Hassen Chalghoumi: « On ne peut pas se permettre, au nom du sacré, de tuer des êtres humains »

 

Hassen Chalghoumi, Président de la Conférence des Imams de France :

« On ne peut pas se permettre, au nom du sacré, de tuer des êtres humains »

 

Imam franco-tunisien, mis sous protection policière en France, suite à ses positions jugées trop progressistes par les islamistes radicaux, Hassen Chalghoumi est régulièrement menacé de mort. « Imam Républicain », il est président de la Conférence des imams de France, et imam de Drancy. Il  mène un combat en faveur d’un islam tolérant et ouvert au dialogue.

Il nous parle du combat nécessaire pour lutter contre le terrorisme, l’intégrisme et le racisme. Interview.

 

 

« Les survivants » de l’attentat contre Charlie Hebdo ont répondu à la mort par un numéro spécial  baptisé, « le journal des survivants », vendu à quelque 5 millions d’exemplaires voire plus. Ce numéro est considéré par certains comme une nouvelle provocation. Qu’est ce que vous en pensez ?

Nous dissocions l’acte de la personne. En d’autres termes, je peux détester le mensonge, le vol…mais, je pourrais être clément avec le voleur, le menteur, c’est un être humain. Pour l’acte, en lui même, je respecte Charlie Hebdo. C’est la liberté d’expression. Mais, ils ont touché ce qui est sacré pour moi, mais ne l’est pas pour eux. On ne peut comprendre leur mentalité, sans être au fait de l’histoire. Le sacré pour eux c’est la liberté d’expression. Malheureusement, le dernier numéro de Charlie Hebdo, c’est de la provocation.

On peut être en désaccord, je peux exprimer mon mécontentement, par un courrier, par un dessin, bref par des moyens pacifiques et civilisés.

Plus on parle de Charlie Hebdo, plus ça se vend. C’est comme une braise, plus on souffle plus elle s’enflamme. Dans ce cas, je pense qu’il ne faudrait pas trop se focaliser sur la question. La caricature qu’ils ont publiée, c’est leur façon de rendre hommage à leurs collègues morts dans l’attentat, pour dire qu’on ne baisse pas les bras.

Notre réaction, en tant que musulmans,  est de « condamner ». Parce qu’on n’est pas d’accord. Mais, il ne faut pas tomber dans le piège du terrorisme et arrêter d’en faire la propagande.

Quand je vois sur Internet que certains estiment, que les journalistes de Charlie Hebdo méritaient de mourir, je suis révolté. L’Islam n’a jamais prôné « le massacre », ni encore moins de tuer ses semblables.

On ne peut pas se permettre, au nom du sacré, de tuer des êtres humains. Il faut que nous, musulmans, soyons plus tolérants. Il faut puiser dans notre religion, riche en valeurs universelles. Le prophète, en revenant à la Mecque n’a pas massacré ses ennemis d’autrefois.  Bien au contraire, il avait considéré que nous étions tous, « frères », dans l’Humanité. Si à chaque fois qu’ils nous provoquent, on tue, la haine ne fera que s’alimenter, se propager. Je pense que c’est, nous, qui avons poussé les journalistes de Charlie Hebdo à ridiculiser l’Islam, suite aux actes de barbarie perpétrés en Irak, en Syrie, et ailleurs, au nom de l’Islam. Finalement, les premières victimes du terrorisme sont les musulmans.

L’attaque meurtrière contre les journalistes de Charlie Hebdo est un acte de barbarie. Et ceux qui l’ont exécutée n’ont rien à voir avec l’Islam. C’est un acte très grave d’intolérance. Bien sûr, je suis contre les caricatures du Prophète, je les condamne. Mais la réponse ne peut pas être la violence. La liberté d’expression implique le dialogue. Les fondamentalistes, eux, ne croient pas au dialogue, ils refusent la démocratie, et ils punissent tous ceux qui ne pensent pas comme eux.

Vous avez déclaré, à la suite des attentats que vous étiez très en colère. Contre qui, vous l’êtes ?

Je suis en colère. Très en colère, surtout contre la société. Pourquoi sommes-nous arrivés là. Je ne dirai pas qu’il y a des failles, mais plutôt des fuites. Il faut que la société se remette en question. Je n’arrive pas à comprendre comment, une gamine de 16 ans, dans une République, avec peu ou trop de moyens, quitte ses parents, son école, son pays,  pour partir en Syrie ? La société doit se poser des questions. Et ce qui l’attire vers la mort, est plus fort que ce qui la retienne à la maison. C’est là, la faillite. Leur prophète est Satan, ce n’est pas le nôtre. Notre religion appelle à la clémence, à la pitié… ; Un être humain ne peut pas accepter les meurtres. Les conséquences sur les musulmans de France sont énormes.  L’extrême pousse l’extrême. L’extrémisme religieux barbare, fanatique, a fait monter l’extrême droite et le racisme contre les musulmans de France. 54 lieux de prières ont été attaqués, des femmes voilées insultées, agressées. On a ouvert une boite de Pandore, l’amalgame.

Je suis en colère contre la société, qui laisse partir nos enfants pour le djihad. Pourquoi, on les a laissés partir et revenir sans aucun contrôle ? Ils n’ont fait que nuire à l’islam.

Quel prix  les musulmans de France vont payer   ?

Les musulmans d’Europe sont entre deux feux. Ils sont otages de l’intégrisme, du fanatisme et du racisme. Ils sont otages du recrutement de leurs enfants. Aucun parent ayant subi  les difficultés de l’immigration, n’accepterait que ses enfants partent en Syrie, en Irak ou ailleurs pour des guerres dont ils ne comprennent même pas l’origine. Et plus, quand ils reviennent en Europe, ils commettent des attentats. La conséquence ? L’amalgame a grandi et le fossé s’est davantage creusé. Aujourd’hui, en Europe les mouvements anti-islam ne cessent de se propager, en Allemagne, en Belgique, en  Suède des milliers ont manifesté contre les musulmans.

Je voudrais quand même, apporter un  témoignage sur la France et son peuple. Et j’en suis fier en tant que Français. Pendant deux jours j’étais triste. La France ne mérite pas ça. Mais, dimanche, pendant la marche républicaine, la France a prouvé que c’est un peuple fort, fort de son histoire, de sa civilisation, de ses valeurs universelles, le pays des lumières, le pays des Droits de l’Homme est sorti pour dire non, on ne baissera pas les bras. Car, c’est une guerre contre la liberté l‘expression, contre la coexistence des religions, la tolérance et le vivre ensemble….

Le 11 janvier a vu une mobilisation historique et sans précédent, à Paris pour envoyer un signal fort, après les attaques meurtrières. Tout le peuple Français, voir le monde, s’est mobilisé contre le terrorisme.  Ici, en France, beaucoup mettent leur vie, comme moi, pour défendre nos valeurs, par amour pour notre religion et pour la France. Car, nous sommes musulmans mais nous sommes aussi, français, et nous y vivons.  Nous sommes en période très difficile mais nos valeurs humaines, universelles restent inchangées. Cette France des lumières, le restera. Elle ne baissera jamais les bras ni face à l’intégrisme, ni face au racisme. Il faut être ferme. Il faut qu’il y ait des actions concrètes pour que ça ne se répète plus. Outre Charlie Hebdo, d’autres otages juifs ont perdu la vie. Il faudrait que ça s’arrête. Ce sont des barbares qui n’ont rien à voir avec l’Islam. Il ne faut pas qu’ils réussissent à diviser le peuple français. Il faudrait plutôt prôner la fraternité, les valeurs humaines.

Quelles sont les actions concrètes à entreprendre, selon vous, pour lutter contre le terrorisme, et surtout la manipulation des jeunes. ? La solution peut-elle être uniquement sécuritaire ?

D’abord, il faut suivre la voix de la religion. Il est aujourd’hui, indispensable de corriger le discours religieux. Celui qui prône la haine et fait l’apologie du terrorisme et de la violence devrait être sanctionné. Par contre, il faudrait favoriser les discours modérés, et encourager la formation d’imams modérés. Ensuite, les réseaux sociaux. C’est là, où, les jeunes sont les plus influençables. Dans ce contexte, les autorités sont appelées à agir, pour fermer les sites violents, de haine, de recrutement des jeunes, et les sanctionner. Parallèlement, il serait judicieux d’inciter à la création de sites qui parlent de l’islam modéré, de la clémence….Enfin, avoir des médiateurs, à l’instar des médiateurs de quartiers, baptisés « grands frères », dans les quartiers difficiles. Ces médiateurs pourraient parler avec les jeunes, confronter cette vague de haine…..Il faudrait aussi essayer de déterminer d’où vient la faille ? Des parents, des réseaux sociaux, de l’école…

Vous estimez qu’il y ait une méconnaissance de l’islam. Car, souvent ce qu’on ne connaît pas, fait peur ?  Faut-il l’enseigner à l’école ?

Au niveau de l’éducation nationale, pourquoi ne pas ajouter l’histoire de l’islam. A mon sens, le programme d’éducation nationale n’enseigne que les guerres dans l’histoire des religions : Les croisades, la guerre sainte….C’est comme si les religions ne sont que guerre. L’ignorance crée la peur, la haine, les préjugés et l’amalgame. L’éducation nationale se doit d’enseigner l’histoire des religions. Au lieu de ne parler que des guerres, il serait plus intéressant de  montrer l’histoire de l’islam tolérant.  Pas de quoi décourager ce qu’on appellerait « un islam de France ». Ce n’est pas un slogan. Je l’appelle l’islam des Lumières, indépendant, sans ingérence étrangère, sans haine». Pour ma part, j’estime que «l’islam est compatible avec la République mais sans politique, ni manipulation». «Notre Charia c’est l’amour de l’homme, la sacralité de la vie, pas l’assassinat des autres». L’enseignement des valeurs d’un islam tolérant à l’école, est de nature, à mon sens, à aider les jeunes musulmans de France, à mieux comprendre.

Il faut être réaliste. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, les musulmans payent le prix fort. Avant d’assassiner des Américains, Ben Laden a assassiné les musulmans». Et, pour changer les mentalités, il faudrait une révolution dans le monde musulman. Il faut renoncer à un islam trop offensif. Il faut aimer les autres pour être aimés en retour. Ce combat que je mène depuis des années, c’est essentiellement pour l’avenir de mes enfants. Et pour éviter que la jeunesse ne bascule dans le fondamentalisme.

Faut-il repenser notre approche de la religion ? Adopter une approche critique ?

Il faut changer nos mentalités. On ne peut changer la réalité tant qu’on n’a pas changé nos mentalités.  Si la Ouma n’a pas la souplesse d’accepter la diversité, la différence, qui n’est autre qu’une richesse. Il faut un renouvellement, de l’Ijtihed, promouvoir l’humanité de l’être l’humain, du droit à la vie.  Il faut une révolution dans le « fekh ».  Cette vision intégriste serait alors, vouée à disparaître,  progressivement.  Aujourd’hui, l’islam donne de lui-même, est une image sombre,  une image de  violence, d’intolérance, de fermeture d’esprit. Car, ces barbares sont trop médiatisés, et font beaucoup de bruit.  Par contre, les musulmans d’Europe ou de France, intégrés, ne font pas de bruit.  Mon combat est de rectifier cette image voyante de l’islam. J’essaye de faire du bruit parce que la majorité des musulmans d’Europe est silencieuse.  En restant silencieux, nous cautionnons. Voilà pourquoi je dénonce. En dénonçant, nous rassurons les Français, s’ils voient des musulmans manifester en masse, ils diront alors que les musulmans n’ont rien à voir avec l’intégrisme. Il faut que nous réussissions à faire disparaître les préjugés.

Interview conduite par Nada Fatnassi

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