« Agissons donc… , affirmait un philosophe, pour éviter que l’accessoire ne devienne plus important que l’essentiel ». Dans cette période tumultueuse que connait notre pays, propice à tous les excès et à toutes formes de marchandages, ces vérités sont souvent tournées en dérision. L’action, loin de constituer une valeur pour certains, est perçue comme une tare, préférant esquiver et tourner autour du pot que d’agir pour transcender les difficultés qui nous menacent et le doute qui nous ronge.
Tous les alibis sont bons à prendre pour faire éclater une crise et voir nos médias sauter sur l’aubaine pour meubler leurs programmes et animer, à n’en plus finir, des plateaux où défilent des experts, dont on ne sait d’où ils débarquent, pour nous gorger d’analyses et de commentaires sans fil conducteur, ni fondement logique.
Il en est ainsi du dernier mouvement des gouverneurs, une tempête dans un verre d’eau, qui nous a permis de nous arrêter sur la grande indigence du débat public. Toute la classe politique, ou presque, a eu son mot à dire, à faire des commentaires, à formuler des critiques et à démontrer que le choix opéré était hasardeux, que les personnes choisies n’étaient pas les mieux indiquées, que leur compétence n’était pas confirmée et que leur honorabilité n’était pas au-dessus de tout soupçon.
Ces réactions de rejet systématique, qui n’obéit souvent à aucun fondement objectif, sont devenues le signe le plus distinctif de notre vie politique ponctuée tout le temps de conflits, de tensions et de jugements vindicatifs. Même les partis au pouvoir n’ont pas daigné nous épargner ce cirque, en s’empressant de formuler des réserves et d’adresser des critiques au Chef du gouvernement. La société civile n’est pas en reste, dénonçant abusivement le choix de figures du régime déchu, sans qualifications, et alertant Habib Essid d’avoir failli à une exigence de genre, en se contentant de ne nommer que des hommes.
La vie politique en Tunisie est ainsi faite, à chaque nomination, tout le monde trouve le moyen pour descendre en flammes les personnes nommées à des postes de responsabilité et on s’évertue à affirmer, sans le prouver, leurs accointances avec le régime déchu, leur compromission dans des affaires de corruption ou leur subordination à des parties suspectes. Jamais l’accent n’est mis sur leur compétence ou leur capacité managériale !
Tout en reconnaissant l’importance du rôle et de la mission du gouverneur dans un pays en transition et qui s’apprête à organiser des élections municipales, faire tout un tapage sur un mouvement quelque peu ordinaire, semble contre-productif.
Ce qui dérange le plus, c’est que le débat dominant nous détourne chaque jour un peu plus de nos vrais problèmes, des questions qui demandent un traitement urgent et une mobilisation de tous les instants. Se nourrissant de rumeurs souvent mensongères, de partis pris et de contrevérités, ce débat élude l’essentiel et se focalise sur l’infiniment insignifiant.
Les risques terroristes auxquels est confronté le pays, l’effondrement de l’économie, l’exacerbation des tensions sociales, le développement de nos régions intérieures, l’identification de solutions à une jeunesse de plus en plus gagnée par la désespérance, ne mobilisent plus et n’offrent plus un terrain propice à la discussion et au questionnement. Ce sont les intérêts partisans qui prennent le dessus sur toute autre considération et cette envie insatiable qui gagne notre élite politique pour se positionner pour l’accaparation des postes de responsabilité dans l’Administration et les entreprises publiques.
Dans ce processus de transition vers la démocratie, il est vrai semé d’embûches, que vit la Tunisie, classe politique, société civile et médias se trouvent souvent hors-jeu. Cela est particulièrement vrai quand il s’agit de faire une évaluation objective de certains faits ou de porter un jugement serein sur certaines actions ou réformes.