Le ministre du tourisme et de l’artisanat a entretenu le 22 septembre dernier avec M. Chedly Zouiten, président du club tunisien des voitures et membre de la fédération internationale de l’automobile, à propos d’un projet de complexe intégré de Formule 1 dans la région de Salloum, entre Sousse et Hammamet, à 10 km de l’aéroport Ennfidha et à 80 km de la capitale. Dans ce contexte, le forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux (FTDS) se pose plusieurs questions, notamment sur les répercussions économiques et environnementales d’un tel projet.
Le site d’implantation du complexe Formule 1
Le projet Tunisia Racing F1 City consiste à réaliser un complexe sportif intégré qui soit entouré d’unités hôtelières et de loisirs de très haut niveau. Ainsi, entre autres seront construits deux hôtels 5 étoiles, un hôtel 7 étoiles, 8 restaurants internationaux avec différentes gastronomies (chinoise, libanaise…) et un quartier résidentiel qui comporte 60 villas et 600 appartements avec vue sur mer, le tout du haut-standing. Un casino, un terrain de Golf et un grand centre commercial viendront compléter ce complexe dont l’enveloppe prévisionnelle tourne autour de 1,218 Milliard de dinars.
Sur 300 hectares, la société d’investissement britannique Bitrage Investments Ltd assurera le financement de ce projet avec une contribution de la part du gouvernement tunisien qui reste encore imprécise. En effet, très peu d’informations existent sur le montage financier de ce projet mais plusieurs points sont à relever.
Les risques économiques en environnementaux d’un tel projet
D’un point de vue économique, les coûts de la discipline Formule 1 sont très élevés et le pays qui souhaite organiser un Grand Prix de F1 doit payer cher son inscription au calendrier des pays candidats. Par ailleurs, pour avoir le circuit sans payer, plusieurs options s’offrent à la Tunisie : négocier avec les organisateurs pour baisser le prix, fournir gratuitement les terrains d’implantation et se charger de l’infrastructure nécessaire ou encore renoncer aux revenus générés par la vente des tickets (qui est la somme la plus importante) mais bénéficier de tout l’effet de l’événement. Ainsi, quel que soit l’option retenue, le risque que ce projet coûte cher à la collectivité est bien réel.
Les hôtels, restaurants, casinos et autres sites dédiés à accueillir les amateurs de ce sport feront le plein des visites les 2 ou 3 jours de la course et risquent par la suite de connaitre le grand vide. De plus, les appartements et villas hauts de gamme implantés dans ce site au bord de la mer et à proximité de l’aéroport seront proposés à des prix très élevés ce qui pourrait poser problème quant à leur vente ou location. La question se pose ainsi sur la pertinence économique de cet énorme projet dont les retombées sur le tourisme et l’économie restent limitées à la période de l’événement ce qui risque de faire tomber tout le projet en décrépitude après quelques années.
D’un point de vue environnemental, ce projet sera implanté dans une zone côtière du sud du Cap-bon, sur des terres à majorité domaniales, à quelques mètres de la plage, traversant une rivière et quelques terrains agricoles. Ainsi, avant de se féliciter de son impact sur la dynamisation du tourisme dans le pays et la création d’emploi, il faut alerter sur ses impacts sur l’environnement et les composantes de l’écosystème.
En effet, les sports mécaniques est une importante source de gaz à effet de serre et pour cause les voitures de Formules 1 qui ont une consommation record en carburant avoisinant les 75 litres pour 100 km. Par ailleurs, ce grand prix accueille chaque année plusieurs milliers d’amateurs, à titre d’exemple 25 000 tickets ont été vendus en 2017 à l’occasion du Grand Prix de Formule 1 d’Azerbaïdjan. La présence de ce grand nombre de personnes sur un même lieu pendant quelques jours doit être pensé d’un point de vue environnemental (consommation, déchets, piétinement, effet sur la plage, empreinte carbone…) et pollution atmosphérique et sonore.
Sur le plan social, le projet prévoit la création de 2 500 emplois techniques hautement qualifiés en automobile et 15 000 emplois saisonniers. Sauf qu’il faut soutenir ces emplois saisonniers et essayer de les faire durer au-delà des quelques jours du Grand Prix, ce qui revient à assurer des activités et une dynamique tout au long de l’année.
Un paradoxe dans l’orientation stratégique du ministère du tourisme
Au vu de tous ses éléments, le forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux (FTDS) appelle à publier, si elles existent, les études d’impact économique, social et environnementale de ce projet.
Il demande également une réelle implication des différents agents et experts des parties prenantes concernées dans l’évaluation de la pertinence de ce projet et pour l’attribution du permis final (ministère de l’environnement et des affaires locales, ministère de l’économie, ministère du tourisme, ministère de la jeunesse et du sport).
Il rappelle entre-autre, que les terres sur lesquelles sera implanté le projet ne sont pas toutes domaniales et prémuni contre un processus d’expropriation pour cause d’utilité publique. Aussi, il peut y avoir d’après l’étude de réalisation du projet une dévaluation de ces terres qui consiste à diviser par deux leur valeur afin de permettre à l’hôte du Grand Prix de l’accueillir à faible coût,
De plus, le FTDS s’exclame du paradoxe qui apparaît dans l’orientation stratégique du ministère du tourisme, entre la promotion récemment déclarée du tourisme alternatif et écologique et l’engagement affiché au profit de ce projet de tourisme sportif complètement contradictoire à la première vision.
Enfin, le forum réitère sur le risque que pourrait induire le pari sur des créneaux fragiles comme le Formule 1 qui n’a pas fait ses preuves dans d’autres pays (Bahrein, France…) au vu de sa rentabilité mitigée et instable et dénonce l’obstination du gouvernement actuel d’aller de l’avant dans des aventures pareilles qui pourraient coûter cher à l’économie tunisienne, déjà bien secouée en ces temps de pandémie et de crise mondiale.