Quatre ans de grogne sociale, de protestations et de sit-in ininterrompus, depuis la Révolution. Il ne passe pas un jour à Gafsa sans qu’il y ait une agitation ou des mouvements sociaux. Le Groupe chimique tunisien (GCT), l’entreprise qui était la plus florissante et la plus importante de la Tunisie affronte la crise la plus difficile de son histoire. Le gouverneur de Gafsa l’a déclaré ouvertement, que le gouvernement actuel n’est pas capable de résoudre la crise du GCT.. Retour sur une crise sociale qui a mis le premier pourvoyeur en devises pour la Tunisie à genoux.
Pourtant en 2011, dès le déclenchement des premières revendications à la Compagnie de Phosphate de Gafsa (CPG), filiale du GCT, le gouvernement à l’époque réceptif aux mouvements sociaux avait pris des mesures structurelles au sein de l’entreprise. Ces mesures consistaient en la nomination de Kais Daly, originaire de Gafsa qui était apprécié par les professionnels du domaine, PDG de l’entreprise. Celui-ci était venu muni d’un programme de réformes pour l’entreprise notamment en termes de justice sociale. Déjà en 2011, Kais Daly, optimiste a annoncé que « Dans cinq ans le groupe sera plus que jamais solide et fort » Aujourd’hui, quatre ans après on est à la troisième nomination de PDG. Signe de l’incapacité du gouvernement à contenir les débordements de revendications et à offrir une alternative.
La STPP, premier maillon faible de la CPG
Le dernier acte de ces revendications est en relation avec les transporteurs de phosphate relevant de la société de transport des produits phosphatés (STPP), une filiale de la CPG voulant à tout prix intégrer celle-ci. Cette filiale a été créée suite à l’abandon de la sous-traitance. La CPG sous-traitait avec des sociétés pour transporter le phosphate. Selon Adnène Hajji, cette filiale a récupéré les équipements désuets en l’occurrence les camions des sous-traitants, ce qui a provoqué la mort de quatre conducteurs dans des accidents de travail. Pour la CPG, relève son attaché de presse, M. Ali Houichet Le PDG, M. Romdhane Sid était débordé ne pouvant pas s’exprimer la compagnie était obligée de réutiliser les équipements des sous-traitants pour honorer le contrat unilatéralement interrompu. Selon lui, les accidents ne sont pas dus à l’usure des camions, mais à l’incompétence des conducteurs, recrutés sans aucune condition de compétence. La CPG a été amenée à intégrer entre 700 et 1000 de ces transporteurs sous-traitants dans cette nouvelle filiale. Aujourd’hui, la STPP caracole un déficit de 17 millions de dinars. La CPG se trouve incapable aujourd’hui d’intégrer cette filiale et ses ouvriers. Résultat : le dossier de l’intégration ne sera pas fermé pour le moment et probablement les revendications continueront jusqu’à l’arrivée du nouveau gouvernement.
La SNCFT, deuxième maillon faible de la CPG
Contrairement à ce que pensent certains, la CPG n’a recouru aux transporteurs sous traitants que pour assurer le transport du phosphate des usines de traitement vers les usines de transformation en l’occurrence le Groupe chimique. Selon M. Houichet la CPG était contrainte de recourir aux sous-traitants car la société des chemins de fer est incapable aujourd’hui d’assurer cette fonction. Outre les problèmes sociaux et de recrutement massif, la société des chemins de fer manque d’équipements. Quant au recrutement massif il avait un but social. Aujourd’hui, la société manque terriblement de compétence. Sami Hajji considérait ça comme un retour à la corruption, puisque la tonne transportée est payée 24 dinars au lieu de 5,600 dinars initialement. M. Houichet répondrait que le coût du transport par camion est beaucoup plus cher que le transport ferroviaire, d’où ce décalage.
Le recrutement à la CPG
L’entreprise envisageait en 2011 de recruter 4.400 employés, 3.000 emplois directs à la CPG et 1.400 employés seront intégrés dans les chantiers d’environnement et de plantation. Selon Kais Daly, PDG à l’époque ce chiffre de 4,400 n’est pas sorti fortuitement. « Ce chiffre est conclu suite à une analyse profonde de l’état actuel des conditions du travail des ouvriers du bassin minier. Nous avons conclu que ces conditions de travail nécessitent une normalisation. Dans le passé le bassin minier de Gafsa a vécu des difficultés financières ce qui nous a obligés de travailler avec un nombre limité d’ouvriers. Les ouvriers travaillaient continuellement et sans interruption durant 350 à 360 jours par an, ce qui n’est pas conforme au code du travail. Nous pouvons donc aujourd’hui ajouter une équipe supplémentaire pour permettre aux ouvriers d’avoir un temps de repos ». Aujourd’hui et depuis 2011, la CPG a embauché près de 6324 dont 2724 employés considérés comme des cas sociaux dont 140 fils de victimes d’accidents de travail, 1200 agents de garde et 700 agents de ménage. Selon M. Houichet, pendant que toutes les autres entreprises publiques prennent leur temps pour intégrer les employés sous traitants et essayent de trouver la formule adéquate, la CPG est en train de payer le prix fort de cette intégration massive qui lui coûte des millions de dinars.
Des pertes considérables
Les problèmes de la CPG ne s’arrêtent pas là, puisque elle doit répondre à d’autres revendications. 17 millions de dinars ont été jusque-là dépensés au titre d’indemnisation environnementale. Des terres seraient impactées par les usines de la CPG. Des experts dépêchés par le tribunal sur ces terres pour mesurer l’impact environnemental avaient été agressés. Malgré que ces allégations n’aient pas été confirmées, la CPG était obligée d’appliquer la décision du juge.
Le constat actuel est inquiétant : pertes et manque à gagner sont considérables. En 2014 les pertes de la CPG ont atteint les deux milliards de dinars contre 200 millions en 2011. Quant à la production qui était à plus de 8 millions de tonnes de phosphate, elle est aujourd’hui à 3,7,millions de tonnes. Rappelons qu’en 2010, le chiffre d’affaires à l’exportation était de l’ordre de deux milliards de dollars soit 8% du total des exportations. C’était le premier exportateur de la Tunisie. Quant à la création de valeur ajoutée, l’ensemble de la chaine c’est-à-dire GCT et CPG totalise un milliard de dinars de valeur ajoutée, soit la moitié de ce que totalise tout le secteur du tourisme ou celui du textile et habillement. Ces données ne peuvent que confirmer le rôle incontournable de ce groupe pour l’économie tunisienne, qui devient aujourd’hui une véritable bombe à retardement. Que peut faire le prochain gouvernement pour rendre à nouveau le GCT un fer de lance de l’économie tunisienne. Il faut espérer et attendre
Najeh Jaouadi