Nimbé d’ambiguïté, le mot guerre fourre dans le même sac, des genres contraires. Ce mélange, lamentable, sert à justifier l’injustifiable et à maquiller l’intenable.
Ainsi, pour camoufler son procédé génocidaire, Nétanyahu dit : « Nous sommes en guerre ». Or l’Etat colon ne commet guère des crimes de guerre, sa guerre, tout entière rime avec le terme crime. De même, la colonisation française de l’Algérie recourt à la manière militaire et le rejet de l’envahisseur oppose la guerre de libération à la guerre d’occupation. Dans ces conditions terminologiques, l’énonciation du même terme, celui de guerre, charrie un vice de forme et cligne vers les travers inhérents au vocabulaire.
« La situation n’est pas mûre pour décréter la fin du conflit », disait de Gaulle. Ce propos illustre la fonction rituelle de la guerre informationnelle. Celle-ci rassure par son recours à l’imposture. Ici, de Gaulle substitue aux atrocités infligées à l’Algérie un fruit pas encore mûr pour être prêt à se voir dégusté. Mais parfois, ce type de formulation relève de la bonne foi.
Ainsi, évoquer une guerre de libération pour la Nouvelle Calédonie quand la France estime avoir un droit de regard, illustre le retard des colons eu égard à la transformation. Un autre cas de figure serait, aussi, à explorer. La guerre sévit entre l’Ukraine et la Russie.
Mais chacun des adversaires confère le sens qui l’arrange au mot guerre.
Pour l’un, il s’agit d’agression quand pour l’autre, il est question de récupération. Ici et là, prévaut la représentation.
Aucune des parties ne perçoit le monde à partir du lieu où campe l’autre. Au vu de ces façons de voir, l’une à l’autre irréductible, Clifford Gertz conclut à une appréciation profonde mais malaisée à réceptionner.
Selon l’éminent sociologue américain, il n’y aurait que des opinions dans le domaine des sciences humaines.
Cependant, chaque locuteur estime proférer l’ultime vérité à l’instant même où il ne cesse d’opiner. Ce dilemme titille la religiosité. Le tenant de la croyance catholique n’apprécie pas trop le tenant de la conviction islamique.
Comment expliquer autrement les guerres de religion ? La bêtise de cet affrontement oriente l’investigation vers le non-sens de maints conflits, les armes à la main. Déjà, « Le déserteur » symbolisait l’ample remise en question diffusée par l’écrit et la chanson. La prise de position n’incrimine plus telle ou telle guerre, elle réfute l’essence même de la guerre.
Ce point de vue, subversif, paraît quelque peu excessif. Les époux Cholet, français, intègrent le FLN et luttent contre le colonialisme français. Comment ne pas légitimer le combat engagé contre le colonisateur abhorré ? Lors d’un séjour algérien dans leur chalet sur front de mer, j’ai eu l’occasion d’apprécier ce couple exemplaire.
Il surplombe l’appartenance nationale pour adopter une position morale. Quel Israélien serait disposé à lutter contre la colonisation des terres occupées ? Pour Sergueï Lavrov, Israël ne peut éliminer le Hamas car il fait partie du peuple. L’Etat-gangster l’a, déjà, fort bien compris et c’est pourquoi il recourt à ses manières génocidaires.
Même pris entre le feu de la grève générale, chez lui, et celui de la résistance palestinienne, Netanyahu persiste et signe pour la perpétuation de l’extermination.
Cependant, les enfants de chœur, seuls, pourraient prendre position contre toutes les guerres par définition meurtrières. Ils substituent l’idéalisation à l’investigation. Car la violence figure parmi les dispositions subjectives inhérentes à la condition humaine et demeure irréductible à une simple dérive. Jadis, au temps où, devant et dans la faculté, les étudiants mobilisés criaient « itfajjar bourkane ithouar » pour acclamer l’héroïsme vietnamien dressé contre l’impérialisme américain, condamner toute violence fleure le non-sens. Le 24 août, Raoudha Gharbi, mon ancienne étudiante qui figurait parmi les indignés, me rappelait ce temps passé. A l’ère des luttes menées pour l’indépendance advenait le premier système d’alliance, précurseur de l’actuel Sud global. Même sans formalisation, une connivence unissait Bourguiba, Mohamed V, Farhat Abbès et Sékou Touré. Lors de la négociation menée entre Mendès France et les représentants vietnamiens après Dien Bien Phu, Hédi Mabrouk assistait, à Genève, aux effets provoqués sur le colonialisme ébranlé. g