Il y a 51 ans, la Tunisie acquérait sa souveraineté territoriale

La signature du protocole de l’Indépendance, le 20 mars 1956, n’a pas pour autant mis un terme à la colonisation. Entre 1956 et 1963 de nombreuses batailles et luttes, à la fois militaires et politiques, ont été menées afin d’aboutir à ce 15 octobre 1963, date du départ des derniers soldats français de la base de Bizerte. Le cheminement vers l’évacuation totale du territoire tunisien fut certainement un terrain semé d’embûches et avait commencé après les fameux bombardements de Sakiet Sidi Youssef le 8 février 1958.

Les batailles de l’évacuation 1958-1961

Le prétexte avancé par la France pour maintenir ses troupes en Tunisie touchait à la sécurité de ses ressortissants en Tunisie et, surtout, celle des frontières avec l’Algérie qu’elle considérait toujours comme un territoire français et où elle subissait une révolution armée engagée le 1er novembre 1954. Bourguiba, conformément à sa politique des «étapes» et à la diplomatie en gants de velours, avait accepté le principe global de l’indépendance – en raison du déséquilibre des forces avec la France.

Après avoir assis les fondations du nouvel État et s’être débarrassé du yousséfisme, l’annonce quasi attendue de la République, le 25 juillet 1957, donna une nouvelle envergure à la question de la présence militaire française. Il s’agissait tout d’abord d’appuyer la cause algérienne, la menace française pesant lourd et une nouvelle intervention française en Tunisie pouvant s’opérer à tout moment. Il y avait l’aspect humain, car plus de 100.000 Algériens étaient cantonnées sur la ligne de frontière tuniso-algérienne et la Tunisie, en dépit de ses ressources limitées, les accueillait à bras ouverts. Ensuite la question prit une nouvelle tournure, plus politique. En effet, le FLN, le GPRA et l’ALN —la branche armée du FLN — commençaient à opérer sur le sol tunisien. Bourguiba essuya un refus catégorique du gouvernement de Paris d’envoyer des expéditions militaires à partir des bases tunisiennes contre la rébellion algérienne.

À ce propos, les nombreux accrochages frontaliers, dès octobre 1957, se sont particulièrement intensifiés. L’Armée de libération nationale, aidée par plusieurs membres de la Garde nationale tunisienne et les habitants de la frontière, leur prêtaient main-forte et infligèrent à l’armée française de sérieux revers.

À la date du 8 février, d’après les autorités françaises d’Algérie c’était  devenu insupportable.

Le bombardement de Sakiet Sidi Youssef, le 8 février 1958, marqua sans doute un tournant décisif dans les rapports militaires entre la Tunisie et la France. Les images des victimes civiles conjuguées à l’extraordinaire élan de solidarité internationale poussèrent le gouvernement tunisien et Bourguiba à demander à la France de déloger le sud tunisien et de limiter la présence française aux limites de la ville de Bizerte. Une interdiction de circuler hors des zones militaires situées dans le sud tunisien fut signifiée aux forces militaires françaises.

 

La bataille de Remada

Or et contrairement à ce qui avait été convenu, une formation de trente blindés franchit la ligne de démarcation, d’une profondeur de 40 km, et occupa le village de Bir Amir. Ce à quoi les forces tunisiennes répliquèrent en recevant des renforts de Tataouine et en réussissant à chasser les forces françaises qui regagnèrent leur base où elles furent assiégées et isolées. Le 24 mai, un blindé français était détruit alors qu’il tentait de forcer le barrage tunisien.

Une deuxième tentative de serrer l’étau autour des forces françaises échoua et l’armée tunisienne réussit à infliger aux assaillants des dégâts humains et matériels conséquents. La réplique française vint par l’Algérie et les avions pilonnèrent les positions tunisiennes durant toute la journée du 25 mai. Un retrait tactique s’avérait nécessaire et les forces tunisiennes durent se retrancher dans les collines avoisinantes.

Une guerre d’escarmouche s’ensuivit et dura quatre jours (jusqu’au 28 mai). Elle avait coûté la vie à des dizaines de soldats tunisiens, dont le fameux Mosbah Jarbou. Le premier sang de la nouvelle armée de l’indépendance venait de couler. La Tunisie avait réactivé ses voies diplomatiques et déposa plainte auprès de l’ONU le 29 mai 1958. Encore une fois, la mission de bons offices Murphy-Beeley intervint et l’évacuation des soldats français du territoire du sud fut exécutée et, dès lors, ils vont restreindre leur présence aux strictes limites de Bizerte.

 

La bataille de la borne 233

La Tunisie avait toujours plaidé en faveur d’un tracé juste entre les limites de l’Algérie et de la Tunisie, à l’extrémité sud-ouest. La borne 233 était à ce titre revendiquée par la Tunisie en tant que limite avec la frontière algérienne (aux environs de Gar’at el-Hamil). Or, un point d’eau très important qui s’y trouve servait à approvisionner les troupes françaises qui stationnaient à quelques centaines de mètres. Pour les troupes tunisiennes il était normal de se plier aux accords du 17 juin 1956 qui donnaient à la Tunisie le droit de reprendre Fort Saint (actuel Borj El Bœuf) et ils prirent également possession du puits. Cet acte priva l’armée française de ses ressources vitales en eau. Cette situation fut obérée par la détérioration des rapports franco-tunisiens au mois de juillet 1961 (affaire de Bizerte). Une attaque française tenta de reprendre le point d’eau et donc la borne 233 (Ga’ar al-Hamil), le 20 juillet 1961. L’Armée tunisienne défendit ses positions et perdit 13 hommes, mais infligea de lourdes pertes aux Français (60 tués, un avion abattu, six véhicules détruits). L’affaire de la borne 233 ne sera résolue entre la Tunisie et l’Algérie qu’en 1973.

 

La bataille de Bizerte

La rencontre entre Bourguiba et de Gaulle, le 28 février 1961, fut décisive pour l’avenir de la base de Bizerte. Selon de Gaulle, la France allait quitter Bizerte, ce n’était qu’une question de temps, ce qui était vrai ! Car deux semaines auparavant, c’est-à-dire le 13 février 1961, la France parvenait à faire son premier essai nucléaire dans le sud algérien, à Raggan. Bizerte n’aura donc plus désormais une place de choix, comme d’ailleurs la plupart des ports méditerranéens à l’exemple de Mers El Kebir (Oran), car la France venait de se doter de l’arme de dissuasion contre le bloc soviétique à l’époque.

Or et après l’engagement de quelques travaux pour l’élargissement de la piste d’atterrissage à Sidi Ahmed, les Bizertins s’enflammèrent croyant que la France se préparait à installer définitivement ses militaires dans la ville. Avec des discours exhortant les populations de toutes les villes tunisiennes à venir à Bizerte, Bourguiba crut mobiliser une immense manifestation et une pression populaire qui hâterait le départ définitif des Français. Mais les calculs de Bourguiba étaient faux : de Gaulle ordonna à ses troupes dont les parachutistes venus d’Algérie, de donner une véritable leçon à Bourguiba ; un porte-avion fut même utilisé à l’occasion.

La bataille de Bizerte, tristement célèbre, fut engagée du 19 au 23 juillet 1961. Ce fut un véritable carnage : des civils et des militaires furent massacrés. Le bilan officiel fait état de plus de 670 morts. Or, les Bizertins et les témoins oculaires parlent de milliers de morts.

L’intervention de l’ONU dans l’affaire donna gain de cause à la Tunisie, son Secrétaire général, Hammarskjöld, se rendit même en Tunisie afin de se rendre compte de la situation. De Gaulle dut se plier aux négociations et préparer l’évacuation et choisit le 15 octobre pour annoncer cet événement historique qui donna enfin au gouvernement tunisien sa pleine souveraineté sur tout le territoire.

L’évacuation

Toutes ces séries d’événements et de batailles menèrent en fin de compte à une entente entre la France et la Tunisie sur la libération de la base de Bizerte. Ainsi, le 15 octobre 1963, le dernier soldat français quittait la terre tunisienne. Une année plus tard, en 1964, c’était le tour des terres domaniales,  la Tunisie avait par ce biais reconquis sa totale souveraineté territoriale.

Fayçal Chérif

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