Gouverner par le mépris

Mis à part quelques couacs, l’organisation est impeccable. Elle est digne d’un grand parti disposant de confortables moyens tel que Ennahdha.  L’accueil est courtois, bien que parfois crispé et empreint d’une timide rigidité. Le sens de la discipline, exagéré par de longues années de clandestinité, est frappant. Des «chauffeurs» de salle sont astucieusement disposés. Sur le plan formel, tout communique l’impression que nous avons affaire à un parti sûr de lui-même, conjuguant le pouvoir de l’argent au pouvoir tout court, temporel et religieux ; l’ordre et l’ordre moral ; la loyauté et le sentiment rassurant d’incarner  la foi et la loi. Tous les ingrédients paraissent réunis pour s’assurer une capture durable du pouvoir.

L’un des moments forts du congrès d’Ennahdha fut l’arrivée de Khaled Mechaal, leader du Hamas palestinien. Moment unique. Magique. Extatique. La récitation du Coran, prévue pour inaugurer les travaux et déjà entamée fut curieusement interrompue.  De manière brutale. 

Irrévérencieuse. La politique, celle de toujours, a pris le dessus sur la religion pour célébrer une figure, Khaled Mechaal, qui les transcende toutes deux, parce qu’il les résume à lui tout seul en les amplifiant : le nationalisme religieux et l’islam nationaliste.

Détail croustillant : en reprenant sa récitation, le muezzin récite la sourate Al-Araf, 204, intimant l’injonction divine : «Et quand on récite le Coran, prêtez-lui l’oreille attentivement et observez le silence, afin que vous obteniez la miséricorde». 

Pour obéir à cette injonction coranique, encore fallait-il, soit de retarder  le tajwîd du Coran jusqu’à l’arrivée de M. Mechaal, soit de lui demander d’attendre pieusement la fin de la récitation avant de rentrer pour recevoir le sacre d’une salle chauffée «à bleu».

Mais la politique a ses raisons que la religion ignore. 

«Djihad ! Djihad ! La victoire ou le martyre !». C’est ainsi que des milliers de militants nahdhaouis ont accueilli leur Saladin des temps «modernes». Le Hamas qu’il représente, dont la création a été au départ favorisée par Israël pour affaiblir l’Organisation de Libération de Palestine (OLP) ; le Hamas qui s’est renforcé à la faveur de l’assassinat de Yasser Arafat ; le Hamas qui gouverne Gaza d’une main de fer ; Le Hamas qui est devenu un élément de division du rang palestinien au grand bonheur d’Israël et qui vient, ironie du sort, appeler les Tunisiens à l’union ; ce même mouvement est devenu le partenaire politique privilégié d’Ennahdha et du gouvernement qu’elle domine au dépens de l’autorité palestinienne, seule reconnue par la communauté internationale pour représenter le peuple palestinien. 

La juste lutte de ce peuple martyr a servi à légitimer les pires régimes dictatoriaux du Monde arabe au nom de la lutte sacrée contre «l’ennemi sioniste» et «l’impérialisme américain». Aujourd’hui Ennahdha semble vouloir utiliser à son tour cette «manne» pour galvaniser ses foules et renforcer sa légitimité à peu de frais.

Mais quelle est au juste la recette proposée par M. Khaled Mechaal dans son discours pour libérer la Palestine : «Il faut bâtir une stratégie arabo-musulmane pour libérer la Palestine et en finir avec les négociations avec Israël». L’histoire à montré que c’est justement cette «stratégie» qui a conduit les occupants israéliens non seulement à se maintenir mais à se renforcer chaque jour davantage.

Guerroyer contre Israël avec des moyens rudimentaires ou fomenter des actions contre les civils a toujours offert à l’occupant le masque qui lui permet de cacher son visage de bourreau et d’apparaître en victime tout en privant les palestiniens du soutien précieux de la communauté internationale en les faisant passer pour des terroristes. Cette «stratégie» est, dans l’état actuel des rapports de force, la solution du désespoir, la solution du pire.

Aucune personne éprise de liberté et attachée aux valeurs de justice et d’équité ne peut remettre en cause la légitimité des aspirations palestiniennes à l’indépendance nationale, mais est-ce à coup de déclarations enflammées, que nous avons expérimenté depuis Nasser jusqu’à Saddam Husseïn en passant par Kadhafi, que nous allons aider les Palestiniens à se libérer ?

Bourguiba aimait à dire en évoquant les poétiques promesses de prières imminentes à Jérusalem formulées par nombre de dirigeants du Machrek : «balivernes d’Arabes». Au-delà du mépris affiché pour la propension de certains de nos frères d’Orient à prendre leurs désirs pour des réalités, cette «sentence» résume une vision de l’action politique. Pour lui, elle demeure en toutes circonstances l’art du possible. Elle consiste, comme il le disait souvent, à concilier la fidélité à l’objectif  tracé avec la souplesse dans le choix des moyens pour l’atteindre. Lorsqu’il est amené à faire des concessions, un homme d’Etat doit se convaincre, et surtout convaincre, qu’il les fait moins à l’ennemi qu’à la réalité têtue des rapports de force. Pour se donner cette liberté, un dirigeant doit absolument s’abstenir de verser dans la surenchère nationaliste et flatter les instincts chauvins de son peuple. Car cette attitude est non seulement inefficace politiquement et condamnable éthiquement, elle représente également un obstacle majeur quand viendra le temps de la négociation. Parce que le populisme limite les marges de manœuvres et dresse la barre des attentes trop haut pour pouvoir les satisfaire dans la concorde. Sans compter que gouverner les gens par les sentiments est indiscutablement une forme de mépris.

 

 

L’un des moments forts du congrès d’Ennahdha fut l’arrivée de Khaled Mechaal, leader du Hamas palestinien. Moment unique. Magique. Extatique. La récitation du Coran, prévue pour inaugurer les travaux et déjà entamée fut curieusement interrompue.  De manière brutale. 

Irrévérencieuse. La politique, celle de toujours, a pris le dessus sur la religion pour célébrer une figure, Khaled Mechaal, qui les transcende toutes deux, parce qu’il les résume à lui tout seul en les amplifiant : le nationalisme religieux et l’islam nationaliste.

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