Les forces françaises, l’armée malienne ainsi que la force africaine de la CEDEAO avancent vers le Nord Mali dans la perspective de reprendre le contrôle du pays et de chasser les groupes terroristes. Mais cette guerre s’annonce longue et aux conséquences lourdes pour toute la région. Serions-nous devant un scénario à l’afghane ?
Jusque là, la France a envoyé environ 800 soldats et compte augmenter son effectif à 2500. De son côté, la force africaine est composée de 3300 soldats dont 900 nigériens, sont déjà sur place en attendant l’arrivée des autres en provenance du Bénin, du Burkina Faso, du Ghana, du Niger, du Sénégal et du Togo, sans compter l’armée malienne dont le nombre est évalué à 7000 personnes. Tout ce dispositif, en plus des avions et des chars, est employé pour combattre les groupes terroristes installés au Nord et dont l’effectif ne dépasse pas, selon certaines informations, les 5000 personnes. Mais ces djihadistes sont bien entrainés (ayant pour la plupart déjà fait la guerre en Libye, en Algérie et même en Afghanistan) et bien équipés en armes sophistiquées, obtenues suite à la chute de Kadhafi.
Actuellement, la situation s’annonce plutôt favorable aux forces françaises et à leurs alliés qui ont avancé vers Gao, l’une des trois villes principales du Nord, prises par les terroristes. Toutefois, ces derniers, bons connaisseurs du terrain et capables de se dissimuler au sein de la population, comptent leur faire mener un long combat avec de lourdes pertes humaines et financières. La France était-elle consciente des conséquences avant de s’engager dans une intervention militaire ?
Les causes de l’intervention française
Depuis la chute du gouvernement malien d’Amani Toumani Touré (ATT) en mars 2012 et la prise du Nord du Mali par les groupes terroristes (Al Qaida du Maghreb Islamique, Ansar Eddine et le Mujao), La France était favorable à la résolution de la situation d’une façon sécuritaire. Elle a fait des pressions aussi bien sur les pays de la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) que sur le Conseil de Sécurité de l’ONU, jusqu’à obtenir de ce dernier, en décembre 2012, une résolution pour l’intervention militaire dans le pays (la résolution 2085). Cette intervention était prévue pour le deuxième trimestre de 2013. Or, la prise de ville Konna, qui marque la ligne de frontière entre le Nord et de Sud, a accéléré les choses et a décidé la France à intervenir d’urgence le 11 janvier. Son action n’a pas suscité l’unanimité au début, notamment de la part des Etats Unis et de l’Algérie qui étaient plutôt favorables à la continuation de la solution politique et des négociations avec Ansar Eddine, le groupe djihadiste local, formé essentiellement d’Arabes maliens. L’intervention française semblait avoir pris tout le monde de court et obligé les plus réticents à la soutenir. L’Algérie qui ne voulait pas s’engager dans le conflit armé a fini par consentir d’ouvrir son espace aérien aux forces françaises, lesquelles sont, certes, intervenues dans le but de répondre à l’appel d’urgence du gouvernement malien, mais c’était surtout, pour défendre les intérêts de la France. N’oublions pas que le Nord Mali est une zone très riche en ressources naturelles, notamment l’uranium et le pétrole. Certains observateurs estiment que les groupes terroristes, notamment l’AQMI et le MUJAO, ont été poussés et manipulés pour prendre Konna, afin de permettre à l’armée française de se rapprocher.
Il est vrai que l’action militaire française a fini par avoir l’aval de tous, mais on craint fort que la guerre se prolongera sur une longue période. « Nous resterons le temps qu’il faut », avait déclaré le Président français, François Hollande, ne fixant pas de date précise pour la fin des opérations. En revanche, les groupes terroristes ont l’intention de mener une « guerre d’usure », bénéficiant de l’étendue désertique de la zone, difficile à contrôler et de la frontière poreuse du Mali avec ses voisins (Algérie, Mauritanie, Niger, Libye) pour se réfugier et reprendre aussitôt la lutte. En outre, le chef d’Ansar Eddine, Iyad AG Ghali a déclaré, le 12 janvier, qu’il y aura un afflux de djihadistes qui viendraient du monde entier pour soutenir « leurs frères au Nord Mali ». La France pourrait donc se retrouver dans un scénario comme celui des Américains en Afghanistan ou en Somalie.
In Amenas : la réaction des djihadistes
Face à l’intervention française, la réaction des groupes terroristes ne s’est pas faite attendre. Une opération spectaculaire de prises d’otage a été réalisée par Mokhtar Benmokhtar dit Bellaouar, un des anciens leaders de l’AQMI au sahel, à In Aménas au Sud de l’Algérie. Un groupe de 41 djihadistes, baptisé « Al mouwaqaoun beddam » (les signataires avec le sang) a pris d’assaut le site pétrolier, appartenant à un consortium BP-Statoil Sonatrach. Ce groupe était composé d’Egyptiens, de Maliens, d’Algériens, de Libyens, de Mauritaniens et de 11 Tunisiens, prenant en otage environ 300 employés du site dont des Britanniques, des Américains, des Philippins, des Français, des Japonais, des Roumains, des Malaisiens, des Autrichiens et des Algériens.
L’Algérie avait refusé de négocier avec les terroristes préférant l’action militaire. Pourtant, Belmokhtar avait diffusé une vidéo où il a déclaré son intention de s’engager dans des négociations. Bilan de l’intervention : libération de 685 employés algériens et de 107 étrangers et décès de 32 terroristes et de 48 otages. Ce dernier chiffre pourrait être révisé à la hausse selon les autorités algériennes. Cette action militaire a été vivement critiquée par l’Occident, notamment par les pays d’origine des otages qui auraient préféré une autre solution à la question. Seules les USA et la France ont appuyé l’Algérie.
Cette première réaction des groupes terroristes ne sera pas la dernière car ils viseront certainement les intérêts français et algériens dans la région. D’ailleurs, ils ont même menacé de frapper la France chez elle si elle n’arrête pas son intervention au Mali.
Qui sont ces groupes terroristes au Nord Mali ?
Le Nord Mali est traditionnellement une zone défavorisée, très pauvre, habitée essentiellement par les Touaregs qui étaient toujours marginalisés par le pouvoir central. A la chute du régime de Khaddafi, les soldats Touaregs qui étaient dans l’armée libyenne ont pris la fuite vers leur pays d’origine, en passant par le Niger, emportant avec eux de grandes quantités d’armes lourdes et légères. Profitant ensuite de la faiblesse du Gouvernement Malien et du coup d’Etat ayant eu lieu en mars 2012, le MNLA (Mouvement National de Libération des Azawad) a déclaré son indépendance face au reste du pays. Aussitôt, sont venus les groupes terroristes, implantés dans la région du Sahel, pour s’installer au Nord Mali, sous prétexte qu’ils allaient aider les Touaregs à créer leur Etat islamique. Ces groupes sont essentiellement : l’AQMI, fondé en 2007 par Mosaâb Abdelwadoud, connu sous le nom de Abdelmalek Droudkel et qui était auparavant le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC, un groupe islamiste algérien) ; Le MUJAO (Mouvement pour l'Unicité et le Jihad en Afrique de l'Ouest), créé vers la fin de 2011 comme un mouvement de scission d’Al Qaida au Maghreb Islamique, il est formé essentiellement de djihadistes noirs maliens, ainsi que d’autres nationalités, algérienne, libyenne, mauritanienne, tunisienne et même européenne. Il est actuellement installé dans la ville de Gao ; Ansar Eddine qui est un groupe local, dirigé par Iyad Ag Ghali qui était le premier à mettre la main sur les principales villes du Nord Mali.
Ces trois groupes se sont vite démarqués du MNLA et ont imposé leur agenda dans le Nord Mali, à savoir, s’adonner à des activités de trafic de drogue et d’armement, en plus de prise d’otages. En fait, la région du Sahel est devenue, depuis quelques années, la plateforme favorable pour la contrebande et la circulation des stupéfiants, de cocaïne, d’armes de toutes sortes et de combattants. Une jonction s’est opérée entre les terroristes et les narcotrafiquants pour le trafic de drogue qui traverse d’Ouest en Est l’Afrique et vice-versa, en passant par la région du Sahel et notamment le Nord Mali. Des relations fortes se sont aussi tissées avec d’autres groupes terroristes africains comme Boko Haram au Nigeria et Al Shabab en Somalie.
S’opposer à ces groupes et à ce marché juteux ouvre devant les forces occidentales qui sont intervenues dans la guerre au Mali, la porte de l’enfer, car les djihadistes défendront férocement leurs intérêts. En outre, ces derniers connaissent très bien le désert, s’y déplacent facilement et trouvent toujours le moyen de s’approvisionner en hommes et en armes. En cas, de défaite, ils se dissimileront au sein de la population ou partiront dans les pays voisins pour créer des cellules dormantes et renouveler leurs forces avant de refaire surface de nouveau. Difficile donc, de finir cette guerre d’aussitôt. Difficile aussi d’évaluer ses conséquences car elles risquent d’être lourdes sur le moyen et le long terme.
Des conséquences lourdes sur la région
La France verra ses intérêts en Afrique visés par les groupes terroristes, très actifs en clandestinité, sans compter la facture financière très élevée de la guerre qui affaiblira encore son économie.
Le Mali déstabilisé et l’Etat décomposé, mettra beaucoup de temps à se reconstruire et à retrouver une stabilité et des institutions solides.
Cette guerre débordera certainement sur d’autres pays avoisinants qui sont déjà ravagés par la pauvreté, le sous-développement, la corruption, le narcotrafic comme le Niger, le Tchad, le Burkina Faso. Ils pourraient être les prochaines cibles des djihadistes en fuite du Mali et qui vont se disperser dans tout le sahel.
L’Algérie sera le pays qui risquera le plus dans cette guerre car les éléments d’AQMI sont toujours présents sur son territoire, notamment dans le sud où prospère le trafic de drogue et de carburants. Il est vrai que le gouvernement algérien a, depuis le coup d’Etat au Mali, renforcé ses frontières, mais rien n’empêche les terroristes de s’infiltrer par la Mauritanie ou encore par la Libye. La reproduction d’une opération comme celle d’In Aménas est très probable et il est attendu que le territoire algérien devienne la cible de plusieurs opérations terroristes, surtout qu’un bon nombre de combattants d’AQMI et du Mujao sont d’origine algérienne.
La Tunisie : quelles répercussions ?
Reste maintenant à savoir si cette guerre aura des répercussions sur la Tunisie. Il est clair que notre pays n’est pas à l’abri de ce qui se passe dans la région, surtout avec la mouvance salafiste qui a prospéré sur tout le territoire et notamment l’aile djihadiste, dirigée par Abou Iyadh qui ne nie pas ses liens avec Al Qaida. Les saisies récemment de quantité énormes d’armements, légers et lourds dans plusieurs endroits comme Kasserine, Tataouine, Médenine, Kef, Jendouba, Siliana, Sfax … montrent que les relations entre djihadistes restent fortes. Cette solidarité entre eux se manifeste à travers le transfert de combattants ou d’armes. La découverte parmi les assaillants du site pétrolier d’In Aménas de 11 Tunisiens prouvent qu’il existe bel et bien des liens qui sont déjà tissés avec les groupes terroristes et des personnes qui servent de relais pour recruter et recevoir de nouveaux combattants. Des informations des services de renseignements parlent de cellules dormantes d’Al Qaida en Tunisie et de camps d’entrainement dans nombreux endroits du pays. En témoigne celui trouvé, vers la fin de l’année 2012 à Kasserine, sur la frontière avec l‘Algérie. La découverte aussi la semaine dernière, d’un entrepôt, sur la route de Gabès, plein d’armes lourdes comme des missiles RBG anti chars, des explosifs et autres qui ne peuvent être utilisés qu’en temps de guerre, confirment les doutes sur la possibilité de les stocker pour ensuite les envoyer au Mali.
Les autorités tunisiennes se rendent compte du danger de la situation. La réunion à haut niveau qui a eu lieu le 17 janvier entre les trois présidences, en présence du Ministre de la Défense et du Chef d’Etat Major a souligné les conséquences sécuritaires sérieuses de la crise malienne sur les pays voisins dont la Tunisie. Dans un communiqué, un appel a été lancé à « la société civile et les forces nationales pour prendre leurs responsabilités dans la lutte contre le phénomène de la violence et du terrorisme et dans le soutien des efforts sécuritaires et politiques pour neutraliser les groupes violents. ».
Il est nécessaire désormais de consolider le dispositif sécuritaire national, d’augmenter le contrôle de la mouvance djihadiste et d’avoir une stratégie claire pour lutter contre le terrorisme, tout en travaillant en coordination avec les autres pays de la région qui subissent la même menace.
Hanène Zbiss