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Onze semaines après l’éviction du précédent cabinet par le président Kaïs Saïed, qui s’est arrogé les pleins pouvoirs depuis le 25 juillet, la Tunisie s’est dotée ce lundi 11 octobre d’un nouveau gouvernement. En pleine crise socio-économique et sanitaire et après des mois de blocage politique, Kaïs Saïed avait invoqué en juillet un « péril imminent » pour justifier ses actions, dénoncées comme un « coup d’État » par ses opposants et des ONG.
*La lutte contre la corruption en haut des priorités
« Le président de la République promulgue un décret nommant le chef du gouvernement et ses membres », a indiqué la présidence dans un communiqué, peu avant la diffusion par la télévision officielle de la cérémonie de prestation de serment.
Pour la première fois dans l’histoire du pays, le gouvernement est dirigé par une femme, l’universitaire Najla Bouden, mais celle-ci ainsi que son équipe jouiront de prérogatives considérablement réduites après le coup de force du président Saïed. Mme Bouden a été nommée le 29 septembre, plus de deux mois après le limogeage, le 25 juillet, du Premier ministre Hichem Mechichi par le chef de l’État, qui a également gelé le Parlement et pris en main le pouvoir judiciaire.
Dans un discours lors de la prestation de serment, Mme Bouden, 63 ans, a affirmé que « la lutte contre la corruption sera le plus important objectif » de son gouvernement, qui compte 25 membres, dont 9 femmes, outre sa cheffe. Elle a aussi affirmé que son équipe œuvrerait pour « redonner aux Tunisiens confiance en l’État » et « améliorer leurs conditions de vie».
*Une capacité d’action limitée ?
L’annonce du nouveau gouvernement survient au lendemain d’une nouvelle manifestation à Tunis contre les mesures d’exception décidées par Kaïs Saïed, à laquelle ont participé au moins 6 000 personnes dans la capitale Tunis.
Après deux mois d’incertitudes, Kaïs Saïed a promulgué le 22 septembre un décret officialisant la suspension de plusieurs chapitres de la Constitution et instaurant des « mesures exceptionnelles » le temps de mener des réformes politiques, dont des amendements à la Constitution de 2014.
Lundi, Kaïs Saïed a réaffirmé devant le nouveau gouvernement que ses actions visaient à « sauver l’État tunisien des griffes de ceux qui le guettent, à la maison comme à l’étranger, et de ceux qui voient leur fonction comme un butin ou un moyen de piller les fonds publics ». « Ils ont allègrement pillé l’argent du peuple », a-t-il dit, sans identifier les parties visées par ses critiques.
En dépit de la nomination d’une Première ministre, c’est le chef de l’État qui sera le réel détenteur du pouvoir exécutif. Il présidera le conseil des ministres, en vertu de ses « mesures exceptionnelles » adoptées en septembre.
C’est la première fois dans l’histoire de la Tunisie, pays pionnier dans le monde arabe en matière des droits des femmes, que la tâche de diriger le gouvernement est confiée à une femme. Depuis la présidence de Habib Bourguiba, qui leur avait aménagé un code de statut personnel en 1956 interdisant la polygamie et la répudiation et autorisant le divorce, la Tunisie est considérée comme le pays du Maghreb à l’avant-garde pour l’émancipation des femmes.
Des militantes des droits des femmes ont salué la portée symbolique de la nomination d’une femme à la tête du gouvernement mais ont rappelé que Kaïs Saïed s’était par le passé illustré par des positions négatives sur l’égalité entre les sexes. Fin 2019, pendant la campagne électorale et une fois élu président, Kaïs Saïed s’est opposé à tout projet de loi mettant à égalité les hommes et les femmes dans l’héritage.
*Quelle feuille de route pour une reprise économique ?
Complètement inconnue du grand public au moment de sa nomination et dépourvue d’expérience politique, Mme Bouden n’a pas de compétences reconnues en économie non plus. Or l’instabilité politique du pays a largement pesé sur sa situation économique. Très endettée et dépendante des aides internationales, la Tunisie fait face à une profonde crise économique et sociale – chute du PIB, forte inflation, chômage à près de 18 % –, aggravée par la pandémie de Covid. Le parti d’inspiration islamiste Ennahdha, principale force au Parlement tunisien, suspendu depuis le coup de force du président Saïed, avait dénoncé comme « inconstitutionnelle » la nomination de Mme Bouden car elle « ne respecte pas les procédures constitutionnelles ».
(Le Point, avec AFP)