HAICA: Les dessous d’une crise pas si nouvelle

Atrophiée par des démissions successives,  la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA) a du plomb dans l’aile et son bureau directeur actuel se trouve dans l’impossibilité de prendre des décisions et d’accomplir normalement son travail. Néanmoins, cela ne devrait pas remettre en cause son existence même, car, de l’avis de certains, la HAICA, l’un des plus grands acquis après le 14 janvier 2011, mérite un meilleur sort et il serait judicieux de combler le vide en nommant de nouveaux membres au plus vite.

Le parcours de la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA) n’a pas été des plus faciles. Depuis sa création, elle a été constamment soumise à un bras de fer de la part des  patrons des médias, surtout en ce qui concerne le cahier des charges. Depuis, une guerre de communiqués a démarré pour ne pas en finir. Les deux dernières démissions de Rachida Enneifer et Ryadh Ferjani, ont mis à jour les conflits internes entre les membres de la HAICA. En effet, ces derniers  ont annoncé leur démission de la HAICA, non sans formuler de graves accusations. Les deux ont pointé du doigt « les déviations récurrentes qui sont de nature à faire dépendre le secteur audio-visuel du pouvoir de l’argent, de la politique et du sport, et d’instrumentaliser la HAICA pour des objectifs autres que ceux pour lesquels des générations de journalistes et d’activistes ont milité ».

Ils affirment par ailleurs, qu’en acceptant de siéger à la HAICA, ils se sont engagés  « de la mettre à l’abri des conflits politiques et d’empêcher qu’elle ne tombe entre les mains des groupes de pression locaux et internationaux »

Au sens de Rachida Enneifer et de Ryadh Ferjani, de graves dérapages ont été enregistrés, notamment l’octroi d’un premier lot de licences le 24 juillet 2014. Cependant, ils avaient préféré rester au sein de la HAICA, pour «rectifier le processus, et préserver la crédibilité et l’efficience de l’instance, en matière de contrôle des élections législatives et présidentielles de 2014». 
Néanmoins, l’’octroi de nouvelles licences,  le 20 avril 2015,  a visiblement été la goutte qui a fait déborder  le vase. A leur sens, ce nouveau lot de licences porte atteinte aux constantes de régulation, notamment en ce qui concerne «la garantie de la pluralité et de la diversité».

Ce qui peut paraitre paradoxal, c’est que le texte de démission de Rachida Enneifer et de Ryadh Ferjani a suscité, non seulement une polémique dans le milieu médiatique mais aussi politique. Ainsi, Khaled Chawket, député Nidaa tounes, a indiqué que la HAICA ne peut plus, désormais, accomplir sa mission. A son sens, d’un point de vue juridique, elle ne dispose plus du quorum pour prendre les décisions qui s’imposent en matière de régulation du secteur, ou encore d’octroi de licences. Cela fait que les membres restant devraient se contenter de gérer les affaires administratives courantes, en attendant l’élection de nouveaux membres.

« Corruption présumée »

Le député ne s’est pas arrêté là. Bien au contraire, il considère que les raisons avancées par les deux membres démissionnaires sont graves. Il y a une « corruption présumée » appelant sur les ondes de Shems FM, le parquet à intervenir et à ouvrir une instruction. Parallèlement, il a souligné qu’il appellera également, le Bureau de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP), a convoquer les membres de la HAICA, ceux en exercice et les  démissionnaires, pour les entendre et comprendre ce qui se passe !

Face à la levée de boucliers provoquée par la nouvelle vague de démissions, la HAICA n’est pas restée les bras croisés. Tout en se déclarant « surprise » par la publication du texte de la démission sur Facebook, alors que « le conseil (de la HAICA) était en train de l’étudier », elle a exprimé son « étonnement » devant l’utilisation d’expressions telles que « dérives répétées » alors « que c’est l’instance qui a défini les règles, pour éloigner les médias audiovisuels des pressions financières, partisanes et corporatistes ».

Le communiqué que la HAICA s’est empressée de publier est on ne peut plus clair. « L’instance a rejeté toutes les accusations soulignant, qu’elle  ne subit aucune pression nationale ou internationale et  que toutes ses décisions ont été prises selon sa libre volonté (…) Il n’est possible de restructurer le paysage audiovisuel (…) qu’en octroyant de nouvelles licences, selon des critères objectifs que l’instance a déjà publiés ».

Il faut rappeler que les démissions d’Enneifer et de Ferjani viennent s’ajouter à une autre, déposée,  en juillet 2014, par un autre membre, Mohsen Riahi. Ce dernier avait quitté l’institution, en l’accusant entre autres, de prendre des « décisions transgressant la loi » et d’utiliser « des procédures non transparentes pour l’octroi et la régularisation des autorisations pour la création des chaines télévisées ou des stations radio ».

Passer du temporaire au permanent

La réaction du Syndicat national des patrons de médias n’a pas tardé,  d’autant qu’il est en « guerre » avec la HAICA depuis sa création. Amel  Mzabi, présidente du syndicat a déclaré sur les ondes de Mosaique FM que le « syndicat ne veut plus coopérer avec la HAICA qui n’a plus de pouvoir après la démission de Riadh Ferjani et Rachida Ennaifer, faute de quorum. »

Elle précise  que les membres démissionnaires ne peuvent être remplacés vu l’absence d’un cadre juridique adéquat, indiquant  que la HAICA doit être remplacée par l’Autorité de la communication audiovisuelle (ACA).

Le Syndicat des patrons des médias n’a pas manqué de mettre en exergue la gravité des « accusations », des deux membres démissionnaires. Ces derniers ont, effectivement accusé des  lobbies, tunisiens et étrangers,  d’avoir mis la main sur des médias tunisiens. Pour le syndicat, les décisions de l’instance n’ont  plus aucune autorité et la HAICA n’a plus raison de poursuivre son activité.
Malgré cela, Amel Mzabi rappelle, quand même que le syndicat tient à la HAICA,  en tant qu’instance de régulation du secteur. Néanmoins, elle a souligné que l’instance n’a pas atteint ses objectifs.

Qu’est ce qui se trame contre la HAICA ? Existe-t-il une guerre de clans en son sein ? Quel impact pourrait avoir ces fissures sur l’avenir de cette instance ?

Autant de questions qui, jusque-là, demeurent sans réponses, sans argumentation surtout. Ceci étant, quelle que soit la nature de la  guerre livrée contre  la HAICA, il s’agit d’une instance importante pour la régulation du paysage audiovisuel. Il n’est pas question de remettre son existence en question. Par contre, il est clair, qu’on devrait passer du « provisoire », au « permanent ». L’actuelle composition de la HAICA est provisoire.  En effet l’article 47, du décret 116 dispose que la HAICA est désignée de manière temporaire, le temps que les nouvelles institutions législatives et exécutives soient établies. Il est temps de procéder au renouvellement des membres de cette instance constitutionnelle. Les élus du peuple ont encore du pain sur la planche et devraient se mettre au travail.

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