Victime d’une campagne de harcèlement et d’intimidation menée par des lycéens, un professeur d’éducation islamique s’est immolé par le feu. Ce scandale, immortalisé par les réseaux sociaux, cristallise, depuis le décès de l’enseignant le 28 novembre 2024, le débat sur la violence à l’école. Tandis que les parents d’élèves dénoncent la dérive autoritaire de l’école, les enseignants accusent les médias et l’opinion publique d’avoir mis le feu dans la moisson. À force de lancer des déclarations pleines d’aigreur, de vitupérer contre les enseignants et de ridiculiser leur autorité sous toutes les latitudes, nous voilà arrivés au bout du gouffre. Les plombs ont sauté d’un coup sur fond de sentiment grandissant d’humiliation de tout le corps enseignant en désarroi. Les risques de dérapage subsistent néanmoins sur cette question sensible, comme l’ont montré les récentes instrumentalisations syndicales. Quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites. Quand la lie fait la loi, il n’y a plus d’autorité à l’école. Pire encore, les attaques contre les enseignants ne semblent pas près de s’arrêter. Plusieurs professeurs d’enseignement secondaire sont quotidiennement victimes d’agressions non seulement verbales, mais physiques et matérielles contre eux-mêmes, leurs familles, leurs domiciles ou leurs véhicules. Certes, il est déjà arrivé par le passé que la relation entre les enseignants et les élèves traverse des épisodes orageux. Mais la crise actuelle est plus dangereuse que d’habitude et, surtout, personne ne semble avoir envie, côté syndicalistes, d’y mettre un terme.
Il est pour le moins troublant, pour ne pas dire révoltant, qu’il faille rappeler de telles évidences.
Après le déluge de sornettes déversé par les faux sachants sur cette crise, inutile de rajouter sa pierre. On ne s’interdira cependant pas de tirer quelques enseignements de cet effet fâcheux. Il ne s’agit pas d’une incitation à regarder ailleurs, mais d’une étiologie que l’on ne peut ignorer pour comprendre et avoir quelque espoir de prévenir et traiter le mal, surtout qu’il n’existe pas plusieurs manières d’aborder ce fléau : nous devons le nier ou l’assumer. C’est vrai que la violence à l’école n’est pas, dans tous les pays, une nouveauté. Mais en empirant, elle s’abîmera un jour en foire d’empoigne et nous n’aurons plus le temps de nous fourrer la tête dans le sable.
Il faut revenir aux sources de cette violence banalisée contre les enseignants, éternels boucs émissaires, comme toutes les élites, en temps de crise et de conspirationnisme débridé. Une violence qui prospère, car elle jouit d’un terreau favorable et d’un outil. Le terreau, c’est la démission totale des parents à la maison, l’outil, le système éducatif désastreux. Les principaux ciments qui assuraient la cohésion de la société tunisienne se sont désintégrés et les fractures se sont élargies. C’est sans doute par cette fissure que se réintroduit la violence à l’école. C’est dans cette faille que la haine envers le corps enseignant est «sans pourquoi». Face à cela, nous devons être capables de proposer des solutions concrètes et bâtir un discours positif sur l’avenir de notre école. La situation est tellement dramatique qu’il faut parer à tout au plus vite, ouvrir des brèches sur tous les fronts à la fois. Et d’abord, sur celui de l’instruction. Il faut que notre école soit le lieu où la société transmet ses valeurs et donc, d’abord, le lieu où celles-ci se reflètent. Le succès ou l’échec de l’école, c’est celui des valeurs que les enseignants transmettent aux élèves. Encore faut-il que chacun ait désormais pleinement conscience des enjeux et s’attelle à trouver des remèdes.
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