Par Najeh Jaouadi
Une fois la confiance de l’Assemblée des Représentants du peuple (ARP) obtenue, le nouveau gouvernement constitué par le chef du gouvernement Habib Essid aura théoriquement cinq ans pour remettre le pays sur la juste voie, quoique certains, à l’instar du politologue Chawki Gaddes , pensent que le gouvernement ne tiendra pas longtemps.
Outre la composition du gouvernement, Habib Essid devra présenter à l’ARP le programme d’action de son gouvernement pour les cinq ans à venir. Le plus urgent et sur lequel il va être jugé, concerne les actions immédiates qui seront engagées par le gouvernement sur les plan politique, économique et social. Même si les attentes sont grandes et les pressions énormes, la feuille de route qu’il choisira pour les cents premiers jours de son exercice revêtira une importance cruciale. Elle fournira d’abord un signal clair sur la consistance des réformes qu’il aura à engager, les actions qu’il aura à initier et la portée des mesures qu’il aura à prendre.
C’est ainsi qu’avant même de constituer son gouvernement, Habib Essid aurait déjà pris ses précautions et préparé son plan d’action pour les prochains 100 jours. Selon ce document, dont on a pris connaissance, composé de six pages, le programme du gouvernement sera constitué d’actions urgentes et de mesures de réformes qui se réaliseront à moyen et long termes.
Loin de comporter des surprises, ce programme est l’émanation des programmes des partis politiques faisant partie de la coalition gouvernementale.
Et une fois en place, le gouvernement Essid œuvrerait à concrétiser plusieurs priorités.
Les urgences
Incontestablement, la première priorité du nouveau gouvernement est le rétablissement de la sécurité et de l’ordre à travers un Etat civil fondé sur des institutions stables et le renforcement des moyens des agents de l’ordre et l’armée nationale.
Vient, en second lieu, le dossier économique avec la mise en œuvre d’actions de promotion de l’économie tunisienne à travers la réalisation de projets dans les régions, l’impulsion du développement régional en renforçant notamment le rôle financier de la BFPME. Le secteur agricole bénéficiera d’actions concrètes. Outre la révision ou l’abandon des dettes des petits agriculteurs, il est envisagé de soumettre à une large consultation un programme de réformes sur les cinq ans à venir à dessein d’arrêter un programme de restructuration qui sera présenté aux bailleurs de fonds lors d’une conférence internationale.
L’autre facette de la feuille de route est d’ordre social. La préservation du pouvoir d’achat et la maitrise des prix, sera le cheval de bataille du gouvernement Essid. Cela se fera au moyen du renforcement de la maitrise des prix et la lutte contre la contrebande.
Parallèlement, un intérêt particulier sera accordé à l’amélioration du cadre de vie du Tunisien notamment en matière de propreté et de protection du milieu par le lancement de compagnes avec la participation de la société civile. La lutte contre les constructions anarchiques se fera, au regard de ce plan d’action, par la promotion des logements sociaux.
Les réformes
Au regard de la situation économique difficile, le prochain Chef du gouvernement propose la révision du Code de l’investissement dans le but d’améliorer le climat des affaires et impulser les investissements directs étrangers (IDE).
L’accent sera mis sur la poursuite et le renforcement de la réforme du système fiscal afin d’élargir son assiette, favoriser une plus grande équité et lutter contre l’évasion fiscale.
Ces réformes porteront également sur la modernisation du secteur financier notamment les banques et le marché financier, la sauvegarde des entreprises publiques en difficulté, la rationalisation et le ciblage de la compensation et le renforcement du dialogue social. Il est prévu l’instauration d’un haut comité du dialogue social qui aura à arrêter les termes d’une paix sociale de deux à trois ans, s’agissant notamment des négociations salariales.
Lotfi Bouzaiane: Un pacte social, un impératif, une nécessité
Nous sommes dans une phase où les ambitions et les espoirs dépassent de loin les moyens limités dont nous disposons. Je pense que les priorités du prochain gouvernement sont plus au niveau des leviers de changements. Il faut se pencher plus sur le comment faire et comment atteindre nos ambitions. Et là nous avons de grandes possibilités, dans tous les domaines, de gain sur tout ce qui n’est pas actuellement efficace. Pour s’en sortir, j’avancerai trois mots-clés : l’inclusion sociale au sens moderne du terme, la pro-activité et des mesures innovantes socio-collectives.
Les priorités, à mon avis, sont d’ordre général : il faut convenir et promouvoir un projet sociétal commun, issu d’un consensus entre toutes les parties prenantes. Actuellement nous n’avons pas le droit de demander à la société de supporter des conditions austères sans lui proposer une contribution productive. Un pacte social est donc nécessaire. Malheureusement les projets des partis politiques n’ont pas évoqué ce point très délicat. Dans ce cadre, le gouvernement devra améliorer le cadre de vie de base du Tunisien. Cela se fait notamment par le réaménagement de la vie collective du Tunisien : quartiers populaires, écoles, hôpitaux, transport public, logements sociaux et protection de l’environnement, ceci tout en renforçant les droits, en luttant vigoureusement contre la corruption.
Parallèlement, il faut élargir le filet social et les cibles pour atteindre les familles démunies. On recense actuellement dans cette catégorie 150.000 familles, mais le nombre réel dépasse de loin ce chiffre. Avec plus de ciblage et de modes d’intervention efficaces, on arrivera à atteindre plus de familles dans le besoin.
Il faudrait, à mon sens, que le volet social dépasse les besoins en nourriture et aller vers d’autres besoins, en l’occurrence le besoin numérique.
Je pense que le prochain gouvernement devra simplifier la vie et les relations avec le service public et revoir les modes de gestion de l’Administration, quel que soit le secteur. Il faudrait plus de management que de gestion administrative. Le gouvernement devra accorder un plus grand intérêt à l’amélioration des relations professionnelles, le renforcement de l’autorité de l’Etat et, bien évidemment, conférer plus d’efficience, la responsabilisation et l’obligation des résultats de la part du service public, qui devrait être jaugé à l’aune de l’obligation du résultat. Le service public, faut-il rappeler, n’a jamais été évalué et ne s’est également jamais fixé des contrats- objectifs. Il faut qu’il existe une corrélation entre ce qu’on paie et ce qu’on reçoit. Pour cela, il faut un autre rééquilibrage entre la qualité de service et son coût direct et indirect.
En économie, je pense qu’il faut revoir les sources de rentes dans certains secteurs pour promouvoir plus d’équité. En même temps, il est primordial d’optimiser l’Éducation, l’Enseignement supérieur et la Formation professionnelle pour une qualification employante. Trouver une solution au déficit des caisses sociales est un grand dossier que le prochain gouvernement doit inscrire au fronton de ses priorités. Les caisses sociales représentent un gouffre qui handicape la fonction sociale du pays et qui pourrait nous amener à la crise la plus aiguë de l’histoire de la Tunisie.