Présentée comme événement crucial pour la Tunisie et, également, pour la survie du gouvernement, la présentation, le 5 juin dernier, par Habib Essid du bilan des cent premiers jours de son cabinet, a été juste une journée ordinaire, l’occasion de discussions tendues et marathoniennes et un moment bien choisi pour faire le point sur bien des choses.
Ce qui a pesé dans la banalisation de cette journée, considérée, pourtant, comme charnière dans la vie du gouvernement Essid – constamment soumis à un obscur jeu de sape – ce sont la persistance des mouvements sociaux et la tension latente nées des violentes protestations survenues dans le Sud, notamment à Douz, la poursuite d’une campagne savamment orchestrée et aux allures populistes au sujet du dossier des ressources énergétiques et, enfin, les révélations fuitées sur les tentatives mises en pratique pour renverser le gouvernement.
Dans un climat social très tendu, des foyers d’agitation en perpétuelle éruption, un bras de fer à n’en plus finir, engagé par les structures syndicales dans les différents secteurs d’activités et des difficultés économiques de plus en plus pesantes et le piètre rendement dont est crédité le gouvernement par certains notamment le Front populaire, la question qui se pose et qui ne cesse de titiller les esprits, concerne l’aptitude de ce gouvernement à agir et à convaincre dans ce climat délétère. Elle concerne, surtout, la capacité d’Habib Essid de rebondir, de tenir un discours clair et de ne pas se recroqueviller dans une posture défensive et attentiste ?
D’emblée, il est permis de dire que dans cet examen de passage, le Chef du gouvernement a trouvé de bons arguments pour situer l’action engagée par son gouvernement dans l’urgence, redéfinir les réformes et les priorités de développement au cours de la prochaine étape, rappeler les défis auxquels le pays est confronté, les conditions pour sortir du cercle vicieux et les responsabilités qui lui reviennent pour préserver le pays du risque terroriste, de l’anarchie et de la déliquescence du rôle de l’Etat.
Tout en reconnaissant la gravité de la situation et l’ampleur des difficultés, il a tenu à rassurer tout en rappelant à toutes les parties (partis politiques, société civile et les Tunisiens) leur responsabilité, à mettre en garde ceux qui daignent mettre en péril la stabilité, la sécurité et la cohésion de la Tunisie et ceux qui usent de tous les moyens pour affaiblir le rôle de l’Etat.
Dans le contexte difficile que connait le pays, il existe une forte corrélation entre sécurité, stabilité et développement. En effet, il serait illusoire de s’attendre à une croissance soutenue, à une relance de l’investissement et à trouver des réponses à des demandes sociales au demeurant légitimes, si l’insécurité perdure, le terrorisme gagne du terrain et l’agitation sociale se propage.
Les voies périlleuses de la discorde
A ce propos, Habib Essid a été inflexible, affirmant qu’il ne peut y avoir de démocratie ou de développement sans sécurité. Pour cette raison évidente, la lutte contre le terrorisme continuera à bénéficier de la priorité absolue. Le démantèlement des réseaux terroristes se fera concomitamment avec la maitrise de la contrebande qui finance les groupes armés et qui participe à désarticuler les secteurs productifs organisés.
La question de la sécurité ne s’arrête pas à la lutte contre le terrorisme, loin s’en faut. Elle concerne de plus en plus les grèves anarchiques qui paralysent l’activité économique, la recrudescence des tensions sociales qui ont revêtu parfois l’habit régionaliste et même tribal. Elle se traduit également par l’incitation à la division, à l’insubordination et aux velléités de certaines parties à emprunter les voies périlleuses de l’atteinte aux fondements de l’Etat.
A cet effet le rendement faible du gouvernement Essid, au cours de la période écoulée, trouve son explication dans cette agitation constante attisée et entretenue à l’effet de renverser le gouvernement d’une part et de montrer sa faiblesse en le mettant tout le temps devant des situations difficiles et en jouant à fond le bras de fer à propos de tous les dossiers et de toutes les questions, d’autre part.
Pour la première fois depuis plus de quatre mois, Habib Essid n’a pas mâché ses mots devant l’ARP, affirmant sans ambages que le gouvernement «n’acceptera ni chantage, ni bras de fer. Il ne tolérera ni anarchie, ni abus de droit, personne, quelle qu’elle soit n’est censée être au-dessus de la loi ! ». Face à la recrudescence des germes de la discorde, le Chef du gouvernement exprime à la fois un sentiment de dépit et une détermination à sauver le pays de cette anarchie qui risque d’emporter tout avec elle.
L’obligation de résultat
Les violentes manifestations qui ont éclaté au milieu de la semaine dernière à Douz sont l’illustration la plus parfaite des agendas auxquels certains partis politiques, qui n’ont plus une présence significative dans les instances représentatives, se plaisent à jouer pour susciter la colère de la population et raviver le sentiment de la discorde et de la désunion. La tentation de l’anarchie et du chaos qui se ressourcent dans la frustration et les difficultés qu’endurent de nombreuses régions, est un terrain glissant. Le fait d’exploiter le ressentiment de la population pour provoquer des crises artificielles, ne peut donner une plus grande assise à certaines formations politiques sanctionnées par les urnes. A la faveur du diagnostic opéré et de la vision annoncée pour la prochaine période, le gouvernement sera, désormais, dans l’obligation de satisfaire de nombreuses exigences.
Annihiler la menace terroriste, stabiliser le pays en créant les conditions d’une paix sociale durable, montrer une résolution ferme pour que le droit et la loi aient un sens, préserver l’économie de l’effondrement et jeter les fondements d’un modèle de développement inclusif.
Cela implique, qu’après cet examen de passage, le gouvernement Essid sera, désormais, jugé sur son rendement, sur sa gestion et sur sa propension à traduire toutes les intentions en actes et programmes.
Tout l’enjeu est de donner, le jour d’après, visibilité et cohérence à une action gouvernementale qui a péché par son caractère improvisé, peu mobilisateur et à certains égards trop tremblotante.