Hassouna Mosbahi, l’un des écrivains tunisiens les plus singuliers et les plus respectés de sa génération, s’est éteint le mercredi 4 juin 2025, à l’âge de 75 ans.
Né en 1950 à Kairouan, cet homme de lettres à la plume élégante et lucide laisse derrière lui une œuvre abondante et profondément marquée par l’exil, la quête de sens et les fractures du monde arabe contemporain.
Issu d’un milieu conservateur, dans une famille bédouine où le Coran constituait la principale référence culturelle, Mosbahi découvre très jeune les livres comme un refuge et une voie de libération C’est dans la solitude et l’incompréhension qu’il développe une conscience aiguë du monde et du rôle que la littérature peut y jouer.
Après des études de littérature française à l’Université de Tunis, il quitte la Tunisie pour s’installer en Allemagne, à Munich, où il vit de 1985 à 2004. Ce long séjour en Europe marque profondément son œuvre, en lui apportant un regard à la fois distancié et pénétrant sur la société tunisienne, l’exil et le dialogue entre les cultures. Il y travaille comme journaliste, critique littéraire, traducteur et écrivain indépendant. Son passage par d’autres capitales européennes comme Paris, Madrid ou Londres vient nourrir une œuvre plurielle, lucide et exigeante.
Dans ses romans, nouvelles et essais, Mosbahi mêle réalisme et lyrisme discret, introspection et mémoire, avec une sensibilité constante aux blessures de l’Homme moderne : solitude, quête identitaire, désenchantement politique.
« Deux choses m’ont toujours fasciné : le rythme du Coran …. et la liberté du conteur, seul capable d’aborder les sujets tabous comme les femmes ou l’amour », confiait il dans une interview accordée à The Brooklyn Rail en 2024.
Il publie sa première nouvelle à la fin des années 1960, et reçoit dès 1968 le prix de la Radio tunisienne pour ses récits inspirés de la tradition orale. Son œuvre sera ensuite traduite en plusieurs langues, notamment en allemand.
En 1989 paraît « Si chaud, si froid, si dur », un recueil de nouvelles dont l’histoire principale, consacrée aux immigrés africains en Europe, inspirera la pièce de théâtre Le Temps des Tortues de Kerstin Specht.
Son roman Retour à Tarchich, publié en 2000 en allemand, évoque le retour douloureux au pays natal, alors en proie à la montée de l’islamisme. Cette œuvre lui vaudra le prestigieux Prix Toucan de la ville de Munich.
En 2004, Adieu Rosalie, récit d’un être déraciné hanté par ses souvenirs, confirme son talent à l’international.
Parmi ses œuvres majeures figurent aussi Les Autres, A la recherche du bonheur, perçue par la critique comme l’aboutissement de sa révolte contre les structures sociales oppressives, et Hallouwesset Tarchich. Il a également publié le Munich Diary 2001-2004, et s’est illustré comme poète et traducteur de grands auteurs francophones comme Henri Michaux, René Char, Samuel Beckett et Jean Genet. En 2010, il publie en Tunisie la première biographie de Saint Augustin en arabe.
En parallèle de sa carrière littéraire, Mosbahi collabore régulièrement avec la presse écrite, notamment dans Al-Hayat et Al-Quds Al-Arabi, où il livre des analyses incisives sur la société et la culture arabe. Sa plume est reconnue pour son élégance, sa profondeur et sa capacité à décortiquer les crises identitaires et politiques du monde arabe.
Le poète égyptien Youssef Idriss résumait ainsi sa singularité : « Il suffit de lire un seul roman de Hassouna Mosbahi pour comprendre comment vit l’homme tunisien, comment il pense, quelles sont ses histoires et ses légendes, comme si tu avais vécu vingt ans en Tunisie. »
Romancier, nouvelliste, critique, traducteur et penseur, Hassouna Mosbahi aura consacré sa vie à l’écriture comme outil de mémoire, de révolte et d’humanité. « Nous écrivons pour ne pas oublier », disait il, en écho à Kundera, avant d’ajouter : « La culture sert d’outil contre l’oubli. »
Paix à son âme.