Inouï. Le baril de pétrole brut à 49 dollars. À qui profite le krach pétrolier actuel ? Est-il durable et quelle ampleur peut-il atteindre ?
Quelles sont les causes objectives réelles et y a-t-il des objectifs non avouables ?
Quel impact sur le budget de l’État tunisien en 2015 et quelles répercussions sur la bourse du consommateur ?
L’OPEP arbitre informel du marché mondial est-il impuissant ?
Effondrement continu des cours sur le marché mondial
Depuis le mois de juin, la baisse continue des prix du pétrole brut sur le marché mondial tourne à l’effondrement.
Un phénomène inattendu et incompréhensible qui profite aux pays importateurs pour une fois et porte préjudice aux pays exportateurs. Personne n’y peut rien pour le moment, il faut dire que c’est une juste revanche du sort. Les rentes de situation ne durent pas toujours. En effet, après avoir atteint des sommets tels que 110 et 120 dollars le baril en mai et juin, les prix sont tombés jusqu’à 60 dollars ces dernières semaines : soit une baisse de 50%. Les seuils symboliques de 100, 80 et 50 dollars ont été franchis allègrement. Ce qui brise des tabous, bouleverse des engagements, balaie des paris insensés, ruine quelques-uns sans enrichir les autres.
On se demande actuellement chez les traders, les intermédiaires, les multinationales, les responsables politiques des pays exportateurs, les raffineurs,… jusqu’où ira la “descente aux enfers” ? Quel sera le rythme de remontée ? Y aura-t-il un point de stabilité ? Personne n’est en mesure de se prononcer avec certitude sur cette équation à plusieurs inconnues.
OPEP : sauvegarder les parts de marché
Le cartel des pays de l’OPEP réuni à Vienne le 27 novembre 2014, bien que préoccupé par l’inquiétante baisse qui se poursuit depuis 6 mois sans interruption, a examiné et discuté longuement des causes de cet effondrement et des moyens susceptibles non seulement de le stopper, mais aussi d’essayer de faire rebrousser chemin au prix du baril de pétrole brut, en vain. En effet, le seul moyen serait de réduire la production de pétrole brut donc de revoir à la baisse la quote-part de chaque membre.
Or l’Arabie Saoudite, premier producteur, premier exportateur mondial et membre influent de l’OPEP ne veut pas entendre parler de réduction de la quote-part fixée pour chaque membre, car son principal souci est plutôt la préservation de ses parts de marché et la conservation de ses principaux clients plutôt que le niveau du prix de vente.
Il convient ici de rappeler deux vérités fondamentales : l’OPEP demeure certes une référence et un indicateur principal en matière de fixation et d’orientation des prix, mais elle est loin d’accaparer la majorité de la production ou de l’offre mondiale de pétrole brut : l’OPEP ne représente que 33% environ du marché mondial. L’OPEP pèse lourd sur l’orientation des prix, car les membres sont solidaires, disciplinés et leurs décisions sont appliquées presque strictement.
Les principaux membres de l’OPEP ne dépendent pas du prix du pétrole pour boucler leur budget, ils disposent de “matelas financiers confortables” qui leur permettent d’attendre des jours meilleurs pour remplir de nouveau leurs réserves en dollars.
Ce qui n’est pas le cas pour d’autres exportateurs importants comme la Venezuela, le Nigéria, la Russie ou l’Iran.
Causes apparentes et motifs inavoués
Les fluctuations des prix du pétrole brut sur le marché mondial obéissent depuis deux décennies à une mécanique devenue plutôt classique.
Les prix grimpent lorsque la demande augmente : à l’approche de l’hiver à cause des besoins en chauffage (consommation des ménages), lorsque la croissance économique s’accélère avec la consommation industrielle et le développement des activités de transport et lorsqu’il y a des crises sécuritaires et risques de conflits armés qui menacent soit les sites de production de pétrole soit les routes maritimes et terrestres (pipe-line) des tankers qui acheminent le précieux liquide.
Par contre les prix baissent en été, lorsque la demande s’essouffle lorsque la croissance économique ralentit (ou bien il y a décroissance) et en temps de paix.
Or actuellement les conflits armés ne manquent pas, il y a de l’instabilité et des guerres dans la région la plus productive en énergie soit le Moyen-Orient, Syrie, Irak, Libye,…
Cela devrait être logiquement un motif réel du renchérissement des prix du pétrole, mais curieusement ce n’est pas le cas. C’est le contraire qui se produit. La croissance économique, sans battre des records, est relativement rapide aux USA (4 à 5%), en Chine et en Inde, elle est de l’ordre de 7 à 8% même si la crise financière persiste dans les pays de l’UE.
L’objectif de l’OPEP : tuer dans l’œuf le gaz de schiste
Dans un contexte mondial de surproduction persistante et croissante de pétrole brut sur le marché mondial, les prix ne peuvent que continuer à baisser de façon inéluctable.
L’OPEP ne peut rester insensible devant la “disparition de son fonds de commerce”. Il faut savoir que des pays exportateurs comme l’Arabie Saoudite ne sont pas du tout gênés par des prix bas du pétrole” pendant quelques mois ou même quelques années pour boucler leur budget, ce qui n’est le cas d’autres pays exportateurs comme l’Argentine et le Nigéria…
Pour savoir où veut en venir l’OPEP avec son refus de baisser la production, il faut se rendre à l’évidence, c’est que les coûts de production de gaz de schiste sont 2 à 3 fois supérieurs à ceux du pétrole, surtout que dans certains pays “il suffit de se baisser pour ramasser des tonnes de pétrole brut” avec un nombre réduit de forages mais tous ou presque très productifs, ce qui signifie que le seuil de rentabilité pour le schiste se situerait entre 50 et 60 dollars selon le cas des forages (profondeur, productivité). Cela signifie que les sociétés de forage devraient s’arrêter de tourner. Est-ce pour autant que nous risquons au bout de quelques mois d’assister au “krach du schiste” avec arrêt de production c’est peu probable mais à ne pas exclure.
La nouvelle donne : la montée en puissance du gaz de schiste
Il y a moins de dix ans, en 2005-2006, les USA avaient un déficit chronique de pétrole équivalent à 4 millions de tonnes par an d’où des importations massives. La Chine qui enregistrait des taux de croissance de 14-15% était un gros importateur sans compter l’Inde et d’autres importateurs importants comme le Japon.
A partir de 2007, les forages horizontaux vont commencer à se multiplier et le gaz de schiste commence à émerger grâce à la technique de la fracturation hydraulique aux USA et au Canada d’abord, puis en Australie, Argentine, Chine et même en Algérie. La contagion n’a pas tardé. La révolution du schiste est en marche et elle commence à faire tache d’huile et à produire des effets dévastateurs pour l’OPEP. C’est quand même un tour de force que de voir progressivement les USA qui étaient un gros importateur devenir d’abord auto-suffisants puis se transformer en exportateurs.
Il faut dire que dans les bassins les plus prolifiques aux USA, il n’y a pas moins de 716 forages de gaz de schiste productifs : Premium Basin, Bakken, Eagle Ford.
Ainsi le marché mondial du pétrole brut est bouleversé : il y a un surplus d’offre par rapport à la demande, alors que les stocks chez les principaux pays importateurs sont à leur plus haut niveau.
Et cela bien que les foyers de conflits armés ne manquent pas au Moyen-Orient et que l’instabilité politique et sociale règne un peu partout dans le monde.
A qui profite la situation ?
Trois scenarii sont possibles pour ce qui est de la baisse des prix du pétrole :
Scénario I : stabilisation de la baisse des prix à moyen terme au niveau de 55-60 dollars.
Scénario II : remontée des prix au bout de quelques mois pour se stabiliser autour de 80 dollars.
Scénario III : remontée rapide des prix pour se repositionner au niveau de 100-110 dollars suite à une baisse significative de la production de l’OPEP, suivie par les autres pays exportateurs.
Le scénario I va bénéficier aux pays importateurs qui vont ainsi bénéficier de sources d’énergie à prix raisonnable, faire profiter les activités industrielles gourmandes en consommation d’énergie, ce qui va améliorer leur compétitivité. Leur commerce extérieur va mieux se porter. Alors que certains pays exportateurs vont avoir des difficultés pour boucler leurs budgets.
Le scénario II le plus probable, serait l’objet d’un compromis raisonnable entre les USA, champion du gaz de schiste mais aussi arbitre-gendarme du monde et l’Arabie Saoudite, leader de l’OPEP, lésée par l’effondrement des prix.
Le scénario III est peu probable car le gaz de schiste est une nouvelle donne qui s’est imposée et ne peut pas rester sans impact sur les prix sur le marché mondial.
Quel impact sur le budget de la compensation et le prix de l’énergie en Tunisie
La chute des prix du pétrole allège le montant de la subvention destinée à compenser le prix de l’énergie dans le budget de l’Etat qui est au premier plan des dépenses publiques soit 5% du PIB.
Il faut dire que la subvention profite à raison de 68% aux plus riches, alors que la classe moyenne ne bénéficie qu’à concurrence de 20,5% de la compensation.
Il y a lieu de remarquer que la compensation des prix de l’énergie a été calculée lors de l’élaboration du budget 2015 sur la base d’un prix du baril à 95 dollars et d’un taux de change d’un dollar : 1,87 dinar. Entre temps, le prix du pétrole s’est effondré et le dollar s’est envolé.
Peut-on encore dire aujourd’hui que le prix de l’énergie en Tunisie est subventionné alors que le prix du pétrole est à 60 dollars ?
L’État a-t-il des justificatifs pour maintenir les augmentations prévues en 2015 soit 100 millimes par litre pour le super à la pompe et les 7% prévus par la STEG ?
Les réponses des experts et des économistes sont nuancées car tout dépend de la durée de la baisse et du niveau de stabilisation des prix.
A supposer que la stabilité se fasse autour de 60 dollars le baril, l’État va économiser la subvention à hauteur de 1,8 milliard de dinars.
Dès lors, il n’y a plus de justificatifs valables pour augmenter les prix en 2015 à cause des répercussions néfastes sur le coût de la vie. Certes l’État ne va pas faire baisser les prix pour diverses raisons, dont la possible remontée des prix et le renchérissement du taux de change du dollar.
Il faudrait que l’Etat fasse un différentiel élevé entre les tarifs destinés aux agriculteurs et aux pêcheurs en matière de gasoil à titre d’encouragement à la production et les ménages qui consomment l’essence super.
Bien sûr il n’est pas question de toucher au prix de la sacro-sainte bouteille de gaz destinée aux plus démunis.
Les répercussions sur les tarifs de la STEG
Il faut savoir que la moitié de la compensation du prix de l’énergie profite à la subvention destinée à l’électricité.
En effet, les 3 millions d’abonnés à la STEG consomment 45% de la production nationale d’énergie.
Le niveau de consommation d’électricité est un indicateur du niveau de vie du ménage.
Il y a beaucoup à dire en ce qui concerne la définition des seuils de consommation qui séparent les tranches de tarification qui ne tiennent pas du tout compte du niveau de vie des ménages tunisiens et qui font qu’un ménage moyen reçoit des factures d’électricité très élevées sans commune mesure avec ses revenus. Il y a lieu de réviser cette tarification car elle est injuste et déséquilibrée.
Il est bien sûr hors de question de revaloriser le tarif actuel car il a déjà subi deux augmentations de 10% chacune en 2014. Il faudrait raison garder.
Ridha Lahmar