Gouvernement Chahed : conflits d’intérêt et jeu trouble d’interférences

Le coup de colère de Saïd El Aïdi, ancien ministre de la santé publique,  invité mercredi par radio Mosaïque FM,  en dit long sur le malaise ambiant dans le pays et la profonde déception qui commence à habiter la classe politique et les observateurs avertis. Outré par le déni qu’affichent certains responsables au sujet de la continuité de l’Etat et de la prédominance des conflits d’intérêt qui se manifestent de plus en plus à travers les nominations aux postes de responsabilité ou la négation du travail accompli par les prédécesseurs.
Que la ministre de la Santé prétend qu’avant son arrivée au département, il n’existait pas de stratégie nationale en matière de santé, ça ne peut être entendu que comme une courte vue de l’esprit. C’est même grotesque et un peu irresponsable. Ce qui l’est plus encore, ce sont les nominations qui n’obéissent qu’à la logique du partage du gâteau.
Il faut dire que ce sentiment d’exaspération et de dépit a tendance à gagner du terrain, tant le laxisme et le manque de transparence commencent à faire légion. Une situation qui est en train de pousser à des questionnements lancinants sur le dysfonctionnement de l’action gouvernementale,  la prédominance de l’esprit partisan des nominations dans les postes de responsabilité, le jeu périlleux de conflit d’intérêt qui a tendance à s’installer et l’incohérence entre ce qui est déclaré et ce qui est entrepris. S’agissant de la gestion des affaires publiques, l’on se demande à qui peut profiter tout ce cafouillage et ce brouillard qui ne cesse de s’épaissir ?
Ce qui étonne le plus dans tout ce qui se passe, c’est à l’évidence le jeu d’interférences qui a tendance à s’installer au sein de l’action gouvernementale et qui risque, dans un contexte de crise économique et sociale grave, de fragiliser davantage le gouvernement Chahed en mal de repères et de soutien, de l’exposer à des situations qu’il ne pourrait pas maîtriser et de battre en brèche la solidarité et la cohérence de son action.  Dès lors, comment expliquer que des ministres conseillers à la Kasbah s’arrogent le droit d’outrepasser leurs prérogatives, en se dérobant d’assumer les missions pour lesquelles ils ont été nommés?  Il faut dire, qu’on n’assiste pas à des cas isolés, loin s’en faut. L’armée de ministres conseillers à la présidence du gouvernement semble agir en ordre dispersé et sans feuille de route claire.
Fayçal Derbal, conseiller auprès du chef du gouvernement, chargé de la réforme  fiscale, par exemple, s’occupe de tout, sauf du  dossier qui relève directement de sa compétence. Il semble que, ce qui l’intéresse le plus, ce sont les opérations de cession des actifs détenus par l’Etat que d’autres questions sans importance. En témoignent ses nombreuses visites au holding El Karama, ses déclarations informelles qu’il est en charge de ce dossier et son absence inexpliquée et inexplicable lors de l’adoption récemment par l’ARP de la loi sur les incitations fiscales.

En rangs dispersés
La question des conflits d’intérêt se pose également au sujet de la nomination récente de Adel Grar, à la tête du holding El krama. Un poste qui revêt une importance considérable dans la mesure où il lui revient de vendre les participations de l’Etat dans de nombreuses entreprises confisquées depuis 2011, dont notamment Carthage Cement. C’est à ce niveau que réside le couac. Sans mettre en doute la compétence de Adel Grar, qui est avérée, comme le montre bien son CV, ce qui dérange, en revanche, c’est que le nouveau responsable d’El Karama Holding a été en 2011 associé au bureau FINOR ( de Fayçal Derbal) pour effectuer une audit approfondie de  la société Carthage Cement sans compter qu’en 2010, le même bureau a été chargé d’évaluer ses actions.  Charger aujourd’hui la même personne de vendre les  participations de l’Etat pose, certes, un conflit d’intérêt et subséquemment la question de délit d’initié! Il faut rappeler à ce propos, que Adel Grar a présenté récemment sa candidature pour faire partie des administrateurs indépendants d’une banque publique laquelle a été rejetée par le ministère des finances et la BCT pour la même raison: conflit d’intérêt.
Les questions qu’on se pose au sujet de  Fayçal Derbal et Adel Grar, se posent également pour d’autres personnes qui s’évertuent à jouer à fond la carte d’interférence, du reste préjudiciable au bon fonctionnement du gouvernement et aux intérêts du pays. C’est le cas, en l’occurrence, de Taoufik Rajhi, ministre-Conseiller auprès du Chef du Gouvernement Chargé du Suivi des Réformes Majeures et Président du Conseil des Analyses Economiques, qui, hormis la présentation en début  2016 de son fameux rapport:  » Programme national des réformes majeures 2016 – 2020 « , qui a suscité une polémique se rapportant à une prétendue plagiat, brille par ne rien faire.
Les annonces parfois fantaisistes de Fadhel Abdelkafi, ministre du Développement, de l’investissement et de la coopération internationale laissent pantois et dubitatif. Ses dernières déclarations sur la fusion des trois banques publiques en une seule ont apostrophé plus d’un. Même si le diagnostic des trois banques est connu depuis maintenant des années, est-il opportun de mettre sur la table un dossier aussi délicat alors qu’aucun choix n’a été encore pris le concernant!
il en est de même pour le ministre de l’équipement et de l’habitat, Mohamed Salah Arfaoui au sujet de l’initiative du crédit pour le premier logement. Ce dernier a passé outre les recommandations arrêtées en commun par la commission des finances de l’ARP stipulant l’élargissement de ce programme à tous les promoteurs immobiliers, non aux promoteurs exclusifs. La publication des décrets d’application a interloqué plus d’un, puisque le ministre a maintenu la notion du promoteur immobilier exclusif laissant certains spéculer que la disposition en question est ciblée et qu’elle cache un conflit d’intérêt.
Six mois après l’entrée du gouvernement Chahed en activité, l’harmonie qu’on cherche semble voler en éclat,  que chacun fait à sa guise et qu’un problème de pilotage fait encore cruellement défaut. Etonnant!

L.R

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