Gouvernement Jomâa : Succès, erreurs et sortie de crise

Comme chacun sait, la Présidence du gouvernement a publié une revue syncrétique reprenant la synthèse des réalisations gouvernementales. Certes, Mehdi Jomâa a enregistré des succès pendant cette période mais les échecs et erreurs d’appréciation sont aussi patents. Retour sur l’action gouvernementale dont la sortie de l’état de grâce autorise quelques critiques sans pour autant en noircir le tableau.

Les succès

D’abord, sur le plan diplomatique, Jomâa a eu beaucoup de courage à rétablir et réparer ce qu’ont saccagé ses prédécesseurs. Le périple d’Ulysse qu’il a entrepris fut fertile. Il a pu, de ce fait, recoller les morceaux avec les États froissés par les faits et dits des Marzouki, Jebali, Larayedh et leurs acolytes…

Jomâa opère une inflexion dans la politique occidentale à l’égard de la Tunisie. Après le flamboyant été 2013 et le sit-in du Bardo, l’Europe et les USA ont réalisé que leur soutien aux islamistes était peut-être un mauvais choix, surtout avec les « exploits désastreux » de la Troïka…

La reprise de la coopération avec l’Algérie a été aussi un grand succès de Mehdi Jomâa. Il a fallu les événements du sit-in du départ puis ceux qui ont suivi… pour que l’Algérie se décrispe et décide d’un soutien plus conséquent à la Tunisie.

Le sécuritaire

Succès phare de la politique Jomâa, ses ministres de l’Intérieur, le juge Ben Jeddou et celui de la défense, le juge Jeribi, ont pu mieux contrôler la situation que leurs prédécesseurs et mettre en quasi-hors d’état de nuire une bonne part de la nébuleuse terroriste. Seul bémol, le gouvernement n’a pas entrepris de geler les avoirs de groupes terroristes à l’instar de « Ansar Chariaa » et associations satellites soupçonnées d’implication dans les actions terroristes qui ont secoué la Tunisie. De source bancaire sûre, aucune note n’a été adressée aux institutions financières pour démasquer et geler d’éventuels comptes occultes.

L’emprunt obligataire

Le lancement d’un emprunt obligataire n’est pas chose facile et la mobilisation des citoyens pour souscrire à une telle opération, en ces temps difficiles, l’est encore moins. Mehdi Jomâa a eu beaucoup de courage et de méthodologie pour le faire et Hakim Ben Hammouda était brillant dans l’exercice.

Seul bémol, Jomâa, conscient que les petits fonctionnaires ne pourront probablement pas participer, propose dans la loi des Finances complémentaire 2014 l’idée d’une déduction forcée sur leur salaire. Déduction contraire au droit de travail et largement contestée par l’UGTT.

La levée du secret bancaire

Cela ne plait pas à beaucoup de gens et n’arrange pas, bien entendu, les affaires de ceux qui ne jurent que par l’évasion fiscale mais M. Jomâa et M. Ben Hammouda ont eu beaucoup de courage pour donner le feu vert à ce que la loi des finances complémentaire de 2014 intègre un texte selon lequel le secret bancaire serait levé définitivement en Tunisie. Ainsi le gouvernement a jeté l’esquisse d’une politique de justice fiscale mais beaucoup de travail reste à réaliser dans ce terrain miné…

Aussi, la prétendue motion de censure n’a pas eu lieu enfin du compte, et s’est retournée contre ses instigateurs, ce qui représente un franc succès pour le gouvernement Jomâa.

Au registre des erreurs L’intention n’est pas la réalisation

Parcourant la publication de la présidence du gouvernement parue sous le titre « Les réalisations les plus importantes du gouvernement pendant les 100 premiers jours » à la date du 14 Mai 2014 et précisément  au chapitre économique, on se rend compte que ce qui a été appelé « réalisations » n’est autre que l’institution de commissions diverses et le bouclage de programmes… Des intentions, somme toute, qui ne peuvent pas raisonnablement prétendre à l’adjectif de réalisations…

Incompréhension de la mission

Jomâa est venu à la rescousse du pays essentiellement dans l’esprit de mettre fin à la menace de banqueroute économique par le biais de la chasse aux gaspillages et le redressement des comptes. La plus grande erreur de Jomâa, c’est qu’il n’a pas compris qu’on ne gère pas un pays comme on gère une entreprise. En effet, il semble appliquer les paradigmes de gestion classique qu’utilisent les redresseurs de sociétés en faillite… sans tenir compte des facteurs humains et sociaux, accointances diverses, lobbies, rapport de force, négociations, dialogues, cercles politiques, attractions et répulsions etc…

En outre, Mehdi Jomâa considère, à tort ou à raison, que les objectifs de la Révolution 2011 ne le regardent pas et prend bien soin d’en rester à distance. Il est là pour redresser la situation du pays et puis repartir. Réaliser les vœux des jeunes et des chômeurs ne semble pas le tracasser outre mesure. C’est du moins que ce perçoit une bonne par de l’opinion.

Aussi, comme ces prédécesseurs, Jomâa n’a rien entrepris pour trouver une solution durable à la cherté de la vie et à la fougue du marché abandonné, qu’il est, au principe de l’offre et de la demande. Sous son gouvernement, ont augmenté les tarifs de l’électricité, l’eau, transports en commun et bientôt le carburant. Qu’a-t- il entrepris pour alléger le fardeau?

Sur le plan du chômage, l’absence d’un programme économique cohérent n’a fait qu’entraver la politique d’éradication du chômage. Jomaa semble tiraillé entre ses engagements vis-à-vis de ceux qui l’ont choisi et les conditions de ceux qu’ils l’ont financé.

Contrebande et commerce parallèle

Véritable surprise dans le projet de la loi des Finances complémentaire 2014, aucune disposition n’a été prise contre le commerce parallèle afin de l’intégrer dans le secteur formel. Le projet a tout bonnement ignoré ce phénomène comme si de rien n’était. Pourtant la Banque mondiale a présenté une étude sérieuse sur les effets néfastes du commerce parallèle et de la contrebande et a estimé à 1,8 milliard de dinars le manque à gagner pour les recettes de l’État. Il représente, en outre, 38 à 40 % du volume total du commerce en Tunisie. Intégrer le commerce parallèle dans l’activité commerciale régulière ne sera probablement pas chose facile mais reste envisageable, non sans difficultés, il faut le reconnaître. Après toutes les séances de travail ministérielles conduites par Nidhal Werfelli et leurs lots de communiqués de presse annonçant la ferme volonté du gouvernement de s’engager dans une lutte contre le commerce illicite et la contrebande, voici le projet des finances complémentaires 2014 qui n’évoque point aucune mesure concrète contre ce fléau. Pourquoi ? A –t– on choisi les solutions faciles en évitant soigneusement toutes les mesures qui dérangent ?

De l’austérité à la Caisse de compensation

Le président du gouvernement croit, à tort ou à raison, que s’attaquer à la caisse générale de compensation (CGC) pourrait résoudre une grande part du déficit public. Il n’a engagé aucun dialogue par rapport à cette question, ayant refusé d’en débattre avec les partenaires sociaux. Dans le document émanant de Jomâa lorsqu’il fut ministre de l’Industrie daté du 19 décembre 2013, il a présenté un schéma précis de la levée de la compensation sur les industries énergivores. Il n’a jamais été question dans cette note d’épargner une quelconque catégorie sociale de cette levée, fut-elle démunie. Le plafond qu’il fixe maintenant pour pouvoir bénéficier de la CGC est jugé trop restrictif et pourra conduire à la paupérisation d’une bonne partie de la classe moyenne et saper, ainsi, l’assise traditionnelle de la stabilité politique dans le pays.

Par ailleurs, ni le gouvernement Jomâa, ni ceux qui l’ont précédé n’ont pensé à un projet de loi qui encadre le marché de l’habitat, laissé à la liberté outrancière du marché. Ce secteur est devenu, avec les années, un monstre ingérable par les classes moyennes et les couches défavorisées. En France, malgré les lobbies, pressions et tiraillements, le gouvernement Ayrault, a réussi à en briser la « folie » par le biais de la loi Duflot. Mais qu’en est-il de la Tunisie ?

Autre insuffisance du gouvernement Jomâa, sa gestion imprudente des prêts contractés par le pays. Le bal diplomatique qui a suivi le 14 Janvier 2011 et les belles promesses à des aides fraternelles se sont transformés, au fil de la descente aux enfers de l’économie tunisienne, en contrats de prêt aux conditions excessives égratignant parfois la souveraineté du pays.

Pour une sortie de crise

Pourquoi vouloir combler le trou des finances publiques en grevant le pouvoir d’achat de la classe moyenne et des couches populaires et compromettre la consommation, facteur de relance économique ? Pourquoi ne pas appeler à la solidarité nationale des plus favorisés et créer des taxes sur les nombreuses niches fiscales encore non explorées ?

Aussi, quand le déficit commercial extérieur atteint les 4500 millions de dinars, il y a lieu de remarquer qu’il y a un problème grave et qu’il convient de prendre des mesures pour la restriction des importations. A titre d’exemple, pourquoi, dans une période de vaches maigres comme ce que nous connaissons, importons-nous des fromages, des biscuits, du beurre salé, de l’huile d’olive, du prêt à porter de luxe provenant de grandes marques, etc. ?

Si cette réforme venait à être réalisée, elle fera gagner à l’État, selon des experts, 10 milliards de dinars. Au gouvernement d’avoir le courage politique de la conduire.

Reprendre l’investissement étatique

A contrario de tout ce qu’ont fait les gouvernements depuis 1990 qui ont fait que l’État a vendu le « bijoux de famille », le gouvernement actuel et ceux qui vont le succéder devraient relancer l’investissement public dans tous les domaines fructueux possibles.

L’État devrait, dans ce sens, redorer son blason et redevenir maître du pays, maître de l’emploi et de la génération du profit dans les secteurs à forts potentiels et à forte valeur ajoutée. Quant aux secteurs déficitaires, l’État devrait soit restructurer, si les projets présentent un potentiel réel de profit, soit vendre au privé mais avec le remplacement des projets vendus par d’autres qui offrent de réelles capacités de croissance.

Ces chantiers vont être examinés lors du dialogue national économique. Les interlocuteurs auront à corriger les tendances ultralibérales qui conduisent au désengagement de l’État.

 Moncef Chtourou

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