Ils représentent 1 million de Tunisiens: les personnes handicapées ont le droit d’être mieux informées et mieux traitées…

La Coalition nationale pour des médias inclusifs et accessibles aux personnes handicapées, a organisé aujourd’hui, mardi 19 novembre 2024 à Tunis, une Table ronde portant sur « les droits des personnes handicapées en matière d’accès à l’information et aux médias ».

Cet évènement s’est dédié à l’exposition des défis rencontrés par les personnes en situation de handicap en ce qui concerne l’accès aux médias et à l’information. Et ce, dans l’objectif de trouver des solutions à même de garantir une couverture médiatique fondée sur les principes même des droits de l’homme. Pour l’occasion, l’UNESCO a publié un guide des bonnes pratiques rédactionnelles et éthiques pour promouvoir une approche médiatique équitable vis-à-vis des personnes handicapées. Il s’agit d’une sorte de charte journalistique professionnelle et rigoureuse qui instaure, entre autres, les préceptes d’une communication inclusive à même d’assurer aux groupes vulnérables, leurs droits tout en favorisant leur intégration active dans la société.

« Face aux stéréotypes et aux représentations dégradantes des personnes en situation de handicap sur les réseaux sociaux et dans les médias non régulés, nous comptons sur le journalisme de qualité pour aborder ces questions avec sérieux et éthique », c’est justement sous cet emblème que le débat a été animé.

La séance de travail a été inaugurée à travers la diffusion du message d’Éric Falt, directeur du bureau régional de l’UNESCO pour le Maghreb. Ne pouvant pas assister à la table ronde, Falt s’est adressé aux membres de la Coalition, en rappelant d’emblée que la Tunisie avait ratifié le 2 avril 2008, la Convention relative aux droits des personnes handicapées et a intégré, depuis, la protection des personnes handicapées dans sa Constitution de 2014 et de 2022. Il a continué en rappelant que la création depuis 4 mois de la Coalition marque une étape clé vers la transformation des perceptions du handicap en Tunisie. Tout en félicitant les efforts collectifs, Éric Falt a glorifié les actions de la Coalition dans la mesure où ceci représente une assise pour l’ouverture de nouvelles perspectives dans le pays pour la transformer des mentalités et construire une société tunisienne plus tolérante et respectueuses envers les personnes handicapées. « Le chemin est encore long, mais je tiens à nous féliciter pour celui déjà parcouru avec des réalisations phares comme celle de l’étude nationale, celle du diagnostic et du guide de bonnes pratiques. Je cite aussi parmi nos réalisations les formations innovantes de journalistes, les productions médiatiques inclusives ou encore le projet de loi déposé au Parlement pour reconnaître la langue des signes tunisienne », a-t-il exprimé avant d’ajouter « Mais nous ne devons pas rester sur nos acquis. Aujourd’hui, et encore plus qu’hier, il est essentiel de maintenir nos efforts afin de faire honneur aux espoirs de millions de Tunisiens pour une société plus inclusive qui accepte et valorise sa diversité », a-t-il conclu.

Des images médiatiques plus représentatives
C’est Néji Bghouri, journaliste, ancien syndicaliste et coordinateur des programmes au bureau de l’UNESCO Tunisie qui a assuré le rôle du modérateur. Interrogé en marge de l’évènement, Bghouri a noté que c’est grâce à une initiative faite par l’UNESCO en partenariat avec l’Institut de presse et des sciences de l’information, le Syndicat national des journalistes tunisiens, la HAICA, l’Association Ibsar et l’Organisation tunisienne de défense des droits des personnes handicapées ainsi que des organes médiatiques et des personnalités nationales que la Coalition a vu le jour depuis le 19 juillet 2024 pour que les droits des personnes handicapées soient défendues. « Lors d’une étude que nous avons effectuée, il s’est justement avéré que les droits de plusieurs personnes handicapées sont bafoués. Nous comptons 1 million de personnes handicapées en Tunisie et nombreux d’entre eux souffrent d’intimidation, de comportements de brimade. Et nous œuvrons tous pour que la société change de comportement et les traite de façon à garantir leurs droits et leurs dignités. D’ailleurs, l’appellation même et la catégorisation de ces personnes s’inscrivent dans le cadre de leur droit. Car tantôt on les appelle les personnes aux besoins spécifiques, tantôt on les classe comme personnes portant un handicap, etc. Or, l’appellation devrait être conforme à celle universelle adoptée par les Nations Unies. Cela dit, nous travaillons sur le projet de l’amélioration de l’accès à ces personnes aux droits et aux services et l’accès à l’information en fait justement partie. Et nous voulons que ceci soit fait de manière permanente et qu’on ne se contente plus de se souvenir des droits des handicapés durant des dates occasionnelles. Il est temps aujourd’hui pour que chaque secteur qu’il soit sportif, économique, agricole, de santé ou autre de réfléchir durant l’élaboration de leurs programmes aux moyens de servir ces personnes-là et les médias qui rapportent les images de la société sont à leur tour redevables de refléter les images de toutes les catégories sociales y compris le million de Tunisiens handicapés sans tomber dans la victimisation ».

Formation pour une communication inclusive
Pour sa part Sadok Hammami, enseignant universitaire et directeur de l’Institut de Presse et des Sciences de l’Information et de la Communication, a passé en revue le rôle que doit jouer la formation pour rompre avec les images du genre en rapport avec les handicaps.
« L’éthique des médias telle qu’elle est censée exister, on la trouve partout ! On la trouve dans les lois, les textes législatifs et les cahiers de charge, à l’instar du décret 116. Les règles normatives implique qu’un journaliste fasse son travail dans un cadre d’intégrité, de transparence, de dignité, d’objectivité, de respect… On ne manque pas de chartes, mais est-ce que celle-ci sont respectée ? C’est là que cela pose problème ! D’ailleurs selon la charte internationale, l’on évoque si bien que les journalistes « dignes de ce nom » sont redevables de telle ou telle chose ! Dès lors, s’il existe un traitement inadéquat de la question des handicaps, comme de bien d’autres questions d’ailleurs, ceci n’est aucunement dû au manque des textes, des lois et des chartes, mais de « journalistes dignes de ce nom ». Cela dit, il est rarement question du journaliste en lui-même mais de l’institution qui l’emploie ! Car contrairement à bien des métiers, le journalisme n’est pas une profession libérale ! Un journaliste est toujours tributaire de l’institution au sein de laquelle il travaille où il assure souvent un rôle de transmission qui illustre la vie tunisienne sous ses multiples facettes. Sauf que très souvent, très peu de moyens sont offerts au journaliste pour qu’il exerce son rôle comme il se doit et transmette une image fidèle à la réalité et de façon inclusive ! Souvent, l’institution qui l’emploie ne dispose pas elle-même des moyens nécessaires ! Certes les personnes handicapées affichent souvent absents dans les médias, mais il faut dire qu’il ne s’agit pas des seuls absents ! Les médias tunisiens ne ressemblent pas aux Tunisiens ! Souvent les télés nous offrent du sport et du foot à volonté, des émissions de télé-achat ou des feuilletons ! Les soucis des Tunisiens ne sont pas reflétés parce que les journalistes n’ont pas les moyens de faire de véritables travaux de terrain ! Un travail qui nécessite du temps, une investigation, des déplacements, des relations, des sources… Les handicaps ne dérogent pas à cette règle ! Par manque de moyens, on ne couvre pas leurs besoins et on ne transmet pas leurs voix comme on ne transmet pas les voix de plusieurs autres. D’ailleurs on ne parle pas d’une seule catégorie de handicap car il y en a plusieurs et chaque handicap nécessite des moyens spécifiques pour qu’on puisse lui transmettre un message on ne s’adresse pas aux malvoyants et aux malentendants en utilisant les mêmes moyens ! Bref, compte-tenu de la complexité du sujet, je dois dire que même si l’on n’arrive pas à traiter tous les aspects du sujet, il faudrait au moins commencer par de petits pas. Car faire de petites choses mérite aussi d’être glorifié d’autant plus qu’on manque de moyens. Dès lors, je trouve que c’est déjà important qu’il y ait eu un guide où l’on se met d’accord sur les grandes lignes comme l’appellation, comme le fait de ne pas présenter ces personnes en tant que personnes qui inspirent la pitié. Mais ceci nécessite un concept intégral d’intégration. Le journaliste peut déjà jouer son rôle d’éclaireur et commencer à poser les problèmes ce qui incitera l’Etat à mettre des politiques efficaces car via une matière journalistique adéquate, on parvient à atteindre une certaine conscience collective concernant une cause bien précise », a-t-il exprimé.
Concernant les solutions concrètes, le directeur de l’IPSI, a proposé l’intégration de matières optionnelles à intégrer dans le programme de formation lequel s’inscrira sous l’enseigne d journalisme humanitaire. Il a également proposé des clubs et des ateliers destinés aux personnes handicapées et qui seraient encadrés et publiés par la suite.

Inciter, encourager, former
Dans ce même ordre d’idées Sami Oueslati, chargé de la formation CAPJC a rejoint la proposition de Sadok Hammami proposant à son tour des formations spécialisées qui apprend aux journalistes comment offrir une meilleure couverture au profit des personnes handicapées, notamment via la vulgarisation d’autant plus que ce million de handicapés fait partie intégrante de la Tunisie dans ses différents secteurs. « Nous pouvons aborder l’élaboration des Podcasts spécialisés dans le sujet et lancer une compétition nationale qui récompense le meilleur travail journalistique dans ce secteur afin d’inciter les journalistes à s’y mettre », a-t-il proposé.
Pour sa part, Mohamed Mansouri, président de l’Association Ibsar a insisté également sur la nécessité de vulgarisation. « Les personnes handicapées ne doivent pas être évoquées de façon occasionnelle ! Ils existent et ils vivent au quotidien et ils doivent faire partie intégrante des contenus journalistiques au même titre que tous les composantes de la société. Et si on remarque que le langage des signes n’existe pas, ceci montre déjà qu’il existe un grand manquement ! Un handicapé a le droit de savoir ce qui se passe dans son pays ! Il est par exemple inadmissible qu’on ne puisse pas traduire certains mots et certains lieux en langage des signes aujourd’hui ! Le livre, le théâtre, le sport, le cinéma, les marchés et les médias doivent prendre en considération ces gens-là en leur offrant des services adéquats ! Or, ceci n’existe pas ! Non seulement il n’existe pas de journalisme scientifiquement spécialisé, mais aucun des secteurs n’offre de service spécifique ce qui a marginalisé ce million de Tunisiens et les a poussés à vivre isolés. Nous devons changer de comportement en pensant à l’autre »

Vulgariser, unifier
Hajer Trabelsi, membre de la HAICA a quant à elle mis l’accent sur l’importance du rôle joué par la Coalition quant à l’instauration de l’information globale. « De par ma vision pédagogique et de contrôle, je pense que ce qui prime à présent, c’est de veiller à ce que le produit journalistique soit davantage plus conforme aux droits de l’Homme. La HAICA peut se mettre à quantifier et à sonder la qualité du traitement médiatique de ce sujet et son degré du respect des droits des personnes handicapées ainsi que leur présence tout en encourageant le journalisme de proximité sans tomber dans le traitement du genre. Nous aspirons à une présence naturelle et non occasionnelle à les voir de façon habituelle et normale afin de casser le concept du genre »

Jihene Louati, membre du bureau du SNJT a, de son côté révélé que le syndicat travaillera davantage sur l’unification des terminologies au sein de tous les médias tunisiens, des associations qui soient conformes aux termes universellement connus et reconnus, pour qu’aucune ambiguïté ne soit de mise mais aussi pour imposer des termes respectueux qui garantissent la dignité des personnes handicapées. « Et que nous soyons clairs, le fait d’accorder à ces gens leurs droit ne relève pas de la charité ! Il s’agit de leur entier droit que d’exister sur les plateaux de télés, derrière les micros et entre les lignes des articles ! »
Il est par ailleurs à noter qu’un projet de loi a été déposé au sein du Parlement proposant un texte législatif qui protège les droits des personnes handicapées. C’est ce qu’ont confirmé Héla Jaballah et Mohamed Ali Feryana, députés représentants du peuple qui ont assuré que le projet a toutes ses chances d’être adopté et qu’il tourne essentiellement sur la réglementation et la généralisation du langage des signes, l’incrimination de l’intimidation, etc.

Travail journalistique: Abir CHEMLI

Photographie et montage Riadh Sahli

Related posts

Sousse : Saisie d’une quantité de cocaïne chez un étranger

Affaire du complot : Qui sont les accusés en fuite ?

Appel à témoins : une fillette de 12 ans portée disparue à l’Ariana