Guerre, grégaires et galères!

Le conflit en Ukraine déclenche une grave récession économique à l’echelle planétaire. Une autre sévère contraction conjuguée à une explosion de l’inflation. Pire encore, ce conflit fratricide va générer par ricochet des famines, des crises de réfugiés et de la paupérisation, essaimant d’autres zones de tensions, d´autres drames humanitaires et d’autres conflits armés.
Les institutions internationales avertissent de la gravité des risques encourus et des conséquences maléfiques de cette guerre qui implique de puissances nucléaires et détentrices d´incommensurables pouvoirs économiques et financiers, très déterminants dans les équilibres géostratégiques. Mais, les politiciens s’en balancent, leur focus est sur le pouvoir, l’expansionnisme et la main mise sur les ressources naturelles.

Une guerre pas comme les autres !
Avec ses outils militaires dévastateurs et ses ravages économiques cette guerre se joue entre les titans d’hier. Entre l’Est et l’Ouest, l’Ukraine n’est que dindon de la farce. Une case à occuper dans l’échiquier politique.  Un pion à damer!
Quelles que soient ses ramifications, cette guerre redessinera de nombreux enjeux géopolitiques, dont celui ayant prévalu depuis la fin de la deuxième guerre mondial…et accords de Bretton Woods, signés en juillet 1944, dans le New Hampshire aux États-Unis.
Comme c’est partie, cette guerre ne sera pas une guerre éclaire ! Elle ne sera pas une guerre chirurgicale, elle ne sera pas une guerre asymétrique comme celles qu´a menée l’Occident contre des Etats lilliputiens, pauvres et prétentieux a l’instar de l’Irak, de l’Afghanistan, de la Syrie, de la Lybie ou de l’Argentine.
Elle sera une vraie guerre, une guerre d’usure…contre un adversaire coriace, armé  jusqu’aux dents…et capable de faire plier l’adversaire, tous les moyens sont bons!
Des centaines de milliers de vies humaines seront fauchées, déplacées, malmenées…affamées et sacrifiées. En Ukraine et ailleurs, par ramifications et contaminations. En Afrique, en Asie…et même en Europe. La Tunisie figurera dans les victimes collatérales de cette guerre fratricide.

Le retour de la stagflation
Les prévisions économiques et stratégistes politiques ne sont pas encore suffisamment précis, mais les anticipations, calculs et estimations commencent à émerger et à prendre forme, pour le court et moyen termes.
L’économie mondiale est encore convalescente après deux années de crise pandémique. La guerre inattendue en Ukraine va assommer pas ses diverses conséquences, les premiers signes de relance et de reprise économiques. Cette guerre va aussi imposer un coup de barre dans la globalisation et la mondialisation des échanges commerciaux.
Cette semaine, le FMI a prévenu que ce conflit multidimensionnel donnera un coup de frein à la croissance économique et provoquerait une hausse de l’inflation.
Ses prévisions d’une croissance mondiale de 4,4 % cette année sont à réviser à la baisse, et le FMI craint le pire, il annoncera des pronostics revisités à son assemblée de printemps, à la mi-avril.
Restant optimiste, Lemoine, cheffe économiste chez Rothschild, anticipe une baisse de la croissance du PIB mondial de 2 %,  pour 2022, si évidemment le conflit ne s’internationalise pas et ne se prolonge pas.
Jeudi, l’OCDE est allée dans la même veine, avec ses chiffres sur les premières conséquences de cette guerre dévastatrice. « Nous ne sommes pas en mesure de présenter des prévisions globales en raison du caractère évolutif de la situation », a averti son secrétaire général, Mathias Cormann.
« Nous ne savons pas encore comment cela se déroulera pleinement, mais nous savons que cela nuira à la reprise mondiale et poussera l’inflation encore plus haut », a indiqué l’économiste en chef de l’OCDE.
En revanche, et selon les premières informations disponibles, l’OCDE évalue à plus d’un point de pourcentage la perte de PIB mondial cette année. Ce qui ramènerait le taux de croissance à 2 %. Avec d´énormes disparités entre pays du Nord et pays du Sud, entre pays émergents et pays pauvres.
C’est la zone euro qui sera la plus sinistrée avec une perte de 3 points de pourcentage de croissance. Aux Etats-Unis, le recul serait limité à un point.
En Allemagne, l’institut économique allemand a indiqué que la croissance du PIB prévue pour 2022  sera divisée par deux: 2 % contre 4 % auparavant.
La même semaine, l’Insee France avait souligné que la guerre en Ukraine coûtera à la France un point de croissance.

L’inflation explose!
Pour l’OCDE, l’inflation devrait quasiment s’accroître de 4  % sur l’année 2022, notamment en raison l’explosion des prix des matières premières. Une inflation, qui atteindra 6% en moyenne pour 2022l pour les pays de l’OCDE. Cette inflation sera automatiquement exportée aux pays pauvres, endettés et ayant des balances commerciales déficitaires.
Aux Etats-Unis l’inflation atteint déjà 7,9% et ce n’est pas fini.
Au niveau des pays de l’OCDE, les taux d’intérêt directeurs vont monter, mais minimalement, pour ne pas pénaliser l’investissement et la croissance dans les pays occidentaux.  Une doigtée caractérise ces banques centrales motivées par la croissance, l’investissement et adeptes de stratégies de relance économiques….avec une approche contre contracyclique.
La FED, le Canada, l’Angleterre ont augmenté timidement leurs taux directeurs, poussant les marchés à relayer ces hausses sur les consommateurs, les épargnants et les investisseurs.
La Chine tire son épingle du jeu et marque des points de croissance avec un meilleur repositionnement géostratégique.
« Si les prix du gaz et pétrole sont multipliés par deux, cela se traduira par 2 points de pourcentage d’inflation supplémentaire et 2 points de croissance en moins », a précisé l’économiste en chef de l’OCDE.

Risque de famine et d’émeutes…
En revanche, le spectacle est tout autre dans les pays africains et arabes.
La famine guette désormais les plus vulnérables des pays endettés et mal gouvernés.
L’inflation des prix alimentaires provoquée par l’envolée des cours du blé (+ 90 %), du maïs (plus de 40 %) inquiète. Ces deux céréales sont produits à grande échelle en Ukraine et en Russie.
Pour le FMI, l’insécurité alimentaire risque de s’aggraver dans certaines régions d’Afrique et du Moyen-Orient.
Si la guerre vient à durer, un retour des émeutes du pain n’est plus à écarter si les prix des produits alimentaires de base continuent à flamber.  Et si le FMI continue à conditionner ses aides à l’instauration de la vérité des prix, prônant l’annulation des subventions aux prix  des denrées de base.
Un arrêt complet des exportations de blé de la Russie et de l’Ukraine entraînerait « un risque accru de crises économiques dans certains pays mais également des désastres humanitaires avec une forte augmentation de la pauvreté et de la faim », prévient le FMI.
De même, l’explosion des coûts de l’énergie (pétrole, gaz, charbon) amputera le budget des ménages et amplifiera les processus de paupérisation à l’œuvre dans les pays endettés et politiquement instables.
Plusieurs gouvernements doivent s’endetter davantage pour financer leurs importations en produits énergétiques. En somme, cette guerre risque de paupériser davantage de centaines de millions d’habitants sur la planète.
Dans un tel contexte, les gouvernements et l’action publique vont devoir prendre des mesures de soutien, préconise le FMI.
En même temps, cette guerre peut être rentable pour ceux qui savent en tirer profit. L’idée de taxer les sur-profits des entreprises générés par « l’effet d’aubaine » de l’explosion des cours de ces matières premières, séduit le FMI et les institutions internationales.
Les pays exportateurs de pétrole et de gaz, vont tirer le gros lot et vont même tenter de spéculer, jouant sur les mannes d´une demande inélastiques et une offre oligopolistique au départ. À la guère, c’est comme a la guerre…
Les aides aux secteurs les plus affectés par cette flambée des prix pourraient être ainsi financées par « l’imposition des gains exceptionnels dans certains pays ».
Cette mesure serait de « court terme » précise-t-on dans les instances internationales. A ce stade, la durée du conflit est incertaine, et s´il perdurait dans ses formes et manifestations,  les chiffres annoncés ce jour seront d’être caducs rapidement. Et plus ça dure, plus graves sont les conséquences sur l’économie mondiale.

Une guerre asymétrique
L’Europe multiplie les sanctions contre les Russes. Elle  tire les ficelles, jouant le va-t-on en guerre économique du côté ukrainien. En même temps, elle continue sans vergogne de demander le pétrole et le gaz russes. Le paradoxe tient au fait que ces mêmes pays tributaires du gaz et du pétrole russe, poussent les pays pauvres et malgouvernés à boycotter les céréales Russes et l’économie russe de manière générale.
A se demander, pourquoi les pays vulnérables et endettés doivent-ils arrêter les importations et les transactions avec les russes, en céréales vitales pour les populations vulnérables?
Deux poids, deux mesures d’une Europe qui dépend des Américains. D’une Europe qui ne veut pas reconnaître sa dépendance énergétique et sa vulnérabilité face aux pays émergents et ambitions liées.
L’Europe en sortira perdante de cette guerre qui se joue dans ses confins et à la limite de ses frontières culturelles, religieuses et  civilisationnelles.
Les pays de la zone euro veulent prendre la place des Russes et Ukrainiens en matière d’exportation des céréales aux pays pauvres et habitués à acheter les céréales russes et ukrainiennes. Les Européens veulent vendre au prix fort leur surproduction en céréales aux pays pauvres. Ils montrent leur indifférence face aux risques de famine dans les pays pauvres et tributaires des céréales russes et ukrainiennes.
La Tunisie, jadis grenier de Rome, risque de payer un lourd tribut dans cette dynamique, alors qu’elle a voté contre les Russes à l’ONU, et s’est rangée aveuglément contre ses fournisseurs habituels de blé, d’orge…ses nourriciers à bons prix.
Si rien n’est fait en Tunisie, l’inflation mondiale et la hausse vertigineuse des cours des matières premières vont plomber davantage la croissance, amplifier l’inflation et ouvrir les portes de l’enfer pour la Tunisie, berceau et seul survivant du Printemps arabe. La Tunisie, déjà fragilisée par une décennie de malgouvernance doit faire face, comme un seul homme, contre les risques et méfaits de cette guerre qui peut affamer, paupériser…et anéantir tous les espoirs d’une transition démocratique paisible et prospère.

*Universitaire au Canada

 

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