Grands projets publics : La traversée du désert

Le coup de force du 25 juillet 2021 qui était censé remettre le pays sur les rails de la croissance économique, du développement durable et de la justice sociale, n’a pas fait mieux que la révolution du 17 décembre 2010-14 janvier 2011. La grande campagne de lutte contre la corruption, décidée par Kaïs Saïed et fortement revendiquée par les Tunisiens, a été une grande chasse à l’homme dont l’impact a été la paralysie de l’économie, la fuite des capitaux et de nombre d’hommes d’affaires et le blocage administratif des projets par crainte de répression judiciaire. Quel gâchis !

 Certains datent d’une quinzaine, voire d’une vingtaine d’années. Des projets structurants planifiés et conçus pour répondre aux besoins de développement économique et social du pays, sur la base d’études de ses moyens humains, financiers et logistiques, et de ses capacités à concrétiser des accords de partenariat nationaux public-privé ou avec des investisseurs étrangers. A ce jour, tous les gouvernements qui se sont succédé depuis 2011, année de la chute du régime Ben Ali, n’ont pu traduire les plans figurant sur le papier en projets sur pied et fonctionnels.
Au lendemain de la révolution, tous les grands projets publics portant l’étiquette « régime Ben Ali » ont été suspendus, entachés de soupçons de corruption. Dans une opération d’envergure de justice transitionnelle, les nouveaux gouvernants ont tenté de « purifier » la Tunisie des relents de la dictature. Mais l’opération s’est révélée, plus tard, tronquée et elle-même entachée de pratiques douteuses et finalement abandonnée, vouée aux oubliettes. Le même sort sera réservé aux projets publics structurants dont les financements étaient pourtant déjà attribués pour nombre d’entre eux : Port d’Enfidha en eaux profondes, Sama Dubaï de Tunis, Cité sportive et métro de Sfax, Port financier de Tunis (financement du Bahrein)… Ce sont là quelques exemples des projets qui ont été les plus médiatisés et pour lesquels aucune suite n’a été donnée.

 La situation urge
Le coup de force du 25 juillet 2021 qui était censé mettre un terme à la décennie noire et remettre le pays sur les rails de la croissance économique, du développement durable et de la justice sociale, ne fait pas mieux. La grande campagne de lutte contre la corruption décidée par le président Kaïs Saïed et au demeurant, fortement revendiquée par les Tunisiens, a été une grande chasse à l’homme dont l’impact a été la paralysie de l’économie, la fuite des capitaux et de nombre d’hommes d’affaires et le blocage administratif des projets par crainte de répression judiciaire. Malgré les appels réitérés de Kaïs Saïed aux responsables administratifs d’assumer leurs responsabilités, qui sont passés aux menaces de limogeage, le blocage des projets continue. « Il faut changer les lois et assouplir les procédures administratives », rétorquent les responsables administratifs. Or même la révision des lois (article 411 du Code de commerce réglementant les chèques sans provisions, la conciliation pénale) traîne et prend beaucoup de temps.
Aujourd’hui, plus que jamais auparavant, la situation urge pour les Tunisiens, d’autant que les conflits armés en cours (Ukraine, Proche-Orient) et ceux susceptibles d’extension (Mer rouge, Liban, Taïwan…), menacent de bouleverser les relations internationales, notamment dans le domaine économique et celui des investissements. Les bailleurs de fonds (pays et institutions) conditionnent, plus ou moins ouvertement, leurs participations au financement des budgets ou des projets, avec le respect ou non des exigences qu’ils soumettent aux potentiels bénéficiaires. Le cas du prêt de 1,9 milliard de dollars de la Tunisie bloqué auprès du FMI en est une parfaite illustration. Ayant refusé de lancer des réformes économiques et sociales douloureuses sans avoir au préalable établi un calendrier progressif adéquat, la Tunisie s’est vu refuser le prêt et d’autres financements extérieurs. Ces réformes ont été, d’ailleurs, lancées, sans grand bruit et sans fracas, selon une stratégie nationale et un rythme qui tiennent compte de la spécificité de la Tunisie post-révolution. Les résultats commencent à tomber, ils sont maigres mais positifs, et le FMI n’y semble pas insensible. A la 54e édition du  Forum économique mondial de Davos, la directrice générale de l’institution financière internationale, Kristalina Georgieva, a indiqué au Chef du gouvernement Ahmed Hachani, qui a fait le déplacement en Suisse, que « la Tunisie fait partie des pays qui ont pu réaliser des résultats économiques positifs en dépit des problèmes issus de la conjoncture internationale difficile», soulignant également que « le FMI reste ouvert à toutes les propositions de coopération avec la Tunisie loin de tout diktat». Allons-nous bientôt voir le bout du tunnel financier ? La déclaration de Georgieva laisse penser que cela peut arriver à tout moment.

 Le monde change
L’ouverture des vannes financières est désormais vitale pour la Tunisie qui a toujours compté d’abord sur ses partenaires traditionnels. Mais, le virage qu’est en train de prendre le monde remet en question toutes les certitudes et la Tunisie se voit contrainte, non pas de changer de fusil d’épaule, mais de diversifier ses partenaires. En effet, le monde change. La loi du plus fort, le recours systématique aux armes, la violence, le racisme et même le nazisme qui fait son grand retour, paraissent comme les nouvelles règles de l’ordre mondial, alors que la paix, les droits de l’homme, la liberté, l’équité et la justice ne sont plus que des vœux pieux. Une preuve, au moins : il y a non-assistance internationale à population en danger de mort à Gaza.
Alors que les Etats-Unis ne cessent de prôner la nécessité d’empêcher l’extension du conflit Hamas-Israël aux pays de la région, Biden s’oppose à un cessez-le-feu intégral à Gaza, frappe le Yemen après avoir ameuté les pays occidentaux, Israël cible le Liban, la Syrie et l’Irak. Tandis qu’une solution de paix à Gaza aurait évité toute escalade armée. Les guerres menacent la quasi-totalité des régions et des continents dans un contexte de course mondiale effrénée aux armements, les plus sophistiqués et les plus dévastateurs. Il y a lieu désormais de craindre que les problématiques de grande actualité ne soient à l’avenir résolues par la guerre, telles que la raréfaction de l’eau, la baisse des productions agricoles, le climat, le nucléaire, la géopolitique…De quelque côté que l’on regarde le monde, c’est le désarroi, et les mouvements de protestation populaire ne semblent plus avoir l’effet qu’ils avaient dans les pays occidentaux, démocratiques dits libres, comme jusqu’à pas longtemps, avant la guerre en Ukraine.
En Tunisie, il y a un réel intérêt national à ce que « la grande purge » de l’administration et du pays des présumés corrompus et comploteurs prenne fin au plus vite. Comme les autres pays du monde, la Tunisie doit se préparer à entrer de plain-pied dans le nouvel ordre mondial qui est en cours de configuration, qui ne jure que par l’intelligence artificielle et qui promet d’engloutir tous ceux qui n’auront pas entamé leur mutation.
La Tunisie a besoin de toutes ses forces et intelligences humaines pour échapper au naufrage.

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