Houcine Abbassi: le combat d’une vie

Aujourd’hui, les composantes politiques tunisiennes, gouvernement et opposition, ont finalement pu arriver à un premier point d’accord. Seulement et depuis le début, elles avaient besoin d’être ramenées à la table du dialogue. Le Quartet, l’UGTT à sa tête, continue à jouer son rôle historique d’encadrement et de médiation… Retour sur une mission de toutes les épreuves.

 

C’est certes devant le gouvernorat de Sidi Bouzid qu’a eu lieu le premier rassemblement qu’a connu la Tunisie après l’immolation de Bouazizi. Mais le seul bâtiment à défier la police dans les derniers jours de décembre 2010 était celui de l’UGTT locale. Les syndicalistes s’y retrouvaient, s’organisaient, encadraient, faisaient monter la tension ou alors calmaient les esprits quand les émeutes devenaient trop violentes.

Quand la Révolution s’étendait, gagnant le reste du territoire, les faits se déroulaient toujours selon la même règle : rassemblement, organisation et encadrement dans les locaux de l’UGTT. Ainsi, avant même que les rues du Grand-Tunis ne soient touchées par la fièvre révolutionnaire, la place Mohamed Ali était déjà devenue un rendez-vous quotidien où les discours dénonciateurs du régime autoritaire étaient prononcés. Les syndicalistes, professionnels et estudiantins, étaient bien présents. C’est dire combien la Révolution tunisienne est née et a grandi loin des coulisses de la politique et des partis. Elle a débuté populaire et elle a été nourrie au sein de la société civile : avocats, militants et syndicalistes ont veillé à ce qu’elle aboutisse.

Lors des événements de Siliana, deux ans après la Révolution, c’est toujours dans les locaux de l’UGTT que se sont réunis les protestataires et les syndicalistes de la ville, qui se sont activés à gérer la crise.

 

Échiquier politique

Aujourd’hui, les partis qui n’ont pourtant pas pris part à la Révolution, du moins pas en tant que tels, se sont emparés du «butin». Les exilés revenaient, les prisonniers respiraient à nouveau l’air de la liberté, les clandestins sortaient de l’ombre. Pendant que le peuple, dont l’euphorie n'était pas retombée, n’avait pas encore repris ses esprits, ils s’organisaient pour prendre d’assaut le pouvoir et nombre d’entre eux y ont bien réussi. Installés, et pas encore remis de leur surprise due aux changements inattendus, ils n’ont pas vu l’ampleur de la crise socioéconomique ayant poussé les Tunisiens à descendre dans la rue et à renverser le régime. Les défis et les difficultés étaient plus profonds que leur expérience qui ne leur permettait pas de gérer d’une manière efficace la situation. Le malentendu s’est installé entre une population dont les priorités sont socio-économiques et une élite aux aspirations politiques débordantes, obnubilée par la quête du pouvoir.

Les crises se succédèrent, les affrontements aussi, et l’insécurité a augmenté. Le blocage politique s’est installé. Les partis d’opposition et de gouvernement n’arrivaient pas à trouver un accord commun, ni à proposer une sortie de crise. Encore une fois, l’UGTT a joué le rôle de médiateur après avoir joué celui d’encadreur des manifestations et des grèves. Les avocats, les militants et, pour la première fois dans l’histoire moderne tunisienne, le patronat la rejoignent. Ensemble, ils proposent une feuille de route, une proposition qui tarde à rassembler les différents partis et le dialogue peine à commencer… Mais alors que plus personne n’y croyait, le premier blocage a été résolu. Le Quartet n’avait justement pas lâché prise et finalement la solution a été presque imposée. Ne fallait-il pas qu’elle le soit en l’absence de consensus ? Comment attendre des partis politiques peu habitués à la négociation et à la démocratie d’en accepter les règles ? Entre temps, la Tunisie frôlait la catastrophe : menaces terroristes imminentes, inflation incontrôlable, valeur monétaire au plus bas, climat social bouillonnant, chômage, exclusion… La banqueroute pointait du nez et les bailleurs de fonds exprimaient de plus en plus leurs réserves… il fallait imposer une solution, autrement l’éclatement (aura) (été) inévitable et les conséquences irréversibles.

 

Formation du Quartet

Quatre puissantes composantes de la société civile ont conjugué leurs efforts pour réunir les partis, gouvernement et opposition. L’UGTT, figure traditionnelle des négociations politiques et socioéconomiques en Tunisie mène la valse, son expérience remonte à la période coloniale et nul ne peut nier les victoires remportées par la Centrale syndicale tout au long de l’histoire du pays.

Les avocats, qui ont été parmi les premiers à se mobiliser contre Ben Ali, habitués aux plaidoiries et au militantisme politique, ont été l’une des composantes du Quartet. Leur présence a apporté une caution et un appui juridique de taille.

La Ligue tunisienne des Droits de l’Homme, solide organisation militante, doyenne des organisations du même genre dans le monde arabe, représentante par excellence de la société civile, elle se veut neutre politiquement.

Le Patronat, représenté par l’UTICA, l’Union tunisienne de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat, est une composante fondamentale du Quartet. C’est en quelque sorte une exception tunisienne que de voir la Centrale syndicale et le patronat réunis pour la même cause, alliance qu’il n’ont pas renouée jusqu’ici depuis le protectorat.

 

Houcine Abbassi, une main de fer dans un gang de velours

Le regard perçant, des yeux cernés, le visage éprouvé, mais volontaire, Les Tunisiens ont depuis des mois suivi les interventions de Houcine Abbassi et ont appris par cœur son visage. Certains s’y accrochaient, attendant qu’il sache apporter la solution alors que d’autres n’y croyaient pas, mais personne ne pouvait être indifférent au déroulement du dialogue et aux déclarations de Houcine Abbassi annonçant une probabilité d’échec ou de réussite et menaçant d’autres alternatives en cas de revers ou de défaillance des uns ou des autres à leurs engagements. Durant des mois Houcine Abbassi a mené un véritable marathon dans les négociations avec les différents partis, les rencontres avec la diplomatie occidentale et les réunions au sein de la Centrale et du Quartet. Il a été le maillon fort, puisqu’à la tête du Quartet, il a su déjà trouver un terrain d’entente, révisant à la baisse les revendications de l’opposition d’un côté et amenant le gouvernement aux concessions d’un autre. Les menaces de mort dans un climat favorable aux assassinats politiques, ne l’ont pas fait fléchir.

Même si à la fin, le choix du nouveau Premier ministre, Mehdi Jomâa, n’a pas été jugé par tous le fruit du consensus espéré, l’histoire retiendra la victoire de Houcine Abbassi et de toutes les composantes du Quartet. Elle est celle d’avoir convaincu un gouvernement, qui, après des élections tenues pour une durée d’un an, et qui se croit toujours légitime et refusait de partir, à revoir ses positions et d’accepter, contraint et forcé, la feuille de route. Au bout de deux ans à la tête de la Centrale syndicale, Abbassi entre, quant à lui, dans l’histoire tunisienne moderne par la grande porte.

Houcine Abbassi a alterné négociations et pressions. Ainsi après s’être entretenu par exemple avec Rached Ghannouchi le 27 novembre, il a déclaré le lendemain sur les ondes deShems FM «si jamais le dialogue national venait à échouer, la Tunisie devra faire face à une période dangereuse». Au début du mois de décembre, le ton de Houcine Abbassi a continué à monter et il a encore une fois menacé de dévoiler les vérités au peuple tunisien. Ces vérités se rapportant aux partis ayant voulu faire échouer le dialogue ne sont toujours pas révélées. Ainsi, il fait montre d’une grande diplomatie. Ne pas les dévoiler permet, par contre, de conserver l’une des cartes pouvant faire pression sur ces partis, si jamais leur volonté de saboter les négociations persistait.

Après maintes menaces d’échec, le dialogue national a finalement réussi à aboutir à un consensus relatif et au choix du nom d’un nouveau chef de gouvernement. Aujourd’hui, Houcine Abbassi s’attache à ce que l’UGTT surveille la composition et le rendement du nouveau gouvernement. La Centrale syndicale n’est alors pas prête à se délester de son rôle dans la transition démocratique. Personne ne peut blâmer l’UGTT de s’immiscer dans la politique et de délaisser sa mission de base : défendre les salariés, car elle entend continuer à l’assumer jusqu’au bout.

Par Hajer Ajroudi

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