Guerre religieuse !

La tension s’est accentuée entre la majorité albanaise et la minorité serbe du Kosovo, attisant les feux d’une nouvelle étape de débordements, de dérapages dangereux et de répressions, ce qui a conduit certaines voix à exploiter de tels événements de façon éminemment idéologique, donc mystificatrice. Dans ce chaos affreusement tragique, la célèbre prophétie de Malraux prend tout son sens : « Le vingt-et-unième siècle sera spirituel ou ne sera pas » ! C’est ainsi que les plus fanatiques des Serbes, cherchant à gagner la sympathie de l’opinion occidentale, essaient de faire croire que les tensions au Kosovo sont des confrontations religieuses qui opposent Serbes chrétiens et Albanais musulmans. «Les religions fourniront toujours, à ceux qui les cherchent, les meilleurs prétextes à des guerres civiles», avertissait Sacha Guitry (Pièces en un acte, p 283.). Un prêtre grec, quant à lui, menace de conduire une croisade visant à restituer Constantinople (Istanbul) à la Grèce ! Il juge, en outre, la position de l’Union européenne, relativement «neutre», comme une trahison certaine. Certains médias occidentaux ont fait part de l’existence, au Nord du Kosovo, de quelques barbus qui ont appelé les habitants kosovars au Djihad.
En vérité, ces affrontements n’ont aucun rapport, ni de près ni de loin, avec le «conflit des religions» dans la mesure où ils paraissent essentiellement ethniques et culturels. Les arguments qui corroborent ce point de vue sont variés et multiples : le premier est que plusieurs habitants du Kosovo, victimes des boucheries serbes, sont catholiques orthodoxes. Les Musulmans de ce petit pays n’ont au fond d’eux que des racines lointaines. Cette vérité a été confirmée par le célèbre écrivain albanais Sleiman Kadare : «L’Islam au Kosovo n’est pas une croyance figée, mais plutôt une simple étape de l’histoire de cette région». L’ancien président de la ligne démocratique, Ibrahim Rogova, quant à lui, insistait sur la préservation de l’image du Pape sur les murs de sa propre maison. Il faisait allusion au fait que l’Islam au Kosovo est une affaire essentiellement de patrimoine. D’un autre côté, le chercheur français Georges Castillan écrit dans son livre l’Islam des Balkans : «Lorsque vous êtes introduit chez les musulmans du Kosovo ou d’Albanie, vous êtes surpris par le fait que les murs sont ornés d’images christiques et de la Sainte-Marie».
Pour cette raison, le rapport entre les habitants du Kosovo et l’Islam paraît plus culturel que religieux, en ce sens que l’Empire ottoman n’était pas parvenu, durant la domination qu’il a exercée sur cette région, à approfondir la conscience religieuse chez les habitants. Il s’était contenté de répandre une part des principes de la civilisation islamique. C’est pour cela aussi que les régimes communistes, après la Seconde Guerre mondiale, n’ont trouvé aucune difficulté à anéantir les traditions de cette civilisation et à préparer le terrain à la laïcité.
Si le conflit était religieux, comme l’avaient prétendu les prêcheurs de la prophétie de Malraux, l’Alliance atlantique ne s’aventurerait pas dans les Balkans en 1999. Une telle intervention aurait sûrement provoqué de vives réactions de la part des Chrétiens occidentaux. De même, l’opinion européenne n’aurait pas été solidaire avec les expatriés du Kosovo qui ont été logés, pendant cette intervention militaire, par moult pays européens. En outre, l’Occident qui a toujours tendance à garantir l’indépendance du Kosovo, n’aurait jamais permis la naissance d’un État musulman au cœur de l’Europe.
Ainsi, on peut dire que la prophétie de Malraux ne s’est pas réalisée au grand dam des nouveaux visionnaires ! 

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