Le vote au forceps, au cours de la semaine écoulée, à l’Assemblée des représentants du peuple des amendements apportés à la loi électorale, à cinq mois des élections, suscitant une vague de réactions plutôt hostiles, a été considéré par une large majorité des acteurs politiques comme une victoire à la Pyrrhus, une initiative contraire à toute morale et sapant les fondements du jeu démocratique.
Ce vote, survenu dans un contexte délétère, vient jeter un pavé dans la mare de la grande confusion qui règne dans le pays et des incertitudes qui dominent la vie politique, plus que jamais, biaisée par un jeu clair-obscur quant à un processus électoral objet de spéculations de plus en plus fantaisistes et de remise en question qui poussent à des questionnements lancinants.
A quelques semaines seulement de la convocation du corps électoral et de la présentation officielle des candidatures dans les Législatives et la Présidentielle, le doute reprend ses droits et chacun fait de son mieux pour brouiller davantage les cartes et entretenir le doute. Le bureau d’étude Sigma, à l’origine du déclenchement de ce qui a été convenu d’appeler un séisme politique dans le pays suite à la publication début juin de son sondage politique, a préféré poursuivre sa fuite en avant, jouant les trouble-fêtes et soutenant avec une légèreté déconcertante, comme si cela relevait de ses compétences, que le report des élections est devenu presque une fatalité !
En dépit des assurances formulées par l’Instance supérieure indépendante des élections (ISIE) et des engagements pris par les autorités publiques pour le respect scrupuleux du calendrier annoncé, l’accélération imprévisible des événements a été le catalyseur de nombreuses rumeurs et scénarios alarmistes, entretenus par de nombreuses parties qui redoutent le verdict des urnes, et qui tirent plutôt profit du renvoi du scrutin à une date indéterminée.
L’autre zone d’ombre vient des spéculations développées sur le sort qui sera réservé au projet de loi et à son hypothétique entrée en vigueur. Hormis la mobilisation de plus de quarante députés pour provoquer l’inconstitutionnalité de ce projet de loi, un épais brouillard ne cesse de se propager au sujet du paraphe ou non de ce nouveau texte par le président de la République qui, signe des temps, reprend du poil de la bête et redevient le centre de gravité de la gestion des affaires politiques dans le pays.
Des questions se posent aussi sur les pouvoirs que lui confère la Constitution, notamment en matière d’organisation éventuelle d’un référendum sur ce dossier délicat. En effet, si cette hypothèse extrême arrivait à se confirmer, cela pourrait produire de graves conséquences et entraînerait dans son sillage l’hypothèque de tout le processus électoral. Comme le claironne Hassan Zargouni ces derniers temps, une telle configuration risquerait de brouiller toutes les cartes et de chambouler le calendrier et, plus grave, d’asséner à l’expérience démocratique tunisienne, qui fait face actuellement à une sorte de maelström, un mauvais coup, une déconvenue qui lui ôterait tout le capital sympathie dont elle est encore créditée.
En dépit des assurances annoncées par l’ISIE de sa capacité d›organiser l’échéance dans des conditions optimales, Nabil Baffoun, président de l’Instance, s’est abstenu, volontairement, d’évoquer le calendrier électoral, en versant dans un discours ambigu qui occulte l’essentiel et surtout le poids des impondérables qui risquent de gripper tout un processus qui, dès le départ, s’annonçait indécis et comportant de nombreuses inconnues.
Ce cafouillis est symptomatique du profond malaise dans un pays qui vit au rythme des manœuvres politiciennes d’une classe politique complètement décalée, des scandales à répétition et des dissensions entre acteurs en mal de repères, dont le discours est d’une platitude affligeante et les programmes d’une pauvreté extrême. Au moment où l’on s’attendait le plus à un débat public contradictoire, pluriel et approfondi à l’effet de séduire un électorat récalcitrant et désabusé, ils agissent à contre-courant, accroissant les chances d’outsiders de combler le vide laissé et de candidats antisystème qui recourent à des pratiques populistes ayant prouvé leur portée ailleurs et misant sur les échecs de ceux qui se sont succédé au pouvoir sans pouvoir ni convaincre ni conduire le changement.