une évaluation systématique et objective de l’action gouvernementale. Une évaluation qui dira objectivement où faut-il couper, quel arbitrage faut-il opérer et comment faire mieux avec moins!
Les propositions budgétaires du gouvernement Mechichi ne disent rien, absolument rien, sur comment rationaliser les dépenses salariales d’une administration publique devenue pléthorique, inefficace, et inefficience.
Mais, au sein de ce gouvernement, c’est le ministre des Finances, Ali Kooli qui endosse une responsabilité particulière, voire historique.
Un banquier devenu le premier trésorier de l’État !
Qui l’eût cru : Ali Kooli, cet ex-patron d’une petite banque commerciale en Tunisie et devenu en un rien de temps le Trésorier de l’État, et ministre des Finances, décide de creuser dangereusement les déficits budgétaires. Avec une démarche voulant notamment financer la dette par la dette, alternant les cartes de crédit et multipliant les bailleurs de fonds. Tous les moyens sont bons, y compris les pressions voulant faire fonctionner la planche à billets au sein de la Banque centrale de Tunisie. Il sait que ce faisant, la Tunisie fait doubler les taux d’intérêt (financer la dette par la dette), fait payer indument les contribuables… et fait avancer la Tunisie vers le défaut de paiement!
Sa faute est avant tout morale, avant d’être une faute politique!
Un banquier monétariste dans l’âme est devenu ministre des Finances publiques, et depuis qu’il a enfourché le cheval de la politique, il a viré de bord et a montré qu’il est capable de faire de la politique politicienne, tout en sacrifiant le bon sens économique! Un bon sens universel, totalement axé sur l’optimisation des résultats de l’action gouvernementale, sur la discipline budgétaire au sein de l’État et sur l’impératif de faire plus avec moins.
Avant de jouer à fond la carte de la dette, le gouvernement Mechichi et son ministre des Finances auraient pu raboter dans les dépenses et gaspillages actuellement à l’œuvre au sein de l’État. Avec une masse salariale imposée par quelque 850 000 fonctionnaires, soit 30% de plus que les effectifs de fonctionnaires au Maroc, un pays qui compte pourtant trois fois plus de population.
Plus grave encore, pour ne pas toucher à la masse salariale et pour ne pas évoquer les sureffectifs des administrations, le Budget 2021 n’a pas hésité à sabrer fortement le volume des investissements publics. Pourtant, tous savent que le pays avait besoin de l’investissement pour restarter une économie mise à genoux, par une décennie de mal-gouvernance!
Où trouver l’argent? De toute évidence, Le FMI et les banques nationales et internationales. Mais, ces bailleurs de fonds ne sont pas des philanthropes et vont faire payer cher les risques encourus par la gouvernance de la Tunisie post-2011.
Gouvernance au rabais
Avec une telle démarche fondée sur la dette pour financer son budget, le gouvernement Mechichi semble changer de fusil d’épaule, prêt à tout pour bénéficier de la bénédiction de Ghannouchi, chef du parti islamique Ennahda, et ses alliés au pouvoir.
C’est grave et c’est surtout irresponsable quand un gouvernement fait passer sa longévité politique au détriment de la bonne gouvernance économique du bien public.
Ce gouvernement, annoncé comme un promoteur des décisions difficiles et cruciales pour contrer le marasme économique, a plutôt baissé les bras au premier obstacle et à la première occasion.
Certes, l’économie était mal au point déjà depuis un moment! Mais la pandémie de la Covid-19 a empiré la débandade économique, avec son lot de chômage et de destruction des entreprises et la contraction des industries exportatrices en Tunisie. Mais, la pandémie Covid-19 n’a pas occasionné toutes ces dépenses publiques revendiquées pour le complément de budget pour 2020.
Il y a certainement de la «comptabilité créative» et pas mal d’amateurisme chez les concepteurs des documents budgétaires proposés pour boucler l’année 2020 et gouverner le cycle budgétaire pour 2021.
En se dopant par la dette, le gouvernement Mechichi sait ce qu’il fait. Rester au pouvoir, le plus longtemps possible et tant pis pour la bonne gouvernance et la défection au regard des promesses à trahir. Encore un autre gouvernement investi, sous l’étiquette d’indépendant, porteur de politiques «technocratiques». Encore un autre lot de ministres capables de muer, après à peine trois mois, pour devenir un gouvernement partisan et à la solde des partis politiques ayant des agendas des groupes d’intérêt.
Les banques de la place vont trouver leur compte dans ces Budgets à financer par la dette et aux frais des contribuables. Les banques de la place savent que le ministre des Finances, un banquier comme eux, fera le nécessaire pour que les taux d’intérêt et garanties publiques soient à la hauteur des attentes!
Le système financier et la politique monétaire menée par la Banque centrale (BCT) font tout pour maintenir le taux d’intérêt élevé, très élevé. Facilement trois fois plus élevé qu’au Maroc, qu’en Jordanie et 10 fois plus élevé qu’en Europe.
La BCT mène la dance avec un taux directeur de 6,75% et fait le nécessaire pour que les banques prêtent à l’État, au détriment des entreprises, et avec des garanties dignes des systèmes oligarchiques d’un autre temps. Les banques locales sont peu concurrentielles, peu transparentes et jouent un jeu dangereux pour les mois et années à venir. Leurs actionnaires et Conseil d’administration pensent bien faire en sacrifiant le secteur privé et l’investissement productif. Et cela ne peut pas se faire sans la bénédiction du gouvernement Mechichi, le silence des partis politiques et la complicité des élites de la place : économistes, mais pas seulement!
Le FMI est aux aguets! Il laisse faire, sans oser froisser les humeurs, «Business as usual», tant pis pour la suite des évènements. La dette tunisienne envers le FMI a explosé les dernières années et cela ne semble pas se calmer pour les mois et années à venir! Les bailleurs de fonds internationaux se frottent les mains et ont hâte de ramasser les pots cassés par une mal-gouvernance endémique et certainement dévastatrice pour l’économie tunisienne.
Dans le contexte, la Tunisie risque gros : avec de telles addictions à la dette toxique, la gouvernance du pays fait fuir les investisseurs et encourage la défection des opérateurs économiques… vers le marché parallèle et la fuite des capitaux.
Si rien ne change, la Tunisie avance tout droit vers le défaut de paiement, faisant planer l’épée de Damoclès sur l’avenir de la Tunisie de la transition démocratique.
*Universitaire au Canada