Par Hatem Bourial
En chargeant Hichem Mechichi de la formation du nouveau gouvernement, le président de la Republique a sorti une « Wild Card » au nez et á la barbe des partis.
Dans le langage des joueurs, une « Wild Card » est plus qu’un joker. Elle est l’inattendu incarné et relève autant de la surprise que du coup de maître qu’elle induit.
Car, conformément aux prérogatives qui sont les siennes, en désignant Mechichi, le président de la République fait plusieurs coups qui font mouche et lui valent l’adhésion de secteurs non négligeables de l’opinion publique.
En premier lieu, la désignation de Mechichi est un dêsaveu des partis politiques en général. Tout en respectant les règles du jeu, Saied choisit Mechichi alors qu’il n’était le candidat d’aucun parti.
Deusio, la désignation de celui qui n ‘est autre que l’actuel ministre de l’Intérieur, bouleverse le jeu complice des islamistes d’Ennahdha et leurs alliés de Qalb Tounes. Faisant partie du gouvernement sortant, Mechichi ne saurait en principe être rejeté par les nahdhaouis. Ces derniers devront, malgré les réticences exprimées par leur Bureau politique, se plier au choix du président.
Tertio, en sortant cette carte-surprise, Saied reprend clairement la main. En termes institutionnels, il parvient à subtilement remettre la présidence de la République au centre. Le président a l’initiative, le sait et en profite pour rebattre les cartes.
Enfin, le profil de Mechichi est radicalement opposé non seulement aux candidats d’Ennahdha et Qalb Tounes mais aussi aux derniers chefs du gouvernement. Par certains aspects, le recours à Hichem Mechichi est une rupture avec les politiques venant des milieux d’affaires (Chahed, Fakhfakh, Jomaa) ou marqués politiquement (Jebali, Larayedh).
Mechichi evoque plutôt Habib Essid et sa désignation implique un retour aux sources de l’administration.
Conseiller des services publics, issu des rangs de la prestigieuse Ecole nationale d’Administration, Mechichi est fort d’une longue carrière au service de l’Etat. Rompu au travail ministériel, il est dans le gouvernement sortant celui qui gérait le territoire, ce qui donne à sa désignation une valeur symbolique de plus. Homme de devoir, Mechichi devrait rapidement constituer un gouvernement, tout en veillant aux grands équilibres entre politiques, technocrates et prospectifs.
Sans doute aura-t-il recours à des membres du cabinet sortant tout en prenant en considération les vœux exprimés par les partis ayant présenté des candidats au poste qu’il occupe désormais. Sans doute, Mechichi tentera de former un cabinet qui rassemble des compétences avérés, exprime une union nationale aussi large que possible et qui reste d’abord tourné vers l’action, les urgences et les réformes.
Le Parlement sait désormais à quoi s’en tenir. C’est à ce niveau aussi que Saïed fait d’une pierre plusieurs coups. Car un rejet par l’ARP du cabinet en cours de formation s’il précipiterait une nouvelle crise politique, renforcerait mécaniquement les prérogatives du président de la République qui, plus que jamais s’installe au-dessus de la mêlée et tente de donner au chef du gouvernement un profil similaire et qui plus est doublé d’une connaissance profonde des arcanes de la fonction publique.
A Mechichi désormais de former son cabinet en y associant une équipe de combat, en y incluant des syndicalistes et en y incarnant ce que demande le peuple en cette période délicate. Car ce que veut le peuple aujourd’hui, c’est plus de vertu et moins de fumisteries, plus d’empathie et de sens du devoir et surtout un gouvernement porteur de valeurs.
Kaïs Saïed a-t-il fait le bon choix en sortant de sa manche la carte que nul n’attendait? Les prochains jours lui donneront probablement raison car il est difficilement envisageable de voir les partis politiques tergiverser et bloquer le pays dans un immobilisme qui n’a que trop duré.