La diète méditerranéenne aida à éviter le diabète, l’hypertension et l’obésité. Mais par delà ces avantages factuels, un autre niveau d’investigation, moins banal et plus profond, serait à exhumer par la réponse à l’interrogation la plus souvent éludée. Pourquoi le message diffusé au sujet de la nourriture et de son effet sur la santé a-t-il partie liée avec la gravité ?
Hanté par le spectre de la souffrance, le souci de soi occupe et préoccupe la conscience humaine, taraudée par le thème de la mort proche au lointaine mais certaine. Au fil de la vie, la façon dont chacun assume ou non l’ultime départ source la paix ou la peur-panique de l’esprit.
Dans ces conditions confier son « to be or not to be » aux bons soins du toubib ne donne guère à voir une mince affaire. Avec cette manière sereine ou angoissée de traverser le temps passé ici-bas, on ne badine pas.
Voilà pourquoi, le choix des nourritures terrestres, judicieux ou malheureux, influence le goût de l’existence. Rien donc n’est plus gavé de gravité que l’alimentation, mère de la maladie ou de la santé. Pourtant, à ce propos, la cacophonie oppose les avis. Par voie de presse, une doctorante en sciences agronomiques déconseille la consommation des pommes de terre. Jadis, René Dumont, l’agronome de renom, énonce une prescription différente. Il s’agit d’éplucher à peine ce précieux légume afin de conserver ses précieux nutriments. Que s’est-il donc passé entre-temps, car pesticides et herbicides ne datent pas d’aujourd’hui ? Autre dissonance, le docteur Cohen, cardiologue français de réputation mondiale, conteste le rapport postulé depuis des lustres, entre la consommation de viandes rouges et la genèse du cancer dont l’apparition demeure, pour une part, affaire de mystère. De même, autre vieille certitude battue en brèche, le cholestérol des œufs ne passerait pas dans le corps humain selon des chercheurs aux airs sûrs et certains. Au vu de pareille indication, le pauvre citoyen ne sait plus à quel saint confier son destin. Faudrait-il gober l’origine de la poule, trois fois par semaine ou chaque matin ?
Délice du palais, ce mets controversé nourrit la guerre des conseillers. Qui n’est pas tenaillé par les problèmes de la santé ? Tout au long du vécu à travers l’itinéraire quotidien, chacun songe, aussi, à ces petits riens et ne pense pas sans cesse au Chaambi ou au désarroi d’un Etat contraint de tendre la main, yakrimtaalla, pour payer sa pléthore de fonctionnaires semi-oisifs à l’heure où les meneurs de la paralysie orchestrée depuis la Révolution attirent, de plus en plus, sur eux, le soupçon. Cependant, les prises de positions paradoxales en matière de conseils, donnés pour sauvegarder la santé, culminent sur les colonnes d’un quotidien avec ce répertoire de signaux contradictoires : « le café est mauvais pour la santé, non il est bourré d’antioxydants, manger beaucoup de protéines est mauvais pour la santé, non ils réduisent le diabète et l’hypertension artérielle ; les graisses saturées ne sont pas bonnes pour le corps, non elles augmentent le bon cholestérol ; les œufs sont mauvais pour la santé, c’est faux ; il faut réduire votre consommation de sel, rien n’est prouvé ».
Mais tout hypertendu peut, sur le champ, le démontrer. Il suffit de congédier son régime approprié pour honorer les repas délicieux et très salés durant trois journées où vous êtes l’invité.
Alors, toutes conditions égales, par ailleurs, y compris l’absence de stress, la tension grimpe de quinze à dix-huit trente même sous amlor Dès lors et n’en déplaise aux drôles de conseillers ce « rien n’est prouvé » fleure le suspect. Les Tunisiens avalent dix grammes de sel, en moyenne, quand deux suffiraient pour la journée. Le stress dit salin outrepasse le genre humain et englobe l’univers animal et végétal. Interviewé en cette mi-mai, Ouajdi Souilem, professeur de physiologie à l’Ecole nationale de médecine vétérinaire, vice-président de l’université de la Manouba et docteur en pharmacologie (Université de Nantes), atteste l’effet invasif du sel pour la plupart des animaux à quelques exceptions près, au premier rang desquelles figure le chameau. Dans ses recherches approfondies et prolongées, il explore, à l’échelle de la structure cellulaire, les mécanismes de cette remarquable résistance chamelière. Mais les tenants des fastidieuses palabres politiciennes attirent les feux de la rampe et accaparent les devants de la scène, à l’heure où les découvreurs ont à voir avec la pénombre des laboratoires.
Cependant, quelle interprétation pourrait suggérer la série d’informations énoncées ci-devant ? Elles inspirent deux positions. La première a trait au serment d’Hippocrate.
Pour la chimie, la biologie, la physique ou les mathématiques, il ne fut jamais question de prêter serment. La médecine utilise les acquis de ces multiples sciences mais elle est, pour l’essentiel, une pratique thérapeutique. De là provient l’aléa, car la marge de manœuvre inhérente à toute pratique est au principe des avis divergents, sans cesse reproduits par les conseillers en matière d’hygiène alimentaire et de santé. La seconde explication cligne vers l’inféodation de savants aux gros bonnets du marché…
L’avis persuasif de la publicité clandestine encourage la ruée vers tel produit et le coup de fouet donné à la surconsommation arrange les affaires des marchands. Outre la chasse aux fournisseurs de poulets avariés, entre autres calamités, une politique de la santé aurait à responsabiliser ses brigands au pouvoir exorbitant.
L’agression de la santé au nom d’une libre expression de l’opinion lève le voile sur le vice lié à l’économie de marché fut-elle sauvage ou apprivoisée. La recherche effrénée du profit à tout prix peut tuer à petit feu et ce genre de pratique machiavélique foule aux pieds, le principe catégorique de l’éthique.
Dans un moment, fécond, où le génie guide sa main et inspire son esprit, Kant écrit : « Agis toujours de telle sorte que tu considères l’humanité, en toi-même et en autrui, comme une fin, jamais simplement comme un moyen ». Par leur immoralité systématique, les empoisonneurs du public ajoutent leur grain de sel au carrousel des médecins ou des infirmiers discrédités puis pourchassés par leurs soignés, au point de réclamer une protection rapprochée. La contestation liée à l’ambiant révolutionnaire n’épargne aucune sphère fut elle hospitalière. Maintenant ni le soignant, ni l’enseignant, jadis presque idolâtrés, ne reçoivent une once de respect.