Les grands projets en panne

A la fin des années 2000, lorsque le modèle de développement usité à l’époque avait démontré ses limites, le « pouvoir déchu » a trouvé un nouveau type d’atouts pour mobiliser l’opinion publique en sa faveur et motiver ses troupes : les grands projets d’aménagement urbain. Il s’agit de projets à financer par les soi-disant investisseurs venus des pays du Golfe persique, enrichis grâce à la manne pétrolière et aux spéculations financières sur les places boursières internationales à la recherche d’opportunités exceptionnelles à saisir au vol, notamment en réalisant des plus-values ajoutées miraculeuses sur l’exploitation à outrance de la base foncière.
Les projets consistaient à créer des villes : construction de logements, d’hôtels et de centres commerciaux luxueux, aménagement de terrains de sports et de ports de plaisance, édification d’immeubles de bureaux pour abriter des entreprises étrangères, avec des infrastructures modernes.
Au bout de dix ans d’attente, ces projets se sont révélés des illusions pour la population : ni création d’emplois, ni dynamisation des activités économiques.
Or, des conventions ont été signées entre ces promoteurs privés et l’Etat, par lesquelles celui-ci leur accorde plusieurs avantages.
Il offre des terrains gratis alors qu’il s’agit de vastes sites stratégiques ou bien il intervient pour que le prix soit bonifié, y compris les facilitations pour l’expropriation des privés.
Mais aussi, l’Etat finance les infrastructures nécessaires jusqu’aux limites de la zone, outre les exonérations fiscales pour les entreprises qui s’implantent ainsi que des facilités pour le transfert des devises.
Depuis sept ans, les autorités tunisiennes ont fait preuve de laxisme, voire d’indifférence et de toute façon d’absence de réactivité alors qu’elles devaient veiller au respect des engagements contractuels consentis.
Quelles solutions faudrait-il privilégier ?
Redistribuer les cartes en trouvant de nouveaux investisseurs pour les mêmes programmes ou reconfigurer les projets en séparant chaque grand projet en plusieurs projets plus petits ?
Menacer les promoteurs de déchéance ? Appliquer des pénalités de retard, réviser ou retirer les avantages accordés dans un sens défavorable aux concessionnaires ?
Toutes les options sont possibles en fonction des situations et des projets.
Toujours est-il que la plus grande vigilance s’impose. Ce qui prime, c’est l’efficacité des résultats.
Certaines personnes invoquent des imprévus qui pourraient justifier les retards constatés, tels que la crise financière et économique de 2008 qui s’est prolongée durant deux ou trois ans  ou encore le déclenchement du soulèvement démocratique du 14 janvier 2011. Ces arguments ne sont valables que durant deux à trois ans, mais pas au-delà de dix ans, car la situation politico-économique s’est normalisée entre-temps.
Sauf si les promoteurs n’ont plus les moyens ou bien la volonté de tenir leurs engagements : dans ce cas, il faut dénoncer les conventions et libérer les espaces fonciers réservés.
Hypothéquer de vastes réserves foncières jouissant de sites stratégiques durant une dizaine d’années au profit d’investisseurs fantômes qui réapparaissent tous les trois ou quatre ans pour réaffirmer verbalement les mêmes promesses chimériques de réaliser les projets, est une hérésie.
Ne pas dénoncer les conventions signées par l’Etat alors que le promoteur n’a pas levé le petit doigt pour entamer la réalisation de son projet au bout de cinq ans ou n’a pas repris les travaux interrompus pendant un an, constitue un crime économique commis contre le processus de croissance économique du pays.
L’étude, la négociation et la gestion des grands projets devraient être confiées à un comité composé d’une dizaine de grands commis de l’Etat ayant des compétences multiples, désintéressés et connus pour leur intégrité et leur patriotisme.
Aurions-nous besoin de grands projets pour annoncer ou accélérer le processus de croissance économique ?
Certes, il y a la qualification investissement extérieur » (et financement). Il y a surtout la conception intégrée des projets.
Les grands projets peuvent cependant jouer le rôle de leviers pour engendrer une croissance plus ferme et mieux soutenue grâce à la dynamique provoquée par la multiplicité des chantiers, aux effets induits dans plusieurs secteurs d’activités économiques et au climat favorable à l’entrepreneuriat et aux affaires qui en résulte.

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