Grève des cafetiers de première catégorie Ça sent le brûlé !  

Nous avons publié dans un numéro précédent (no 1502 du 09 au 15/10/2014), un dossier traitant des problèmes des cafés de première catégorie sur fond d’une polémique qui a éclaté l’été dernier par rapport à la limitation du temps d’attablement des clients et avons conclu, selon les sources d’information dont nous disposions, qu’il était peu probable que la Chambre syndicale nationale des débits de boissons de première catégorie, relevant de l’UTICA, demande à légiférer sur la question du temps d’attablement. Depuis, les cafetiers ont pris leur mal en silence et se sont éloignés progressivement des feux de la rampe… Mais voilà que la Fédération nationale de l’agroalimentaire, du tourisme, du commerce et de l’artisanat, relevant de l’UGTT, monte au créneau, à son tour, et annonce une grève générale dans les cafés de première, deuxième et troisième catégorie pour le 8 janvier courant, reportée par la suite, après d’âpres négociations et un face-à-face fracassant entre la syndicale ouvrière et la syndicale patronale au 27 janvier courant.

Que s’est-il passé ? Quel est le fond du problème ? Retour sur une affaire qui dure depuis huit ans.

 

Les catégories de café

Selon la loi 147 de l’année 1959, les débits de boissons sont classés en trois catégories : la première comprend les débits servants les boissons qui ne contiennent aucun alcool, la seconde compte les débits servant les boissons alcoolisées, c’est-à-dire les bars qui ne servent pas d’aliments, hormis des petits plats plus connus sous le nom de « kamia ».

Le troisième groupe, est composé des établissements de luxe et qui servent des boissons alcoolisées à l’occasion d’une commande de plats cuisinés ; en d’autres termes les restaurants touristiques.

Cette loi fut modifiée par la suite par le décret-loi n°23 de l’année 1974 et ratifié par la loi 98  de la même année. Avant 2001, les débits de boissons de 1ere catégorie étaient soumis à une autorisation expresse du conseil régional, c’est-à-dire du Gouverneur de la région.

La parution du 1er cahier des charges régissant l’activité des cafés a modifié la donne et a laissé libre cours aux entrepreneurs pour investir dans le secteur passant outre les autorisations administratives dont le but était, originellement, de faciliter l’investissement. Mais la facilitation de l’investissement dans ce secteur a dépassé l’entendement et perverti le secteur et l’a fait tomber dans un point de non retour d’anarchie…

 

Origines et causes de la grève

Cette grève trouve son origine dans la première convention collective concernant les cafés toutes catégories confondues. Dans les années 70, Feu Hédi Nouira, Premier ministre à l’époque a supervisé la signature des conventions collectives sectorielles dans presque toutes les branches de l’économie à partir de 1974. Dans ce cadre, a été signée la convention cadre des cafés de première, deuxième et troisième catégorie à la date du 27 juillet 1977. A l’époque, Hédi Nouira, Premier ministre, Mohamed Ennaceur, ministre des Affaires sociales, Habib Achour, Secrétaire général de l’UGTT et Ferjani Belhadj Ammar président de l’UTICA et cafetier de son état, propriétaire d’un café à la rue des teinturiers à Tunis, étaient tous sur la même longueur d’onde, surtout que pendant cette période il y avait une grande sérénité sociale sous l’égide du premier pacte social tunisien signé en janvier 1977 entre le gouvernement et les partenaires. Toujours est-il que dans la précipitation et le relâchement total, furent mis dans le même panier, dans la conception de la convention collective, les cafés de première catégorie, les bars et les restaurants à la carte, ce qui était une erreur monumentale voire un amalgame, car les problèmes et les salaires dans les cafés de première catégorie ne pouvaient pas raisonnablement être les mêmes que dans les établissements qui servaient de l’alcool.

Le problème était resté trottant pendant des décennies jusqu’à ce que la Chambre syndicale nationale des cafetiers de première catégorie lance un premier appel d’urgence. C’était aux alentours de la fin de l’année 2005. Dans les dizaines de procès-verbaux de ladite chambre et des chambres régionales y relevant, on pouvait remarquer que les patrons des cafés ne voulaient plus prendre part à la convention collective de 1977 et exigeaient la conception d’une nouvelle convention.

Les cafetiers ont allégué que les cafés de première catégorie n’ont ni les mêmes problèmes que les bars et restaurants, ni la même clientèle, ni le même standing de personnel, ni la même composition des coûts de revient ni les mêmes salaires…

En effet, les cafés de première catégorie ont une majorité de clients de la classe populaire et de chômeurs tandis que les bars et les restaurants à la carte ont une clientèle aisée d’un haut standing et par conséquent les prix vont avec…

En outre, la paie dans ces établissements ne pouvait être identique vu que dans les restaurants à la carte, les chefs de rang et autres maîtres d’hôtel sont diplômés d’écoles d’hôtellerie, se rendent au travail tirés par quatre épingles (costume, cravate, noeud papillon, barbe rasée, parfum…), maîtrisent plusieurs langues et surtout avaient une connaissance technique de la gastronomie et un grand savoir-faire. Ce qui n’est pas le cas des garçons de cafés ordinaires… La différence est sans équivoque et le salaire aussi…

Bref, depuis fin 2005, les cafetiers ont commencé à grogner pour essayer de s’extirper de la convention collective des cafés toutes catégories confondues, mais les temps étaient difficiles et le pouvoir ne voulait pas de ce désengagement. Le vent a tourné en 2011 avec les mouvements populaires et la chute du régime et la Chambre syndicale nationale, toujours forte de ses positions et de ses références, n’a pas changé d’un iota et a refusé tout bonnement de signer l’avenant de la convention collective pour l’augmentation de la grille des salaires de 2011 mais aussi les avenants qui ont suivi, c’est-à-dire ceux de 2012 et de 2014 et a de surcroît, adressé, comme le prévoit le code du travail, à la Fédération générale du tourisme relevant de l’UGTT un recommandé avec accusé de réception dans lequel elle a annoncé son retrait de la convention collective et appelé la Centrale syndicale à concevoir une nouvelle convention propre au cafés de première catégorie.

Bien que la loi le permette, selon les articles 33 et 43 du code du travail tunisien, l’UGTT, elle, ne l’a pas entendu de cette oreille et refuse le retrait des cafés de la convention collective. En outre, l’UGTT demande une augmentation des salaires avec effet rétroactif depuis 2011… et maintien ses positions sur une grève générale prévue pour le 27 Janvier 2015…

En définitive, le dialogue entre les parties concernées demeure très difficile et les perspectives d’une solution très limitées…

Moncef Chtourou

 

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