Après la grève sauvage dans le secteur du transport public qui a mis en grogne plus d’un million d’usagers, le comité administratif de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) vient de lancer un préavis de grève, sectorielle pour les 26, 27 et 28 janvier 2015. Cette grève serait-elle une démonstration de force de l’UGTT ? En effet, l’UGTT, la puissante et incontournable Centrale syndicale de Tunisie, avec 517.000 adhérents est capable de paralyser le pays.
C’est le premier constat de cette grève sauvage, car le bras de fer entre le gouvernement et l’UGTT se poursuit depuis des mois. Devant l’obstination du gouvernement à faire la sourde oreille aux demandes de la Centrale syndicale, le recours aux grèves sectorielles était prévu dans un premier temps et d’autres formes de mouvements n’étaient pas exclues, si la situation ne se dénoue pas.
Sami Tahri, a annoncé ouvertement qu’en cas de refus du gouvernement Jomâa d’engager des négociations, l’UGTT est déterminée à mettre les moyens adéquats pour atteindre son objectif. Grande fut la stupéfaction quand la Centrale syndicale décida une grève subite et sauvage. Houcine Abassi le Secrétaire général de l’UGTT (nominé pour un prix Nobel de la paix) récemment décoré de l’ordre de la République par le Président, nouvellement élu, Béji Caïd Essebsi, a préféré cautionner cette grève tout en sachant pertinemment que le gouvernement actuel n’est plus habilité à répondre à ces revendications au demeurant justifiées, au regard de l’érosion du pouvoir d’achat du Tunisien.est le premier constat de cette grève sauvage, car le bras de fer entre le gouvernement et l’UGTT se poursuit depuis des mois. Devant l’obstination du gouvernement à faire la sourde oreille aux demandes de la Centrale syndicale, le recours aux grèves sectorielles était prévu dans un premier temps et d’autres formes de mouvements n’étaient pas exclues, si la situation ne se dénoue pas.
Cette manœuvre s’est retournée contre l’UGTT. Les Tunisiens qui ont subi les effets pervers de la dernière grève des transports, appartenant dans leur majorité à la classe moyenne et aux catégories défavorisées, ont blâmé l’attitude de la Centrale syndicale.
Mouvements sociaux : quel bilan ?
Lors de son investiture en 2014, le chef du gouvernement Mehdi Jomâa a opté pour un discours rassembleur de toutes les parties prenantes, appelant à une trêve sociale. La situation économique du pays, notamment les finances publiques, ne supporte plus de poursuivre sur la même lancée en termes de dépenses. Si le gouvernement sera amené à faire des exceptions, il le fera pour soutenir le développement et non pas pour les salaires.
Mais l’UGTT ne l’entendait pas de cette oreille et ne voulait pas céder encore une fois, mettant en avant l’intérêt des travailleurs dont le pouvoir d’achat a été sérieusement mis à mal. Cela a été fait en 2013, période au cours de laquelle le pays croulait sous le poids de déficits à tous les niveaux. D’où le malaise qui commence à couver et la tension qui a caractérisé les relations UGTT-gouvernement.
Avec 133 protestations, le mois de décembre de 2014 a connu le plus grand nombre de mouvements sociaux. Au lendemain du 14 janvier 2011, le pays a connu une vague de mouvements sociaux avec leurs lots de protestations, de sit in, de grèves spontanées, sauvages et légales. Entre la contestation permanente que connait le Bassin minier de Gafsa, la Skhira et Gabès, le mouvement des ouvriers agricoles au Sers, du gouvernorat du Kef, les mouvements contre la pollution et le problème des ordures notamment à Djerba et les grèves déclenchées par les syndicats de l’enseignement, le pays est souvent dans une situation de paralysie. Depuis la Révolution, ni les gouvernements qui se sont succédé ni l’UGTT n’ont réussi à trouver une issue de sortie à tous ces mouvements. Cette multiplication des mouvements sociaux, encadrés ou pas par l’UGTT, a fini par exacerber le sentiment anti UGTT, faisant perdre, à certaines revendications au demeurant légitimes, leur bien fondé en raison du recours répété aux grèves. En même temps, l’UGTT se trouve aujourd’hui incapable de présenter un projet social et économique capable de répondre aux attentes sociales et sortir la Tunisie de l’impasse.
L’UGTT et le rôle de l’opposition
Face à cette incapacité d’accomplir son rôle socio-économique, l’UGTT est montée au créneau au plan politique. L’action politique engagée par l’UGTT a commencé dès la première année de la Révolution. Pour s’imposer en tant que centrale indépendante, l’UGTT se lance dans un bras de fer contre le gouvernement de la Troika. L’alibi trouvé était le statut des employés municipaux, mais la bataille était plus politique. En dépit du fait que les employés municipaux aient eu ce qu’ils voulaient, la situation environnementale en Tunisie continue de se détériorer. Malgré les manœuvres des islamistes, le congrès de l’UGTT à Tabarka, en décembre 2011, a affirmé l’autonomie politique définitive de l’UGTT et ce, avec l’exclusion des islamistes des élections du Bureau exécutif.
Certains diront que l’UGTT était contrainte d’incarner l’opposition tunisienne, car l’échiquier politique, à l’époque, manquait d’une force politique capable de jouer ce rôle. Les revendications sociales ont été, historiquement, intimement liées à l’action politique. La Centrale syndicale était l’instigateur du comité de protection de la Révolution, récupéré par la suite par les islamistes et du sit-in Kasbah1 et Kasbah 2 qui ont abouti aux élections de l’Assemblée nationale constituante. Après le départ de la Troïka, l’UGTT prend de nouveau, avec la complicité des deux grands partis du paysage politique, les devants par l’instauration du dialogue national, avec le concours de l’UTICA, la Centrale patronale, la LTDH et l’Ordre des avocats tunisiens. Malgré la présence d’une Assemblée constituante, capable de gérer la transition politique, l’UGTT a fait preuve d’une grande habileté pour assurer cette transition en désignant Mehdi Jomâa en tant que chef d’un gouvernement de technocrates pour mener le pays jusqu’aux élections législatives et présidentielle.
Les mouvements sociaux ne seraient pas selon certains, le cheval de bataille de la Centrale syndicale, mais une démonstration de force face à ses adversaires politiques.
Dans cette période de stabilisation politique du pays, après les élections législatives et présidentielle, l’UGTT a, de nouveau, besoin de montrer sa force et de déterminer sa place dans le nouvel échiquier politique. L’UGTT demeure le seul contre-pouvoir organisé dans le pays.
L’impact économique des revendications
Avant de mettre en évidence l’impact économique sur le budget de l’Etat d’une éventuelle augmentation des salaires et des primes, il y a lieu d’avoir une appréciation sur l’état des lieux de la masse salariale du secteur public en Tunisie. Il faut rappeler tout d’abord que la masse salariale constitue une contrainte majeure, car elle limite les marges de manœuvre des pouvoirs publics en matière de développement et d’investissement. Selon un rapport du Fonds monétaire international (FMI) la masse salariale continue d’augmenter en Tunisie, et ce à cause des 70.000 recrutements effectués chaque année et de l’augmentation des salaires. Cette masse est passée de 10,7% du PIB en 2010 à 12,5% en 2013. Elle absorbe ainsi près de 60% des recettes fiscales et 30% des dépenses de l’Etat. Avec 795.000 employés dont 180.000 dans les entreprises publiques, le secteur public pèse près du quart de la population active, soit 3 fois plus que dans des pays comme le Maroc, le Brésil, le Chili ou le Mexique. Le FMI recommande à la Tunisie de reformer le secteur de la fonction publique afin d’alléger cette pression sur le budget et les dépenses de l’Etat. Pour ce faire, le FMI propose notamment de dégraisser cette «masse» de fonctionnaires par des départs volontaires à la retraite. Par ailleurs l’augmentation des salaires de l’administration publique devrait améliorer certes le revenu, le pouvoir d’achat et la consommation des ménages, cependant, elle induirait une détérioration des équilibres macroéconomiques internes et externes. Son effet se traduirait par une baisse croissante de l’investissement. Cela favoriserait les importations et conduirait à une aggravation du déficit de la balance commerciale. Par ailleurs, l’équilibre budgétaire se détériorerait encore plus. La situation actuelle de crise que connait le pays est pour beaucoup. Avec une croissance atone qui ne dépassera pas les 2.4% en 2014, l’élargissement du déficit courant de 35.5% pour s’élever à 5843MD, soit 7,1% du PIB et une inflation qui tourne autour de 6%, le gouvernement se trouve sur le fil du rasoir, avec une marge de manœuvre très limitée qui ne l’autorise nullement à donner son aval facilement à de nouvelles augmentations salariales. Tel est le vrai dilemme.
Najeh Jaouadi